3.1.2.3 Les autres cas : éléments de carillons et autres sonneries

Les autres ensembles campanaires constitués de plusieurs cloches du même fondeur remontent pour certains à une date assez haute. Ainsi, les plus anciennes cloches doubles sont sans doute celles de la tour Jacquemart de Romans-sur-Isère (26). Nous pouvons proposer une datation de cet ensemble dans le courant du XIIIe siècle. Les plus anciennes datées portent la date de 1268 et se trouvent dans le clocher de l’église St Georges de Haguenau (67). Nous trouvons ultérieurement des groupes dispersés assez régulièrement dans notre espace chronologique : en 1328, deux cloches sont fondues à Claira (66). En 1376/1377, trois cloches sont réalisées par Jean Jouvente pour la cathédrale de Sens 517 (89). En 1379, un fondeur réalise deux cloches pour l’église de Coustouges (66), puis en 1420, nous trouvons les deux cloches de Béost (64). L’ensemble le plus récent se trouve à St Paul de Salers (15). Il est constitué de deux cloches de 1467.

Les cloches de Romans 518 méritent une mention particulière pour ce qui est de leur aspect de surface. En effet, ces deux cloches ont une teinte argentée mate assez proche de celle que nous avons pu décrire pour la cloche d’Yronde et Buron (63). Il est donc probable que ces deux cloches sont composées d’un alliage contenant une forte proportion d’étain ou un apport volontaire de plomb.

La composition sonore de ces ensembles ainsi que la distribution des tailles de ces pièces montre un phénomène assez étrange. En effet, la plupart des ensembles sont formés de cloches de diamètre assez proche correspondant donc à des notes proches voire identiques. De plus, ces ensembles sont généralement composés de cloches de fort diamètre, souvent de l’ordre du mètre. Elles sont donc plus grandes que la moyenne. L’ensemble comprenant les cloches les plus grosses est celui de Haguenau (67) où les deux cloches anciennes mesurent respectivement 1,4 et 1,12m de diamètre. On voit dans ce cas particulier que l’écart entre les notes des deux cloches est faible et ne correspond pas à un écart musical classique. Il ne s’agit en effet dans ce cas que d’un écart de deux demi-tons : la cloche 1 émet un mi5 alors que la cloche 3 émet un fa#5. Cet ensemble de cloches n’est donc sans doute pas complet et comprenait à l’origine plus de cloches. A la vue de ces données, on peut supposer que l’ensemble devait à l’origine former une sorte de carillon ou tout au moins permettre de jouer certaines ritournelles 519 . Les deux cloches ont un profil proche qui diffère néanmoins assez nettement. Cela est dû au moindre soin du tracé de la cloche 3. Il est moins régulier. Les proportions générales de ces deux pièces sont assez proches et montrent bien que le même fondeur a officié afin de réaliser un ensemble harmonique.

Dans le cas de l’ensemble campanaire de Coustouges (66), les deux cloches ont en fait presque le même diamètre (82 et 81cm), comme dans le cas des cloches de Romans (26), où les deux pièces présentent le même diamètre (67cm). Ces deux cas semblent difficiles à expliquer. En effet, au vu de leur taille, ces cloches avaient déjà une puissance très suffisante permettant de diffuser le son assez loin. Le cas de Romans est différent puisque ces cloches qui sont déposées depuis une dizaine d’années étaient encore intégrées au carillon 520 qui se trouve dans la Tour Jacquemart. Elles ont donc pu faire partie d’un ensemble de type « proto-carillon » très tôt. Cependant, il n’existe pas dans la pratique actuelle de carillons possédant deux fois la même cloche et donc la même note. Cette présence de deux cloches émettant la même principale peut s’expliquer par l’utilisation particulière des cloches que nous avons pu voir dans l’Aude entre autres. En effet, on peut penser que pour l’une des deux cloches, le battant ne frappait pas à la pince, mais plus haut pour tirer de la cloche une autre note.

Le doublement de ces cloches de Coustouges 521 ne peut s’expliquer. On peut proposer l’hypothèse suivante : la volonté d’avoir la plus grosse masse possible de bronze dans le clocher, par fierté villageoise 522 . On ne peut en effet pas placer de cloche plus grosse dans ce clocher et la communauté a donc pu décider de faire deux cloches identiques ou presque. Leurs profils sont très proches, tant du point de vue de la dynamique générale (rapports Ds/D et H/D) que du point de vue du tracé du profil. Les tracés sont extrêmement proches, et peuvent être confondus. Les notes émises par les cloches de chacun de ces deux ensembles sont donc les mêmes au sein d’un même groupe. Pour les cloches de Coustouges, il s’agit d’un si4 alors que celles de Romans émettent deux notes légèrement différentes : un fa6 et un sol6 (deux demi-tons de différence). Cette différence est assez peu importante (135Hz contre un écart de 171Hz entre les notes normales selon nos normes actuelles) et correspond donc sans doute à une légère différence d’alliage modifiant les caractéristiques vibratoires du corps ou une différence faible dans le tracé du profil interne. Si la différence est due à une variation de l’alliage, cela montre que nous avons ici deux cloches qui ont été coulées successivement. En effet, si ces deux cloches avaient été coulées lors de la même opération, il ne devrait pas y avoir de différence dans la composition. L’analyse de ces cloches est donc une opération qui doit être prioritaire dans un programme futur de travail sur les cloches.

Notes
517.

Nous reprenons ici ces trois cloches car en l’absence de leur étude, nous ne pouvons dire de façon définitive si elles formaient ou non un ensemble d’horloge ou plus simplement les éléments d’une sonnerie d’église classique.

518.

Déposées devant l’entrée du Musée international de la Chaussure.

519.

Nous appelons ritournelles des airs assez simples qui ne nécessitent pas forcément une possibilité musicale (un ambitus) très étendue.

520.

Certes beaucoup plus récent pour le reste de l’ensemble.

521.

Le clocher roman ne pourrait contenir d’autres cloches : nous sommes donc en présence d’un ensemble conservé dans son intégralité. Des petites cloches plus récentes sont néanmoins rajoutées dans les baies extérieures.

522.

Les querelles de village voire de diocèse ont amené à la production durant le XVe et le XVIe siècle de cloches de très grandes tailles pour les cathédrales de Mende et de St Flour (voir TRIN, 1954). Suite aux guerres de religion, il ne subsiste plus de ces cloches que le battant de la Sans-Pareille, la « cloche-monstre » de Mende.