Comme nous le signalons également dans la partie consacrée au clocher, la taille des cloches augmente nettement au cours de cette période. La plus grande de ces cloches est celle de Saignon 284 (84) qui mesure 87cm de diamètre. La cloche 1 de Vernet les Bains (66) est également de grand taille (81cm de diamètre) et celle de la S.A.E. mesure 61cm. Celle de Vaumas mesure 55cm de diamètre. Ces valeurs marquent un accroissement très net de la dimension et donc de la puissance sonore puisque les diamètres de toutes ces cloches sont supérieurs à celui de la plus grande cloche de la période précédente. Les cloches allemandes de cette période sont néanmoins de plus petite taille que les cloches françaises puisque la plus grande est celle d’Elsdorf qui mesure 50cm de hauteur 285 . La cloche de Léon (Espagne, voir GALLAND, 2000, p. 140 ou fig. 929) est d’un diamètre moyen : 57cm.
Parmi les moules que nous avons pu étudier, le plus grand profil restitué est celui de la cloche de Draguignan fondue dans la fosse 1. Cette cloche avait un diamètre de 90,5cm. D’autres pièces comme Buoux 1 (89,5cm de diamètre) ont des valeurs proches. Des campanes d’environ 1m de diamètre et pesant donc environ 700 à 800kg sont donc sans doute réalisées dès le XIe ou le XIIe siècle.
Cet accroissement de taille marque un changement technique important qui autorise la production de telles pièces. L’évolution technique doit avant tout se faire dans le perfectionnement des techniques de fonderie qui sont le seul facteur limitant rencontré dans la fabrication de pièces de grande dimension. En effet, la technique de réalisation du moule (voir 2.2.2) n’est pas un facteur réellement limitant. Le manuscrit du moine Théophile nous indique également que dès cette période, on peut envisager très raisonnablement de réaliser des pièces de grande dimension sans toutefois qu’il précise ce qu’il entend par ce terme. Ainsi, il note que pour réaliser des cloches de grande taille, il convient de fondre le métal en plusieurs fours que l’on fera tous s’écouler en même temps. La coulée simultanée est la condition sine qua non de la réussite de la cloche sans discontinuité dans le métal 286 . Au vu des cloches que nous avons pu observer et des moules qui ont été étudiés, il paraît donc que des cloches de près d’une demi-tonne 287 ont pu être fabriquées dès la période romane. La résistance des bâtiments doit donc augmenter dans des proportions importantes pour supporter le choc de la mise en volée d’une telle masse de bronze comme nous le montre l’étude des clochers.
Un texte nous donne une idée assez juste du volume de bronze que peut contenir le clocher d’une grande abbaye. Dans les Gesta Abbatum Trudonensium, durant l’abbatiat de Rodolfe entre 1108 et 1118, nous trouvons en effet la description du riche contenu de ce clocher :
‘Dictum est superior de numero campanarum et dulcedine sonoritatis earum, sed omissum est de vocabulis et ponderibus earum quas fecti novas fundi aut veteres renovari. Prima facta est de 4 centenraiis et aliquanto plus, scilla dulce sonora. Secunda de 21, in honore sancti Eucherii, et eam appellavit Aureliam, quam et benedixit. Tertia de duobus centenariis, quam appellavit Filiolam ; haec sanctae Mariae data est ad parrochiam. Quarta de 33 centenariis, in honore sancti Quintini martyris appelata est Quintinia. Quinta Remigia in honore sancti Remigii, de 7 centenariis. Sexta de 6 centenariis, dicta est Benedicta ad honorem sancti Benedicti. Septimam de 8 et amplius centenariis vocavit Angustiam, quia in tempore illius angustiae facta fuit, quo tota villa nostra et abbatia per ducem Lovaniensem Godefridum combusta aut invasa fuit. Octavam, factam de 6 et amplius centenariis, vocavit Drudam in honore sancti Trudonis, quae bis fusa in dulcedine sonus nulli aliarum compar fuit. Nona vocata est Nicholaia, quae 20 centenarios ad ignem habuit, sed nescio quantum superexcrevit. Decima, quae propter preciositatem suam missa est Mettis, 4 centenarios habuit, quam Stephaniam vocatam beato prothomartyri Stephano dicavit. Undecima, quae translata fuit ad ecclesiam sancti Gengulfi, 4 nichilominus centenarios habuit, sed non fuit similis preciositatis. Duae scillae in refectorio et cymbalum in claustro bis fusum potuerunt habere ad ignem dimidium centenarium. Illae quae pendet super chorum habuit plusquam centenarium. Iste simul positus numerus facit centenarios 115 et dimidium. ( Gesta Abbatum Trudonensium, Continuatio prima gestae Rodulfi, Lib. X, c. 18 , publiées dans MGH, Scriptores, tome X, 1852 et citées dans MORTET et DESCHAMPS, 1923, p. 9) ’ ‘Nous avons parlé précédemment du nombre de cloches et de la douceur de leur son mais nous avons oublié le nom et le poids que fait chacune des nouvelles fondues et des anciennes rénovées. La première pèse un peu plus de quatre cent livres, c’est une scille d’une douce sonorité. La seconde de deux mille cent livres en l’honneur de saint Euchérius et qu’on appela Aurélie et qui est bénite. La troisième de deux cents livres que l’on appelle Fillette est donnée à la paroisse sainte Marie. La quatrième de trois mille trois cents 288 , en l’honneur du martyr saint Quentin, est appelée Quintinia. La cinquième est appelée Rémigia en l’honneur de saint Rémi et pèse sept cents. La sixième de six cents est appelée Benoîte, pour saint Benoît. La septième , d’un peu plus de huit cents, s’appelle Angustia car elle fut faite dans des temps d’angoisse, quant toute notre ville et l’abbaye fut brûlée et envahie par Godefroi duc de Louvain. La huitième d’un peu plus de six cents, est appelée de Druda en l’honneur de saint Trond qui fut fondu deux fois et dont le son est à nulle autre comparable. La neuvième est appelée Nicholaia et pèse deux milles environ par le feu 289 , mais on ne sait pas de combien elle fut augmentée. La dixième qui à cause de sa préciosité fut envoyée à Metz, pèse quatre cents et est appelée Stéphanie d’après saint Stéphane, le protomartyr. La onzième qui fut transporté à l’église saint Gengolf pèse environ quatre cents mais n’est pas aussi précieuse. Deux scilles dans le réfectoire et un cymbalum dans le cloître ont été fondues ensemble et peuvent peser cinquante livres selon l’inscription. Celle qui pend au-dessus du chœur pèse un peu plus de cent livres. Toutes ces pièces représentent cent quinze centaines et demi de livres.’Ce texte nous indique donc que dès le début du XIIe siècle, des cloches de grande taille pouvaient exister puisque la plus grosse de celles qui sont ici citées pèse 3300 livres, soit plus d’une tonne. Par contre, de telles pièces demeurent rares puisque la plupart ne dépassent pas les mille livres. S’il existe des cloches de grande taille, elles demeurent néanmoins des pièces assez exceptionnelles que seules les grandes abbayes peuvent faire réaliser. De plus, la multiplication des cloches est également un fait avéré très précocement puisque dès le début du XIIe siècle, il y a eu plus de dix cloches dans le clocher de cette abbaye. Le clocher contenant ces cloches est nécessairement assez robuste puisque le total des cloches présentes dans cet édifice pèse plus de cinq tonnes. Il est intéressant de noter que l’auteur de cette chronique a cru nécessaire de faire le total de la masse de bronze présente dans ce clocher. L’ensemble de cette masse de bronze pouvait sans doute être mise en mouvement simultanément, représentant des forces de choc assez importantes.
Si des cloches importantes peuvent exister assez précocement, des règlements imposent à l’inverse des limitations dans le développement de la puissance sonore de l’ensemble campanaire. Ainsi, dans les Statuta selecta capitulorum generalium ordinis Cisterciensis, au chapitre 21 des règlements de 1157, nous trouvons :
‘C. 21. Campanae nostri ordinis non excedant pondus quingentarum librarum, ita ut unus pulset et nunquam duo simul pulsent. (Statuta selecta capitulorum generalium ordinis Cisterciensis, in Martène et Durand, Thesaurus novus anecdotorum, tome IV, 1717, col. 1243-1279, cité par Mortet et Deschamps, 1923, p. 34) ’ ‘C. 21. Les cloches de notre ordre ne doivent pas peser plus de cinquante livres car un seul doit pouvoir la sonner et en aucun cas deux.’De même, dans les règlements régissant les créations d’églises nouvelles ou de chapelles privées, la taille des cloches peut être limitée. Ainsi, en 1157, dans un cartulaire des Hospitaliers, nous trouvons :
‘… cui immineat campanile altitudinis 1 brachiate tantum ad duas squillas solum, que non amplius sint unaqueque c librarum, que pulsabuntur ad matutinas horas et tempore vestri defuncti et vestrarum missarum ;… (in Delaville-Le-Roulx, Cartulaire des Hospitaliers de St Jean de Jérusalem, tome I, 1894, n° 253, p. 192) ’ ‘… que le campanile dépasse d’un bras au plus pour porter deux scilles seulement qui ne sont pas de plus de cent livres chacune, qu’elles soient sonnées pour les matines, les heures et au temps de vos défunts et de vos messes ;…’La taille des cloches peut donc être largement limitée par les différents réglements qui régissent les relations entre les différentes institutions susceptibles d’installer des cloches. L’installation d’une cloche de cent livres seulement montre bien la faible importance du bâtiment car la portée est alors extrêmement limitée. Il s’agit donc sans doute d’un bâtiment à usage principalement privé.
Elle n’existe malheureusement plus : les données présentées ici sont extraites des archives Berthelé.
DAS REICH DER SALIER, 1992, p. 412
Du fait du refroidissement rapide de l’alliage, une interruption de la coulée crée une interface qui est un point de faiblesse important qui peut entraîner la rupture.
Celle de Saignon, de 87cm de diamètre, devait peser environ 400 à 500kg.
Il s’agit toujours de livres.
C’est-à-dire sans doute selon l’inscription.