2.2.3 Le fondeur de l’époque romane

2.2.3.1 Le statut social du fondeur roman

Pour mémoire, nous rappelons que le fondeur du Haut Moyen Age est un religieux sans doute itinérant. Les éléments en notre possession sont assez rares comme pour la période précédente. Nous connaissons par les documents d’archives le fondeur Jean de Chartres qui a officié entre 1030 et 1060 (in Répertoire des fondeurs de cloches ayant exercé sur le territoire français depuis le Moyen-Age jusqu’à nos jours, S.F.C., 1996). Nous n’avons pas d’informations concernant son statut social. En Allemagne, certaines cloches de la période romane sont signées, ce qui nous permet de connaître quelques noms de fondeurs. Pour les fondeurs allemands dont nous connaissons ainsi le nom, nous avons à faire à des religieux spécialisés dans cette activité et se déplaçant de lieu en lieu pour réaliser leurs pièces comme pour les fondeurs du Haut Moyen Age. En particulier, le fondeur Ruppert est connu tant par la cloche de Lindum (inscrite : RUOPERHT) que par un registre monastique de l’abbaye d’Herrenchiemsee aux environs de 1135 avec la mention suivante : « Roudbertus Campanorum fusor » (cité sans autre précision dans DAS REICH DER SALIER, 1992). Ce texte est très clair sur le travail exercé par cette personne 353 . Compte tenu de l’endroit où ce fondeur est cité, il apparaît évident qu’il doit s’agir d’un moine exerçant ce métier. On peut de plus parler de métier car il semble qu’il s’agisse bien à partir de cette époque au moins d’un emploi à part entière. En effet, la mention en toutes lettres de la profession de Ruppert ainsi que la présence de plusieurs cloches d’autres fondeurs comme Godevin ou Wolfgerus nous indique que la fonte d’une cloche n’était pas un fait occasionnel dans la vie de celui qui l’a exécutée mais bien l’une de ses activités habituelles. En France, pour la même période, nous connaissons par les Chroniques de St Martial de Limoges 354 le fondeur Galterius avec la mention suivante :

‘Galterius fecit signum quod vocatur vox domini’ ‘Galterius 355 fit ce seing qu’on appelle la voix de Dieu.’

Nous ne savons pas qui est ce Galterius. Cependant, il a officié dans l’abbaye St Martial sans doute à l’intérieur de l’enclos monastique, ce qui nous incite à penser qu’il s’agit bien d’un ecclésiastique.

Les fondeurs de l’époque romane laissent donc encore peu de traces. De plus, sur le territoire français, ils ne signent pas leurs œuvres. Les quelques mentions que nous connaissons sont issues des chroniques abbatiales et sont assez peu loquaces au sujet de ces personnages. Ces différents éléments nous montrent que le fondeur ne se considère sans doute pas encore comme un véritable artiste mais comme un artisan.

Concernant le statut du fondeur, un dernier élément est à prendre en compte. Il se situe sans doute à la fin de la période romane mais il montre le début de l’évolution qui sera l’élément marquant de la période gothique. Ce sera en fait la base du statut du fondeur dans les périodes suivantes. En effet, sur la cloche 1 de l’église de Vernet-les-Bains, nous avons noté la présence du sceau du fondeur à quatre endroits différents (voir fig. 482). Ce sceau atteste de la qualité du fabricant de la pièce qui se qualifiait sans doute de « fusor » lui aussi et peut être assimilé à une sorte de blason. Il porte sur son pourtour malheureusement illisible le nom de ce maître fondeur. Il est donc relativement incompatible avec l’idée d’un fondeur religieux qui signerait au nom de l’abbaye et non en son nom propre. Ce sceau nous montre donc l’apparition des fondeurs laïcs qui seront presque exclusivement les fondeurs dont nous avons une trace pour les périodes suivantes. Avec un tel fondeur, nous sommes en fait à l’origine des futures dynasties 356 qui règneront sur l’art campanaire à partir de la période suivante 357 .

Notes
353.

L’identification du fondeur de Herrenchiemsee avec celui de la cloche de Lindum est le fait des auteurs de DAS REICH DER SALIER, 1992. Les éléments permettant cette assimilation ne sont pas fournis dans cet ouvrage.

354.

Citées sans autre précision par Berthelé, Enquêtes campanaires, 1906.

355.

Nous pourrions traduire ce prénom par Gauthier.

356.

Ô combien nombreuses…

357.

Voir par exemple la généalogie des Cavillier pour le XVIIIe-XIXe siècle en annexe I.