Concernant les motifs de sonnerie, il convient de dire que nous ne rencontrons pour la période romane aucun exemple de cloches remplissant des fonctions laïques d’appels pour des motifs non religieux. Aucun élément dans les représentations que nous avons pu observer ne permet d’avancer l’existence de telles pratiques. Il semble donc que la cloche reste encore un instrument exclusivement religieux comme durant la période précédente.
Il convient également de s’intéresser à la composition d’accords ou plutôt l’assemblage de cloches ayant des sons harmoniques entre eux 230 . L’existence d’ensembles de cloches, tant dans les représentations que dans les structures de fabrication de cloches qui ont pu être découvertes, nous montrent que les cloches sont devenues des instruments à l’aide desquels on cherche à jouer des airs. De plus, la représentation de carillons de clochettes utilisés pour l’apprentissage de la musique comme on le voit sur le chapiteau de St Lazare d’Autun (71) montre que la cloche est devenue la référence musicale qui permet de former l’oreille des apprentis musiciens. L’étude sonore des cloches 231 est donc prioritaire si l’on souhaite connaître la musique médiévale et surtout les références utilisées.
On voit qu’au cours de la période médiévale et surtout romane, outre l’évolution du profil, la cloche devient plus que l’instrument d’appel qu’elle était dans la période précédente. Si elle demeure un instrument d’appel essentiel pour l’Eglise, elle est également l’instrument permettant de développer une certaine création sonore et aussi de diffuser des messages plus complexes que le simple appel. Par exemple, on peut penser que durant la période médiévale, on commence à sonner les glas, les mariages ou les baptêmes de différentes manières et que la cloche est donc devenue un outil de communication à part entière. Les textes nous confirment cette hypothèse : les cloches servent effectivement à annoncer de nombreux évènements de la vie quotidienne.
La première fonction que nous rappellent les textes de la période romane est la convocation aux offices religieux, en particulier les matines qui sont les prières les plus fréquemment signalées par les cloches selon les textes dès la période précédente. Vers 1066-1067, le Tractatus de ecclesia sancti Petri Aldenburgensi porte le texte suivant :
‘Post haec vero, transactis quinque vel sex annorum curriculis, quadam die custos ipsius templi, Sygerus nomine, dum matutinis horis ultimam campanam ad excitandum in circuitu fidelium multitudinem fiducialiter resonabat, corda qua ipsam campanam movebat magnam et gravissimam plancam alti solarii ejusdem turris, super quam campanae pendebant, incaute tetigit, quae mox si inter scapulas cum horribili sonitu cecidit, … ( Tractatus de ecclesia sancti Petri Aldenburgensi , édition Helder-Egger, MGH, Scriptores, tome XV, fascicule 2, 1888, pp. 869-871 in MORTET, 1911, p.171) ’ ‘Cinq ou six ans après cela, le gardien de ce jour de l’église, nommé Sygerus, sonna avec confiance la plus petite des cloches aux heures des matines pour inciter la multitude des fidèles des environs [à la prière], agita sans précaution la corde qui agitait la grande cloche et l'épaisse planche au sommet de ladite tour au-dessus de quoi les cloches pendent. Et bientôt elle tomba sur ses épaules avec un bruit horrible…’Il s’agit encore une fois de la narration de la chute d’une cloche suite à une sonnerie en volée. L’auteur précise que cette cloche était sonnée pour les matines depuis la nef de l’église. Cette chute n’est pas due dans ce cas à la rupture de la corde mais à l’effondrement du beffroi et sans doute d’une partie de la maçonnerie. Les matines, office religieux marquant le début de la journée, apparaissent donc comme l’un des évènements les plus importants à signaler puisqu’elles sont fréquemment l’occasion de problèmes de sonnerie liés à des sonneries trop violentes. La cloche mise en mouvement dans ce cas est nommée « la dernière cloche ». Cette appellation nous amène plusieurs commentaires. D’une part, cela nous confirme que les clochers de l’époque romane et donc les clochers postérieurs étaient peuplés de plusieurs cloches sans pour autant nous permettre d’en déterminer le nombre. D’autre part, cette appellation nous indique que cette cloche était sans doute la plus petite. Ceci confirme donc ce que les textes du Haut Moyen Age indiquaient déjà : les matines sont annoncées par des cloches de petite taille.
Une des lettres de saint Fulbert, évêque de Chartres (28), dont la datation oscille entre 1020 et 1024 nous indique également que les cloches peuvent dès lors remplir de nombreuses fonctions et annoncent tant les naissances et autres heureux évènements que les décès :
‘Tacti dolore cordis intrinsecus, jam in tantum moerorem nostrum prodidimus, ut signa nostra, jocunditatem et laetitiam significare solita, ab intonando desinere et tristitiam nostram attestari quodam modo jusserimus… ( Sancti Fulbertis, Carnotensis episcopi, epistolae , dans MIGNE, P.L. , t. CXLI, Epist. n°30, col. 215-216 et cité dans MORTET, 1911, p. 62) ’ ‘Nous plaçons en premier le toucher douloureux de la corde intérieure qui est déjà si présent dans nos mœurs et nous décidons que nos cloches, qui ont coutume de signifier la joie et la réjouissance, en descendant l’intonation signifieront notre tristesse.’Les cloches sont ici utilisées pour annoncer tant des évènements heureux que des évènements malheureux. Il semble que les premiers sont les plus anciens puisqu’on avait alors l’habitude de les entendre. Ceci nous confirme donc la variété des sonneries possibles permettant selon les termes de Fulbert de distinguer joie et tristesse entre autres.
Dans le monde cistercien, l’utilisation des cloches est précisément définie en particulier par les Usus antiquiores ordinis Cisterciensis de Stéphane III de Cîteaux († 1133), publiés dans la Patrologie Latine de Migne, au tome CLXVI. Cette utilisation paraît tout à fait classique et conforme à celles que nous avons pu décrire précédemment pour les règles remontant au Haut Moyen Age. Elle est cependant limitée car les statuts de l’ordre imposent certaines restrictions dans la taille des cloches comme le montre le chapitre 21 des statuts de 1157 cité et traduit en 2.2.5 232 .
Pour les sonneries religieuses 233 , en dehors du monde cistercien, les cloches romanes sont donc des cloches nombreuses disposées dans des clochers de grande taille et sonnées en volée. Elles permettent de diffuser des messages variés.
Cette norme est calculable mathématiquement pour les normes actuelles mais il est probable que la notion de notes harmoniques ou de cloches harmonieuses entre elles a existé très précocement avec des normes sans doute différentes.
Celles qui n’ont pas été réaccordées et qui présentent une usure suffisamment faible pour ne pas altérer notablement leur son.
Campanae nostri ordinis non excedant pondus quingentarum librarum, ita ut unus pulset et nunquam duo simul pulsent.
Ce sont les seules qui soient véritablement documentées.