3.2.2 Dimension des cloches gothiques

Malgré un agrandissement notable par rapport aux cloches du Haut Moyen Age, les cloches de la période précédente demeuraient des pièces de relativement petite taille : moins d’un mètre de diamètre, environ 600 à 700kg pour poids maximum des plus grosses pièces connues par les fouilles archéologiques. Les cloches appartenant à cette dernière période de l’art campanaire médiéval que l’on peut qualifier d’âge d’or de l’art campanaire sont de dimensions beaucoup plus variables. En particulier, elles peuvent être beaucoup plus grosses et également de poids nettement plus important car elles sont plus épaisses. Nous proposons donc ici une sorte de florilège des cloches les plus grosses et également les plus petites que nous avons pu inventorier.

La plus grosse cloche de toutes celles que nous avons inventoriées se trouve dans le campanile de fer forgé de la cathédrale St Jean-Baptiste de perpignan (66) et date de 1418. Elle mesure 2,02m de diamètre pour 2m de haut (anses comprises) et doit peser près de 3t selon les tables normales 560 . On peut donc voir qu’il y a une très forte progression des dimensions et du poids des cloches par rapport à celles de la période précédente. Une telle pièce n’est pas exceptionnelle durant cette période puisque nous trouvons également d’autres cloches de forte dimension. Ce sont les cloche de la cathédrale St Lazare d’Autun (71, 1,74m de diamètre, datant du XVe siècle 561 ), la cloche du beffroi de la mairie de Compiègne (60, 1,60m de diamètre, datée de 1303) et également la cloche de Lagnieu (01, 1,50m de diamètre, datée de 1495). Tous ces exemples dont le plus ancien (Compiègne, cloche de 1303) remonte au début du XIVe siècle montrent bien que les techniques ont connu une très grande évolution qui a permis la production de pièces de grande taille. Une telle évolution va de pair avec une augmentation des possibilités économiques des communautés commanditaires des cloches. De plus, bien que deux de ces cloches n’aient pas eu une fonction religieuse, cette augmentation témoigne d’une volonté d’augmenter l’emprise de la religion sur les esprits : le son devient nettement plus puissant et donc nettement plus audible. L’augmentation de la taille et du poids nous montre également que les techniques de fonderie se sont encore notablement améliorées. Elles permettent la fusion de plusieurs tonnes de métal en une seule fois.

Un extrait des Chronicon Montis Sereni nous signale une cloche d’assez grande dimension dès le début du XIIIe siècle :

‘Campana de 50 centenariis fudit, quam Hellembertus Havelbergensis Episcopus consecravit, Petronellam nominans. ( Chronicon Montis Sereni , anno 1206, cité dans DU CANGE, article campana , p. 56) ’ ‘On fondit une cloche de 50 centaines, qu’Hellembert, évêque de Havelberg, consacra [baptisa], la nommant Petronelle.’

Outre la mention de baptême que nous détaillons en 3.4.1.3, cet extrait nous indique que la cloche réalisée est de grande taille : elle pesait en effet 50 centaines de livres. Cela indiquerait une cloche d’environ 2 à 2,5 tonnes. Nous ne connaissons pas de cloches du début du XIIIe siècle pesant un tel poids 562 . Cependant, cette mention nous indique qu’une telle fabrication était possible. On peut donc considérer que dès le début de la période gothique, des cloches de grande taille ont peuplé les clochers des cathédrales et des grands monastères.

A l’autre extrémité de la chaîne, nous trouvons des cloches de très petite taille. Ainsi, l’une des plus petites cloches inventoriées est la cloche 3 de Géhée (36) : pesant une dizaine de kilogrammes, cette cloche du milieu du XIVe siècle mesure seulement 25cm de diamètre. Bien que se trouvant actuellement dans le clocher où elle est inutilisée, il s’agit plutôt d’une cloche de chœur. Ces très petites cloches sont rares. Le plus souvent, les cloches que nous avons pu inventorier ont une dimension moyenne de 50 à 80cm de diamètre, soit des cloches d’environ 500 à 1000kg.

Dans les différentes régions, nous trouvons généralement des cloches d’à peu près toutes les dimensions. Cependant, une région est caractérisée par des cloches qui, sans avoir des dimensions exceptionnelles, sont néanmoins des cloches de grande taille : en Alsace, la plupart des cloches que nous avons pu étudier mesurent entre 1m et 1,20m de diamètre, ce qui constitue un lot particulièrement important au regard des dimensions moyennes rencontrées dans les autres régions. Cette différence est difficile à expliquer. Peut-être une plus grande aisance économique permettait-elle de produire des cloches de plus grand diamètre. Les communautés ont également pu préféré systématiquement conserver des cloches de fort diamètre pour pouvoir garder une plus grande puissance sonore.

Cette augmentation de la taille et du poids des cloches témoigne sans doute d’une meilleure technique qui permet de fondre de plus importantes quantités de métal. En particulier, au regard de cette augmentation du poids, il convient de se demander si les fondeurs n’auraient pas commencé à utiliser à cette époque un four différent du petit « purgatoire » décrit par le moine Théophile. Il paraît en effet impossible d’avoir pu brasser et amener en fusion en une seule fois près de 3t de métal dans ce type de four pour réaliser la cloche de la cathédrale de Perpignan. La création de four de plus grande capacité peut seule expliquer une telle augmentation de la masse des cloches. Cependant, il n’est pas possible de dire si le four de grande capacité est un four de réverbère 563 très utilisé durant l’époque moderne pour tous types d’opérations métallurgiques.

Au vu de la gamme des dimensions des cloches que nous avons pu relever, il apparaît évident que les qualités sonores sont devenues une norme très importante qui seule commandait 564 la fabrication de cloches plus ou moins grosses. Ainsi, on a véritablement produit durant l’époque gothique des cloches appartenant à des ensembles sonores complexes préfigurant le véritable carillon chromatique qui fera son apparition en Flandres durant le XVIe siècle 565 .

La conservation d’ensemble de plusieurs cloches issues de la même coulée 566 confirme le développement des qualités sonores. Les fondeurs cherchaient effectivement à réaliser des ensembles cohérents.

Notes
560.

Ces tables normales sont celles utilisées par les fondeurs actuels. La proximité typologique des cloches gothiques et des cloches actuelles nous permet de les utiliser pour évaluer le poids des cloches gothiques.

561.

Commandée par le cardinal Rolin dont le sceau figure en plusieurs exemplaires sur la cloche.

562.

Celle de Compiègne, postérieure de près d’un siècle, pèse sans doute plus de deux tonnes.

563.

Ce serait l’une des plus anciennes utilisations de ce type de four.

564.

Avec également la portée sonore pour pouvoir couvrir l’ensemble du domaine d’une paroisse avec au moins une des cloches.

565.

Cette apparition s’accompagne très rapidement de la création d’un répertoire spécifique. Voir entre autres le compositeur J. Van den Gheyn.

566.

Par exemple, les 2 cloches de Haguenau(67), datées de 1268, celle de Coustouges (66), de 1379 ou encore de Claira (66), de 1328…