3.1.1.2.2 Rapport H/D

Le second rapport important qui permet de comparer la hauteur et le diamètre inférieur est lui aussi distribué selon des valeurs très dispersées. La valeur moyenne qui est égale à la médiane vaut 0,83. Nous pouvons considérer que les valeurs les plus représentatives de ce rapport sont en fait les valeurs dispersées entre 0,75 et 0,92 481 . Les valeurs les plus faibles inférieures à 0,75 se rencontrent sur quatre cloches qui peuvent se réunir en deux groupes.

Le premier est constitué de la seule cloche de Chalon-sur-Saône qui a la valeur la plus faible. Cette cloche particulière (voir 3.1.3) ayant le plus fort rapport Ds/D se distingue donc également pour ce second rapport. Elle confirme ainsi son caractère particulier de braillard.

Les trois autres cloches ayant une faible valeur sont les cloches de Valence (26, grosse cloche de l’ensemble relevé sur l’église St Jean), de St Pierre le Moutier (58, cloche 2 de 1469) et d’Athose (25). Outre la faible valeur de leur rapport H/D, ces trois cloches montrent également un diamètre supérieur relativement faible par rapport au diamètre à la pince 482 .

La faible valeur du rapport que nous observons dans cette partie tient donc à la volonté de rattraper un trop faible rapport entre les deux diamètres afin d’éviter de faire un profil de type florentin. Ce type de profil ne semble donc plus être tellement prisé des fondeurs à la fin de notre période d’étude. D’un point de vue général, la cloche de l’époque gothique 483 est sans doute la cloche la plus trapue de toute notre période d’étude et plus généralement de toute l’histoire des cloches d’appel de grande dimension.

A l’autre extrémité de la distribution des valeurs, huit cloches au total ont une valeur supérieure ou égale à 0,93. Les plus fortes sont enregistrées pour les cloches de Libourne (33, musée Robin, cloche B, valeur : 1, voir fig. 228) et de Samoreau (77, valeur : 1,05, voir fig. 566). Ces deux cloches ont également un rapport Ds/D particulièrement fort (respectivement 0,65 et 0,66). On cherche par de telles valeurs extrêmes à compenser les défauts des rapports entre diamètre à la pince et diamètre supérieur.

Les fondeurs ont donc cherché à compenser leurs erreurs de tracé pour permettre de rentrer dans une certaine norme de forme. Cette normalité ou plutôt cette recherche de normalité montre que tous les fondeurs ne connaissaient sans doute pas les détails sonores des différentes familles de profils campanaires. Tous n’étaient sans doute pas des théoriciens du son et les connaissances sur ce sujet n’étaient pas encore diffusées largement comme après la publication de l’Harmonie Universelle de Mersenne publiée en 1636 484 . Ils savaient néanmoins tous qu’une cloche devait entrer dans certaines proportions entre les différents diamètres et la hauteur. Ces connaissances pouvaient également relever dans certains cas de la simple esthétique des proportions.

Concernant la valeur moyenne du XVe siècle et la diffusion très faible des valeurs autour de cette moyenne 485 , nous pouvons la comparer aux valeurs des siècles précédents et en particulier du XIVe siècle. Pour ce qui est de l’écart-type, il reste très faible, à 0,05, c’est-à-dire la même valeur que pour le siècle précédent. Ces cloches sont donc peu différentes les unes des autres dans leur rapport entre hauteur et diamètre. La variation de cette moyenne et de la médiane 486 est faible par rapport au siècle précédent 487 .

Comme l’évolution entre le XIIIe et le XIVe siècle nous l’avait déjà montré, cette variation est très faible. En conséquence, il apparaît clair que la cloche gothique est l’archétype de la cloche moderne. Ce modèle s’est mis en place très rapidement dès le XIIIe siècle moyennant la survivance de quelques cas exotiques. Compte tenu de cette remarque, qui implique une certaine mise en forme du son et du fait de la corrélation très directe entre profil et son 488 , nous pouvons voir que le son des cloches a été l’une des préoccupations centrales de la production campanaire gothique. Le son le plus travaillé est en fait le son de la principale et dans un second temps celui de l’octave. Nous ne possédons que très peu d’éléments nous permettant de connaître les relations entre les sons de différentes cloches issues de la même fonte et donc de la réflexion d’un seul fondeur ou entre les sons de deux cloches issues de coulées différentes et disposées dans le même clocher. Ils sont détaillés en 3.1.2.

Si l’on observe l’évolution générale des différents rapports (H/D et Ds/D principalement 489 ), on note clairement qu’après la période romane, les tracés ne font que s’affiner : en effet (voir fig. 931), cette évolution marque une forte variation entre les cloches antérieures au XIIe siècle et les cloches du XIIIe alors que cette variation est de plus en plus faible entre les siècles suivants.

La courbe obtenue pour le rapport H/D peut être assimilée au tracé d’une courbe dérivée de la fonction générique y = 1/x. Si l’on observe les variations de la courbe des maxima et des minima, on note également un resserrement de l’espace de distribution des valeurs. Cependant, au XVe siècle, nous enregistrons quelques spécimens très particuliers 490 . Globalement, la variabilité des cloches est donc moins forte à la fin du XVe siècle qu’elle ne l’était au début du XIIIe et encore moins que durant la période romane.

Les cloches répondent désormais à des normes qui sont presque uniformes pour l’ensemble du domaine de notre étude. Sans pouvoir présager d’une éventuelle formation commune à tous les fondeurs 491 , il est néanmoins certain que des modèles se sont diffusés sans que nous puissions dire précisément quelle est leur origine et quelle est l’ampleur exacte de leur diffusion. Il est possible que les fondeurs 492 soient parvenus au même résultat en plusieurs régions ou plutôt que la réussite du tracé des fondeurs d’une région ait entraîné la diffusion de ce modèle. Il est probable que cette seconde hypothèse soit la plus juste au vu de l’omniprésence sur le territoire français et même au-delà des fondeurs du Bassigny. Cette petite région est située entre Marne et Vosges, non loin des sources de la Meuse 493 .

Notes
481.

Valeurs incluses.

482.

Ds/D est compris entre 0,5 et 0,51.

483.

XVe siècle en particulier.

484.

Cet ouvrage reste l’ouvrage majeur pour connaître l’acoustique des cloches. Voir MERSENNE, 1636.

485.

En fait, la majeure partie des valeurs se trouvent situées entre 0,75 et 0,89 pour la plus grande partie (162 sur 182).

486.

0,83, c’est-à-dire égale à la moyenne.

487.

Valeur moyenne de H/D au XIVe siècle : 0,85 et médiane : 0,85

488.

Une étude permettrait sans doute de préciser cette relation et de calculer des valeurs qui seraient intéressantes pour l’ensemble des périodes.

489.

Le rapport Ht/D n’amène aucune information supplémentaire aux données fournies par l’étude du rapport H/D.

490.

Voir entre autres la cloche ou braillard du beffroi communal de Chalon-sur-Saône (71).

491.

A notre connaissance, il n’y a pas de documents portant des traces de telles organisations.

492.

Très itinérants : voir ci-après, le statut du fondeur en 3.4.1.1.

493.

Pour plus de détails, voir 3.4.1.2.4.