2.1.2.3.1 Les cloches de fer

Les cloches de fer sont celles de Terrason-la-Villedieu 133 (24) et du Tech (66) (voir les fiches correspondantes). Elles ont des profils très proches. D’un point de vue purement géométrique, il s’agit de deux quarts d’ellipsoïde réunis par une soudure qui est renforcée par un jonc de fer. Ce jonc assure la jonction entre les deux quarts d’ellipsoïde et également la suspension. Ces cloches sont donc non circulaires et sans symétrie centrale 134 à la différence des cloches de bronze. Cette particularité a une forte implication sur les propriétés sonores : en effet, le point d’impact du battant qui est relativement libre et dont le balancement n’est pas limité dans un plan vertical est variable. Il n’y a donc pas deux points d’impact constants. Ainsi, selon le point d’impact, la note principale sera variable. Elle ne peut être déterminée de façon fiable. De plus, la présence du jonc, c’est-à-dire d’une masse importante de fer dans un endroit particulier, entraîne des perturbations dans la propagation de l’onde et nuit donc à l’uniformité du son. On voit que ces cloches n’ont pas de musicalité puisqu’on ne peut en aucun cas prévoir la note qui sera émise lorsqu’elles sont sonnées en volée. La variation autour de la note moyenne reste tout de même faible. Le caractère de simple instrument d’appel ressort nettement par la structure géométrique et donc sonore de ces cloches. La forme de ces cloches est plus proche de celle d’un casque que de celle d’une cloche classique. L’appellation de la cloche de Vailhourles (12) – « Casque de saint Grat » - est sans doute liée à cette proximité de forme.

Ces deux pièces restent de dimension limitée : 31,5cm de grand diamètre et 22cm de petit diamètre pour la cloche du Tech (66 : voir fig. 468) ; les dimensions de la cloche de Terrasson-la-Villedieu (24, voir fig. 169) inaccessible et inutilisée dans un clocher-mur peuvent être évaluées à environ 40 à 50cm pour le grand diamètre.

La forme qu’affectent ces deux cloches est fondamentalement différente de celle des cloches de bronze et le vocabulaire descriptif des cloches classiques ne s’applique pas du tout. Sur ces spécimens, nous ne pouvons pas distinguer la pince ni la faussure, ni le cerveau. Le profil de ces cloches est composé d’un seul rayon de courbure. De même, on ne peut pas parler véritablement d’oreilles ou d’anses pour les cloches de fer battu. Ces anses sont constituées à partir du jonc de soudure des deux tôles : dans sa partie haute, ce jonc se dédouble et forme ainsi une simple poignée de préhension. Cette anse ne peut pas être ouvragée ni supporter une pièce de très grand poids. Il s’agit d’une limitation technique de la taille de ce type de cloches.

Ces cloches représentent sans doute une phase archaïque de l’histoire des cloches d’appel où l’on cherche avant tout à créer un instrument pour convoquer les fidèles aux offices.

Le poète Walahfridus Strabon (808-849 135 ) parle dans la même œuvre, évoquant des cloches, de vasa productilia et de vasa fusilia 136 , c’est-à-dire de cloches martelées et de cloches fondues. On peut donc dire qu’il distingue des cloches de fer et des cloches de bronze. Les deux métaux 137 sont donc encore considérés au début du IXe siècle comme des matériaux campanaires. La distinction n’est pas pour autant explicitée par l’auteur. Il est possible que les cloches de fer de fabrication plus aisée 138 , aient été utilisées par des communautés relativement pauvres alors que les cloches de bronze de meilleure qualité sonore étaient réservées aux communautés riches. Aucun autre élément ne nous permet de vérifier cette hypothèse.

A l’exception du texte de W. Strabon, aucun texte ne parle clairement de cloches de fer. Il ne semble donc pas que ces cloches aient eu les faveurs des auteurs les plus anciens. Il est probable que ces cloches étaient réservées aux communautés les moins aisées du fait de leur piètre qualité sonore. Les auteurs généralement issus de classes supérieures de la société (voir la généalogie de Grégoire de Tours) ne les ont donc pas connues.

Une autre cloche de fer battu est classée en France mais il ne nous a pas été possible d’accéder à l’objet afin de l’étudier : il s’agit de la cloche de Vailhourles (12), dite « Casque de saint Grat ». Le dossier de classement propose une datation durant l’époque romane mais au vu du descriptif très proche de celui des deux autres cloches de fer, il est probable qu’il s’agisse d’une cloche plus ancienne.

La cloche « magique 139  » de Rocamadour (46) est différente des cloches de Terrasson-la-Villedieu et du Tech. En fer coulé puis forgé, de très petite taille (environ 10cm de diamètre) et de forme hémisphérique, elle serait également du Haut Moyen Age (Ve-VIIIe siècle, époque mérovingienne selon le dossier de classement des Monuments Historiques 140 ). Par son aspect très particulier et par l’impossibilité de son utilisation en tant qu’instrument d’appel, cette cloche (voir fig. 943) n’a pas été traitée dans notre corpus. Nous devons également signaler ici que cette cloche comporte pour sa suspension trois anses dont une principale au centre et deux annexes qui ne sont pas refermées sur le corps de la cloche. Ce système de suspension rappelle les anses des cloches de bronze (voir ci-après) et il s’agit sans doute d’un spécimen inspiré de cloches de bronze. Par sa technique de fabrication, ce spécimen se situe entre les cloches de fer battu et les cloches de bronze coulé. Il occupe donc une place particulière dans l’histoire de l’art campanaire.

Les cloches dites « celtiques » sont également un ensemble important de cloches préromanes. Compte tenu de la taille de ces cloches, il conviendrait plutôt de parler de clochettes. Ces cloches dont seule la clochette de sainte Godeberthe conservée à Noyon se trouve en France ont principalement pour fonction de signaler l’arrivée de leur possesseur, les évangélisateurs des terres bretonnes et de Grande-Bretagne, dans les villages. Il faut signaler dans cette série la cloche de saint Patrick 141 ou encore le Saüfang de la cathédrale de Cologne (voir GAY, 1887, p. 395) qui est aussi une clochette miraculeuse de fer battu. Mis à part le Saüfang, de section circulaire irrégulière, les autres cloches sont de forme quadrangulaire, ressemblant ainsi très fortement à des sonnailles. La fonction de ces clochettes est d’ailleurs la même que celle des clochettes de troupeaux. Ces cloches dites « celtiques » sont de dimension limitée. La plus grande est la cloche dite « de saint Patrick » qui mesure environ 19cm de haut. Ces pièces sont donc plus proches des clochettes de troupeau que de véritables cloches.

L’origine de cette catégorie qu’il faut considérer comme une sorte de « voie de garage » du point de vue technique est à déterminer. Au vu de certaines sonnailles, en particulier des époques romaine et médiévale, une filiation entre ces deux groupes existent. En effet, s’il existe des clochettes antiques en bronze, d’autres plus nombreuses sont en fer battu et ont des formes très variables, généralement quadrangulaires 142 . Les cloches de fer battu sont donc sans doute directement héritières des sonnailles de troupeau connues antérieurement.

De plus, pour toutes les cloches dites « celtiques » dont des équivalents en cuivre battu existent (cloche de saint Ronan à Locronan, « cloche miraculeuse » de Saint Pol de Léon, « bonnet de saint Mériadec » à Pontivy), la jonction entre les deux parties est assurée par un rivetage et non par une soudure renforcée par un jonc de fer massif. Elles sont donc structurellement différentes des cloches de fer battu que nous avons étudiées et les clochettes celtiques sont ainsi beaucoup plus proches des sonnailles de troupeau que des « proto-cloches » du Tech et de Terrasson-la-Villedieu. On peut cependant dire sans grand risque que l’origine de ces deux formes anciennes de cloches et de clochettes est la même, c’est-à-dire les sonnailles antiques. Elles pourraient en constituer un intermédiaire typologique, montrant l’évolution de la clochette antique à la clochette médiévale.

Cependant, le système global (deux tôles fixées ensemble) de fabrication des cloches de fer forgé est le même dans les deux cas et correspond donc au même processus technique.

Notes
133.

Il est à noter que cette cloche, après avoir été déposée durant quelques années dans l’église au début de ce siècle a été replacée dans le clocher, sans pour autant être utilisée… Il serait donc intéressant qu’elle soit déposée de nouveau afin que le public puisse observer cette pièce exceptionnelle de près. Il faut parallèlement bien sûr la disposer de façon sure, pour ne pas risquer un vol.

134.

Leur symétrie approximative, en plan, est axiale.

135.

Abbé de Reichenau en 838.

136.

Mentionné dans CABROL, 1914, article cloches, sans mention précise d’origine.

137.

Même si dans le deuxième cas il s’agit d’un alliage. Les auteurs médiévaux et modernes parlent pour cet alliage de « métail » ou de « métal ».

138.

Un simple forgeron peut les réaliser.

139.

Cette cloche magique est censée sonner à chaque naufrage de navire.

140.

Arrêté de classement du 25 Juillet 1908.

141.

conservée à Dublin, au National Museum of Ireland (in Trésors d’Irlande, 1982, p. 216).

142.

Par exemple les sonnailles du site de Larina (IVe-VIIe siècle) non publiées, voir fig. 952.