2.2.3.2.2 Un atelier théorique : le vitrail d’York

Pour comprendre l’organisation détaillée d’un atelier et surtout du travail qui s’y déroule, que soit dans le cas d’un fondeur itinérant ou dans celui d’un fondeur fixe, l’étude d’un des vitraux de la cathédrale d’York 364 est très importante. Ce vitrail date du XIIIe siècle. Cette fenêtre présente deux scènes distinctes qui correspondent aux deux phases majeures de la fabrication d’une cloche : la fabrication du moule et la coulée. Deux ou trois personnes sont présentes dans cet atelier selon l’étape de fabrication (voir fig. 9) : le maître de l’atelier qui est sur les deux scènes représentées sur la gauche et dont la tête est entourée d’un nimbe jaune-orangé et la deuxième personne qui se trouve sur la droite. Cette deuxième personne est sans doute un assistant ou un apprenti. Quant à la troisième personne présente lors de la coulée, elle vient renforcer l’équipe pour cette étape cruciale de la fabrication. La représentation du maître qui est sans doute la personne que les documents écrits appellent le fondeur nous incite à penser qu’il peut s’agir d’un ecclésiastique.

A n’en pas douter, cette baie située dans l’aile nord de l’édifice a été offerte par des fondeurs, peut-être une sorte de confrérie ou un seul riche fondeur. Les deux scènes sont entièrement entourées de cloches et clochettes représentées en médaillons plus ou moins détaillés : dans certains cas, les anses peuvent clairement être distinguées alors que d’autres cloches ont des formes pour le moins approximatives. Dans tous les cas où la distinction peut être faite, il s’agit d’anses simples.

La première scène représente la fabrication du moule : le maître façonne le moule disposé selon la technique décrite par le moine Théophile sur un axe horizontal reposant sur deux tréteaux entre les pieds desquels reposent des cloches qui semblent prêtes à partir pour une livraison. Pour façonner ce moule, l’assistant du maître dont le visage n’est pas détaillé fait tourner cette masse d’argile à l’aide d’une manivelle. Il semble que le fondeur est en train de réaliser la fausse cloche puisque l’on voit des filets et autres décors. Cette technique est donc celle qui semble typiquement utilisée durant le Moyen Age et que le moine Théophile et Vavrineck Kricka décrivent en détail.

Sur la deuxième scène représentant la coulée, il y a trois personnages : le fondeur, son assistant et un troisième personnage qui vient renforcer l’équipe. On distingue nettement le four, le chenal permettant l’écoulement du métal en fusion du four vers le moule et on voit également, en quelque sorte en coupe, le métal s’écouler et remplir progressivement le moule. Le four est assez intéressant dans sa représentation : il est figuré comme un petit édicule fermé tenant plus de la chapelle que de l’image que l’on se fait d’un véritable four. La porte principale par où s’écoule le métal en fusion prend l’aspect d’une baie gothique. Il semble assez étroit et assez haut, correspondant donc à ce que décrit le moine Théophile. Nous ne pouvons absolument pas identifier de cheminée ou d’autres éléments qui pourraient nous indiquer que ce fondeur utilise un four de réverbère. Nous distinguons, en bas à gauche, derrière le maître, un autre petit four inutilisé, ce qui semblerait indiquer que le fondeur représenté est un fondeur sédentaire préparant ces fours de fusion à l’avance. Pour activer le feu et permettre la fusion de l’alliage (en particulier du cuivre), le troisième personnage se tenant à une tringle suspendue au-dessus de lui appuie du pied sur un soufflet qui semble disposé sur un tréteau. L’assistant dont le visage est ici détaillé et paraît jeune semble simplement observer l’opération, ce qui nous indique qu’il est en fait un apprenti se formant aux techniques de la fonderie. Le maître guide le métal après l’ouverture de la bouche du four, vers le moule à l’aide d’un grand bâton à l’extrémité recourbée. Ce bâton semble formé de plusieurs petites sections de longueur régulière, ce qui nous indique qu’il est fait d’une sorte de bois sans doute assez souple pour permettre de travailler efficacement.

Cette représentation très intéressante nous montre donc la dynamique d’un atelier de fondeur, tant dans la réalisation pratique des cloches que dans la répartition des tâches. Il est intéressant qu’il confirme les méthodes de travail décrites par le moine Théophile. De plus, il indique clairement que l’apprentissage se déroulait dans l’atelier d’un maître dans une sorte de compagnonnage. Malgré l’absence de source nous l’indiquant clairement, nous pouvons donc bien parler de maître pour un fondeur. Cette expression se trouve sur quelques cloches comme celles de Haguenau (datées de 1268) et fondues par maître Henri.

Notes
364.

Cette représentation pourrait, à l’extrême, être considérée comme une représentation de la fonderie de Bedern, fouillée par le York Archæological Trust (voir RICHARDS, 1993).