3.2 Les cloches gothiques : description des différentes parties techniques ; apparition d’un modèle majeur et de particularismes régionaux

3.2.1 Importance du corpus de cette époque

Le corpus de cette période gothique est de très loin plus important que le corpus étudié dans les périodes précédentes. Nous n’avons que très exceptionnellement recours à des exemples hors du domaine français. Sur les cinq cent onze cloches étudiées ou répertoriées sur le territoire français dans ce travail, près de cinq cents appartiennent à cette période, c’est-à-dire la quasi-totalité du corpus. A l’intérieur de la période gothique, la répartition est également très favorable pour le seul XVe siècle : trois cent soixante-dix cloches sont datées de ce seul siècle et quatre-vingt-dix-neuf du siècle précédent. Les trente et une cloches restantes sont quant à elles du XIIIe siècle. Ce corpus des cloches encore conservées est donc très largement décalé vers la fin de la période d’étude. Le corpus des structures campanaires fouillées et des profils restitués est par contre assez pauvre pour la période gothique. Les structures campanaires datant du Moyen Age tardif sont rares. L’un des exemples les plus intéressants de structures de production campanaire 556 provient de la fouille de la fonderie Bedern à York (RICHARDS, 1993). Nous la détaillerons plus loin dans la discussion sur le statut du fondeur de cloches. Nous n’avons utilisé que peu d’exemples étrangers. Ils ne sont que rarement publiés et sans doute notoirement plus nombreux comme les spécimens français.

L’âge moins élevé de ces cloches ne suffit pas à lui seul à expliquer la surreprésentation des cloches gothiques par rapport aux cloches des périodes précédentes. La qualité du profil et donc du son (cf. 3.1) permet d’avoir une cloche que l’on peut intégrer avec plus ou moins de bonheur dans un ensemble comprenant des cloches postérieures. De ce fait, lors de l’extension d’un ensemble campanaire, on n’ait pas ressenti la nécessité de fondre la cloche ancienne pour en refaire une nouvelle plus en accord avec les pratiques musicales du temps. Malgré ces qualités indéniables 557 , certains fondeurs que l’on peut qualifier d’indélicats ont persisté jusqu’à nos jours à refondre des cloches gothiques, y compris dans certains cas des cloches bénéficiant d’une protection patrimoniale… Les qualités intrinsèques de la cloche gothique, en particulier sa plus grande épaisseur que les cloches des périodes précédentes, a sans doute également favorisé la conservation des pièces de cette époque qui malgré une utilisation plus fréquente 558 se fêlent beaucoup moins facilement. N’oublions pas également la différence de composition. A partir de l’époque gothique, les fondeurs ont sans doute utilisé un alliage de meilleure qualité et plus proche des normes préconisées dès l’époque romane par le moine Théophile 559 . Cet alliage a sans doute limité l’apparition de fêlure. L’ornementation beaucoup plus importante de ces cloches est également à prendre en compte. Les communautés sont ainsi plus attachées à leurs cloches : la décoration y représente un témoin de leur passé et de leurs croyances. L’ensemble de ces éléments ainsi que le plus grand nombre de cloches produites durant cette période ont sans doute conduit à la conservation d’un plus grand nombre de spécimens.

Cet important volume (près de 250 cloches ont pu être relevées en détail) empêche la description détaillée de chaque pièce. Au cours des descriptifs typologiques, nous décrivons les critères généraux et les cloches les plus marquantes que l’on peut considérer comme des archétypes des différents aspects abordés qui caractérisent la cloche gothique. Les spécimens hors norme sont eux aussi détaillés. Ils témoignent des tâtonnements persistants.

L’importance du corpus présente également l’avantage de nous permettre d’affiner l’analyse et donc d’aboutir à une description plus fine de l’évolution que connaît la cloche à l’intérieur même de la période. Les différents siècles pourraient ainsi constituer autant de sous-périodes indépendantes. Cependant, nous ne les avons pas séparées car elles correspondent en fait à un seul événement : la volonté permanente des fondeurs de cloches d’améliorer les qualités sonores et également l’ornementation des cloches. L’évolution des goûts musicaux a sans doute été un facteur déterminant les variations de forme.

Concernant ce corpus, il convient d’ajouter qu’il n’est sans doute pas complet pour des raisons d’inventaire général des cloches déjà exposées dans la première partie (1.3.3.1.1). De plus, un certain nombre de cloches classées ne portant pas de date sont indiquées comme appartenant au XVIe siècle. Il est possible que certaines de ces cloches soient du XVe siècle tout comme il est possible que certaines des cloches ici présentées sans date comme étant du XVe siècle aient été fondues durant le siècle suivant. Compte tenu de la faible différence des formes et décors, ce problème de datation n’influe sans doute ni sur le résultat final de notre étude, ni sur les évolutions générales que nous avons pu mettre en évidence.

Notes
556.

En l’occurrence, il s’agit d’une installation que l’on peut qualifier de pré-industrielle.

557.

Ne négligeons tout de même pas que certaines cloches gothiques encore existantes sont de véritables « casseroles » tout juste bonnes à sonner l’appel aux offices…

558.

Sur l’utilisation des cloches durant l’époque gothique, voir ci-après, 3.4.2.

559.

80%Cu-20%Sn sans ajout de plomb.