2.1.4 Les cloches dans la société chrétienne : origine de leur utilisation, fabrication et baptême

2.1.4.1 Origine des cloches médiévales : l’archéologie et les textes

L’origine des cloches peut être trouvée dans les sonnailles de troupeau ou dans les cloches asiatiques 182 qui existent au moins depuis le premier millénaire avant l’ère commune. Quant aux clochettes romaines de bronze, leur petite taille ne semble pas plaider en leur faveur mais on doit admettre que leur profil peut dans certains cas être proche de celui des cloches médiévales 183 . Les apports de l’archéologie que nous avons explicités ci-avant nous permettent de voir que les différentes possibilités co-existent et contribuent sans doute à l’apparition des grandes cloches d’appel.

Du point de vue des textes, un auteur principalement évoque une origine possible des cloches d’église. Il s’agit encore du poète Walafrihdus Strabon qui est incontournable pour l’histoire des cloches au Haut Moyen Age. Deux mentions expliquent l’origine des termes les plus usités (campana et nola) :

‘A Campania, quae est Italiae provintia, eadem vasa majora campana dicuntur. (Exord., chapitre 5, Capit., II, p. 479) ’ ‘Les grands vases que sont les cloches sont appelés campanes ainsi par la Campanie qui est une province d’Italie.’ ‘Minora tintinnabula nolas appellant a Nola civitate Campaniae, ubi eadem vasa primo sunt commentata . ( Liber de rebus ecclesiasticis , c. 5, publiée dans MIGNE, Patrologie Latine , t. CIV, col. 924) ’ ‘Les plus petites cloches sont appelées nole d’après Nole, cité de Campanie où ces vases ont été produits en premier.’

L’auteur se montre très affirmatif pour dire que le terme campana provient effectivement du nom de la province italienne de Campanie.

Le second extrait est très intéressant : il vient en effet préciser ce que recouvrent différents termes utilisés pour définir les cloches. Ainsi, comme les autres documents ultérieurs 184 peuvent le laisser entendre, les différents mots correspondent à des tailles variables et les plus petites cloches sont donc celles que l’on qualifie de nole 185 . De plus, il attribue l’origine des cloches à la ville de Nole et constitue sans doute l’une des principales origines de cette légende. En effet, suivant Walahfridus Strabon, on dit, pour expliquer l’étymologie du mot nola qu’il a été utilisé en référence à la ville de Nole en Campanie dont seraient originaires les cloches. Cette origine mythique est attribuée à saint Paulin mort en 431, c’est-à-dire en plein Ve siècle, alors que les cloches semblent déjà utilisées (voir la lettre de Ferrand de Carthage). La création des cloches d’église est attribuée à ce personnage par des ouvrages anciens sans aucune preuve (CABROL, 1914 entre autres). Cette interprétation paraît donc largement abusive. L’origine campanienne des cloches ne doit pas pour autant être repoussée. Nous pouvons néanmoins dire que son créateur 186 n’est sans doute pas saint Paulin.

L’origine des premiers textes signalant des cloches, en particulier les règles monastiques, va également dans ce sens. En effet, la plupart de ces textes sont originaires de l’Italie du Sud, de la Campanie. L’origine campanienne est donc probable. La Campanie serait dans ce cas le relais entre les clochettes romaines et les véritables cloches d’église. Cette région est de plus réputée durant l’Antiquité pour ses productions de bronze (voir en particulier Pline, Hist. Natur., livre XVIII, chapitre LXXXVI). Cette explication ne convient que pour les cloches de bronze. Pour les pièces de fer battu que nous avons présentées, il est probable qu’il s’agit plutôt de cloches dérivant des sonnailles de troupeau. De plus, cette pratique s’explique sans doute par une mise en œuvre plus facile de cette matière.

L’art du fondeur de cloches s’est développé en parallèle de celui des bronziers qui ont fondu les portes de bronze qui subsistent dans quelques édifices. Nous pouvons citer en particulier les portes d’Hildesheim commandées par l’évêque Bernward (993-1022), les grilles de la tribune de la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle et aussi la statuette équestre dite de Charlemagne. D’autres vantaux de grand portail ont également été réalisés comme en témoignent les restes de fonderie découverts dans le palais d’Aix-la-Chapelle. Ces grandes pièces de bronze au rendu très fin ont été réalisées en une seule coulée, ainsi que la colonne de bronze servant de trumeau au portail monumental de l’église d’Hildesheim. Ces portes de bronze sont plus nombreuses en Orient et il est possible que ces techniques aient connu un renouveau en Occident du fait de l’influence byzantine durant l’époque carolingienne et ottonienne. La pratique des bronziers d’art s’est alors développé de façon importante en Europe.

Les fondeurs de cloches se sont sans doute partiellement servi des techniques alors connues par ces fondeurs d’art pour restituer les décors campanaires avec une grande finesse (voir la cloche du Puy-en-Velay). Il ne semble par contre pas y avoir d’influence artistique des auteurs des portes vers les fondeurs de cloches puisque nous ne retrouvons pas sur les cloches de grands décors imitant ceux des portes.

Notes
182.

Ces cloches se trouvant dans une région fort éloignée de celle qui intéresse l’objet de notre étude sont les seules de grande taille existant antérieurement. Aucun élément ne permet néanmoins de trancher véritablement en faveur ou en défaveur de cette hypothèse.

183.

Voir le pendentif de Larina de la fin de l’Antiquité, fig. 951.

184.

Rational de Durand de Mende en particulier : voir 3.4.3.

185.

Ce terme est resté rare.

186.

S’il y a un créateur unique.