2.1.3.2 L’architecture carolingienne

L’architecture carolingienne a très tôt monumentalisé les édifices religieux : ainsi, dès la fin du VIIIe siècle, l’église abbatiale de Lorsch 177 en Allemagne comprend deux tours massives sur sa façade (préfiguration de ce qui deviendra le Westwerk). Ces tours ont une importance dans la liturgie mais il est possible que l’une de leurs fonctions ait été d’accueillir des cloches. Le célèbre plan de l’abbaye de Saint Gall 178 (Suisse : voir fig. 924) dessiné sans doute dans les années 820 présente deux tours encadrant la façade. Rappelons que ce plan est une vision de l’abbaye idéale telle que le Concile d’Aix la Chapelle de 816-817 a pu le définir. Il montre donc le plan idéal que l’on doit s’efforcer de reproduire. Ces tours sont nettement séparées du corps de bâtiment mais reliées à celui-ci par un couloir (voir fig. 924). Il n’est pas évident que ces tours aient été des clochers. Le texte se trouvant dans la spirale de ces tours est :

‘Ascensus per c. l. ocleam ad universam super inspicienda. (d’après Walter et Born, 1979) ’ ‘Montée par escalier à spirale pour surveiller le domaine.’

Selon le texte, il s’agit de simples tours d’escaliers permettant la desserte des niveaux supérieurs des édifices. Cela n’empêche cependant pas que l’une de ces tours ait accueilli des cloches.

Dans le Nord de l’Europe 179 , les édifices du IXe siècle tendent à multiplier ces édicules. Leur utilisation en tant que clocher est probable. S’ils n’ont pas eu cette fonction, leur grande hauteur par rapport à l’ensemble de l’édifice ne s’expliquerait pas. Nous pouvons en particulier citer le cas de l’église abbatiale de Corvey 180 , près de Paderborn (Hesse, Allemagne), construite entre 873 et 885 (voir fig. 925).

Un autre texte, bien que ne portant pas de mention évidente d’un clocher, peut néanmoins être interprété comme tel : l’extrait des Gesta Abbatum Lobiensium, narrant des évènements de l’année 835 181 (MGH, Scriptores, Vol. IV, p. 60). En effet, dans ce texte, qui retranscrit l’une des plus anciennes inscriptions campanaires, il semble que l’auteur qui écrit postérieurement à la réalisation de la cloche ait accédé à la cloche afin d’en relever l’inscription. Si l’accès est possible, on est sans doute en présence d’un clocher-tour permettant un accès aisé aux cloches.

A la fin de la période carolingienne, en 912, l’inventaire de l’église de Staphinsere localise les cloches de façon assez précise :

‘Invenimus… pendentes super ecclesiam signa bona dua, habentes in funibus circulos cuprinos deauratos duos. ( Inventaire de l’église de Staphinsere , p. 902 mentionné dans GAY, p. 395) ’ ‘Nous trouvons… deux bonnes cloches pendantes au-dessus de l’église, ayant deux cercles de cuivre rouge dorés au bout de la corde.’

Selon ce texte, dans cette église, les cloches sont situées au-dessus de l’église et pendantes. L’édicule se trouve donc bien lié très directement à l’église proprement dite. De plus, au vu de l’expression « pendentes » et de la forme générale de ce texte, il semble que les cloches étaient visibles depuis l’extérieur. La personne qui a rédigé ce texte a également pu visiter le clocher.

Durant l’époque carolingienne, les églises auraient d’abord été adaptées par le biais d’ajouts pour pouvoir accueillir des cloches. Cette époque voit la véritable apparition et le premier développement de l’art campanaire. Les clochers se développent et prennent une grande importance architecturale. Ils font désormais partie du paysage. L’architecture campanaire est donc liée très directement à l’essor de l’art campanaire lui-même.

Notes
177.

Voir HUBERT et Al., 1968 et CHASTEL, 1993.

178.

voir par exemple HUBERT et al., 1968, p. 42 et WALTER et BORN, 1979.

179.

Belgique, Nord et Est de la France et Allemagne.

180.

voir par exemple HUBERT et al., 1968, p. 28 à 30.

181.

Anno 835. Et hoc rebus humanis exempto, Harbertus de Corbeia abbas asciscitur, vir bonus et multum laudatus, et abid ad hoc a supradicto imperatore promotus. Erat enim religioni studens, et in construendis sive exornardis rebus operam dans. Testatur campana percelebris eius iussu facta et ecclesiae nostrae donata, in qua sunt versus, qui abbatem et factorem, vel ad quid facta sit, quasi ipsa de se loquente, hoc modo manifestant : HARBERTI IMPERO CAMPANA AB ARTE PATERNI NEC MUSIS DOCTA EN CANTUS MODULABOR AMOENOS NOCTE DIEQUE VIGILI DEPROMAM CARMINA CRISTO.