3.1.2 Accords des cloches gothiques : les clochers contenant plusieurs cloches médiévales

Nous entendons étudier ici des ensembles anciens ⁴⁹⁴ de deux cloches (ou plus) issues de la même coulée ou de coulées différentes. Ces ensembles sont assez peu nombreux et relativement mal répartis sur le territoire français.

A partir des quelques cas de tels ensembles campanaires ⁴⁹⁵ qui peuvent survivre de nos jours, nous pouvons essayer de voir dans quelles mesures les fondeurs ont accordé leurs cloches. Cela nous permet d’aborder très directement la musique médiévale. L’avantage de l’étude musicale systématique des cloches médiévales est de permettre l’étude d’instruments n’ayant généralement pas été réaccordés ⁴⁹⁶ . Le problème des autres instruments de l’époque médiévale est qu’ils sont généralement fabriqués dans des matières périssables (bois, cuir…) : ils ne sont donc souvent qu’assez mal conservé et ne sont plus en état de jeu. De plus, pour les cordophones ⁴⁹⁷ , le problème majeur qui est l’une des grandes discussions qui agitent les milieux des instrumentistes jouant sur des copies d’instruments médiévaux réside dans la tension des cordes qui permet d’avoir des notes plus ou moins graves. L’étude des cloches, instruments qui ne souffrent pas de la même façon des changements climatiques, permet donc d’approcher la réalité du paysage musical de l’époque gothique ⁴⁹⁸ .

Nous avons regroupé ici tous les ensembles que nous avons rencontrés quel que soit le siècle auquel ils se rattachent. Nous avons pu ainsi étudier onze ensembles constitués de plusieurs cloches du même fondeur et dix-sept ensembles comprenant deux cloches de l’époque médiévale mais de deux fondeurs différents. Les ensembles constitués de deux cloches produites par le même fondeur sont assez mal répartis dans l’ensemble de la France. Nous n’en trouvons en effet que dans l’Est de la France et dans le Roussillon. Le cas du Roussillon (département des Pyrénées-Orientales) est tout à fait exceptionnel : ce département regroupe à lui seul quatre des onze groupes de deux ou trois cloches. Cette situation d’exception est sans doute due à une bien meilleure conservation des cloches anciennes ⁴⁹⁹ . C’est le résultat, entre autres, de l’éloignement de ce département des zones de combat des guerres les plus récentes (en particulier les deux guerres mondiales). De plus, cette région n’a que peu connu de combats liés aux guerres de religion, qui ont été particulièrement « gourmandes » en cloches, en tant que bronze à canon, mais aussi en tant que symbole de la religion catholique. En fait, ce département est celui qui conserve le plus de cloches anciennes en France. De plus, elles sont très faciles d’accès ⁵⁰⁰ . Les autres ensembles sont situés dans diverses régions de France. La majorité d’entre eux se trouvent néanmoins dans la région Est prise au sens large. Ceci reflète également la composition générale du corpus qui comprend assez peu de cloches conservées sur la façade atlantique. La disparition généralisée des cloches anciennes sur ce domaine est difficile à expliquer. Si pour la région vendéenne la Révolution Française a sans doute été extrêmement destructrice, il n’en va pas de même pour l’ensemble du domaine atlantique.

Ces cloches de domaines géographiques assez variés ⁵⁰¹ peuvent néanmoins se regrouper en deux ensembles cohérents : les pièces issues d’un seul et même fondeur qui sont les ensembles les plus fréquents et les pièces issues de deux fondeurs différents et ayant généralement une date différente. Un ensemble de cloches non étudié dans le présent travail ⁵⁰² est particulièrement intéressant et devra constituer dans le futur l’un des points majeurs de l’étude des cloches de la fin de la période gothique. Dans le clocher de La-Valla-en-Gier (42), nous avons pu voir ⁵⁰³ cinq cloches du XVIe siècle. C’est donc l’ensemble de la population de ce clocher qui remonte à cette période ancienne : la plus ancienne date de 1532 et trois sont issues de la même coulée de 1584. Un tel ensemble nous permet de reconstituer assez précisément le paysage campanaire de ce village forézien à partir de la fin du XVIe siècle. De plus, les restes d’un petit carillon de type manche à balais ⁵⁰⁴ se trouvent également dans ce clocher. Cet ensemble constitue sans doute l’un des ensembles de cloches anciennes les plus intéressants de toute la France. Tous ces ensembles tendent à montrer que l’accord musical devient prépondérant.