Bien que ce ne soit pas le sujet central de notre recherche, il convient de présenter ici rapidement l’évolution des clochers. Ces édifices ont en effet accueilli les cloches pour les faire sonner et ainsi procéder à l’appel des fidèles. Le clocher est donc le complément nécessaire de la cloche. Le problème de l’identification d’un clocher datant véritablement du Haut Moyen Age réside dans l’observation claire d’une continuité entre celui-ci et les autres parties de la maçonnerie. De plus, la croissance de la taille des cloches a provoqué des remaniements importants dans l’architecture des clochers pour qu’ils puissent subir les chocs transmis à la maçonnerie lors d’une sonnerie en volée. Les clochers du Haut Moyen Age ont donc sans doute subi de nombreux remaniements.
Les clochers du Haut Moyen Age sont assez peu connus du fait, entre autres, de la rareté de leur conservation. De plus, les cloches de ces périodes anciennes étaient de petite taille (voir 2.1.2.1), ne nécessitant pas de constructions massives dont les substructions soient clairement identifiables lors des fouilles archéologiques. Ainsi, dans le texte du moine de Saint Gall 170 (voir 2.1.2.2.1), une cloche d’un poids de plus de cinq cents livres est considérée comme une pièce exceptionnelle. De ce fait, les édifices religieux ne présentaient sans doute pas de clochers massifs comme nous les connaissons actuellement. Les édifices mérovingiens (VIe-VIIIe siècle) que nous pouvons encore voir ne portent pas de vestiges de clocher de cette époque. Les clochers encore existants (par exemple celui de Monkwearmouth 171 , comté de Durham, Grande-Bretagne ; voir fig. 923) sont des ajouts. Au vu des textes, les cloches semblant être de petite taille, il est probable qu’elles étaient simplement suspendues dans l’entrée de l’église. Des clochers plus importants existent cependant sans doute dès cette époque.
De simples murs pouvaient suffire pour supporter ces petites cloches. Ce type de dispositif présente un grand intérêt pour des maçonneries de faible résistance. En effet, à la différence des clochers-tours où les cloches sont enfermées à l’intérieur de la maçonnerie dans un beffroi de bois, la transmission de chocs à la maçonnerie est alors quasiment nulle. De plus, du fait de la faible taille des cloches, ces chocs sont limités. Le système de sonnerie (voir la cloche de Fleury en 2.1.1.1.2) limitait également les forces de choc.
Les édicules accueillant ces cloches peuvent également avoir été des tourelles de bois dont la résistance aurait été suffisante pour supporter les chocs.
Les textes de la période mérovingienne évoquant les cloches ne signalent que rarement de façon précise l’édifice qui reçoit la cloche. Le seul texte qui porte une mention précise de clocher est celui narrant la reconstruction de la basilique de Lillebonne. Il est extrait des Gesta Abbatum Fontanellensium :
‘…Ipsum namque castrum Caletus antea vocabatur, quod destructum et in majori elegantia reparatum, ex suo nomine Iuliobona vocare placuit. Denique constructa idem praepositus hac basilica, campanam in turricula eiusdem collocandam, ut moris est ecclesiarium, opifici in hac arte erudito facere praecepit… (MGH, Scriptores, vol. II, p. 284) ’ ‘Car il [Teulsinde] renomma ce castrum, anciennement baptisé Caletus 172 , détruit et restauré avec une plus grande élégance, du nom de Iuliobona 173 . Cette basilique ayant été construite selon ses instructions, ayant placé une cloche dans la petite tour, comme il est habituel dans les églises, il ordonna aux artisans de faire selon ses instructions. 174 ’Ce texte évoque des évènements qui se sont déroulés durant l’abbatiat de Teulsinde entre 734 et 738. La plupart des textes antérieurs signalent simplement l’utilisation de cloches qui sont déjà en place sans préciser davantage la localisation de ces pièces. Le clocher ne porte pas ici de nom précis. Il est simplement baptisé turricula, c’est-à-dire tourelle et n’est pas localisé précisément. En particulier, on ne sait pas s’il est au-dessus de l’église ou à côté. Le terme employé pour définir la cloche est le terme le plus courant (campana). Nous n’avons ici aucune mention, aucun adjectif concernant la taille de la cloche. De plus, le terme est le plus neutre qui se puisse utiliser, ce qui ne donne aucune indication de taille. Une proposition de cette phrase (outre le terme de campana) est particulièrement intéressante : ut moris est ecclesiarium. Il semble donc que la mise en place de cloches dans les églises soit déjà une habitude dans cette époque reculée, ce que les documents du VIe-VIIe siècles nous permettent également d’imaginer.
Il faut aussi préciser que l’auteur parle d’une cloche seulement. La cloche offerte, paraissant être seule dans l’édifice, ne peut être destinée à produire de la musique mais doit simplement servir à l’appel aux offices. Il s’agit ici de la première mention d’une cloche sise dans un édifice religieux séculier. Cependant, elle est le cadeau d’un abbé, ce qui la rattache encore au monde régulier.
Concernant le clocher proprement dit, si l’on revient sur le mot turricula, on peut donc penser que si cet édicule 175 était exclusivement bâti pour recevoir la cloche unique offerte par Teulsinde, il pouvait avoir une taille très réduite, ne laissant donc que peu de traces architectoniques au niveau des substructions retrouvées dans les fouilles. De plus, le terme même de turricula semble indiquer une construction fermée, ce qui va à l’encontre de la restitution d’un clocher-mur. Si le clocher baptisé turricula est bien ainsi, on peut estimer que les cloches avaient déjà une taille raisonnable, leur mise en place dans un bâtiment partiellement fermé limitant en effet la portée sonore. Il apparaît également que ce clocher devait être un édifice assez solide, sans doute bâti en pierres.
A la fin du VIe siècle, les écrits de Grégoire de Tours évoquent également l’existence de clochers, souvent de façon indirecte et dans un cas de façon précise. Il signale un clocher sans doute de taille assez imposante. Dans le Liber in gloria martyrum, qui fait partie des Gregorii episcopi Turonensis miracula et opera minora, il écrit au sujet du roi Alaric II :
‘Qui ait : « Deponatur ex hoc aedificio una structura machinae ; rex quae placuerit liberius contemplabit. » (GM, 91. MGH, Scriptores Rerum Merovingicarum, tome I, pars I, cité dans VIEILLARD-TROIEKOUROFF, 1976, p. 189)’ ‘« Que l’on enlève de cet édifice la structura machinae », dit-il 176 , « et ainsi, le roi aura une plus belle vue ».’Ce texte se rapporte à la basilique St Félix de Gérone à Narbonne. La structura machinae signalée par ce texte doit sans doute être identifiée à un clocher de bois et de pierres d’une certaine importance pour que cela coupe la vue depuis le palais royal. Il apparaît donc que nous avons dans certains cas un bâtiment important qui supporte les cloches. Il est assez haut sans doute pour permettre la diffusion du son sur un large espace. Les développements futurs de l’architecture campanaire sont donc déjà contenus d’une certaine façon dans les prémisses que l’on rencontre au VIe siècle.
Dans les écrits de Grégoire de Tours, nous trouvons également la mention de tours importantes sur l’abbatiale St Martin. En particulier, il évoque des turres olocriso tectas (tours couvertes de bois doré) édifiées par l’évèque Leo dans son Histoire des Francs (HF, X, 31, XIII cité dans VIEILLARD-TROIEKOUROFF, 1976). Ces tours étaient sans doute destinées à recevoir des cloches. Il ne le dit cependant pas de façon claire.
Au vu de ces différents éléments, il apparaît donc que dès le Haut Moyen Age, des clochers ont sans doute existé pour accueillir les premières cloches. Celles-ci étant de taille limitée, ces édifices peuvent avoir été des structures légères de bois. Ceci expliquerait la disparition de ces éléments. Dans les textes, la première mention remonte au dernier quart du VIe siècle et nous signale l’existence d’un véritable clocher-tour bien que ses dimensions ne puissent être évaluées.
Monachus Sangalli, De Gestis Beati Caroli Magni, lib. 1, cap. 31, cité in DU CANGE, article Campana, p. 56
Cette église est datée du dernier quart du VIIe siècle. Voir HUBERT et al., 1968, p. 21
Du nom de la peuplade gauloise des Calètes.
Actuellement Lillebonne, entre Rouen et Le Havre.
Les traductions données ici ne sont pas des traductions littérales, ni des traductions au style soigné. Elles sont simplement là pour guider le lecteur.
Cet édicule ne correspond pas à l’église dans sa globalité, mais simplement le petit ajout, partie de l’église ou non, destinée à recevoir la cloche.
Il s’agit du roi Alaric II.