3.2.3 Composition des cloches gothiques

Pour cette dernière période, en l’absence d’analyses de déchets métallurgiques découverts dans les ateliers ou de cloches encore existantes, nous n’avons pas de données nous permettant de connaître la composition des cloches. Nous en sommes donc réduits à émettre des hypothèses à partir de l’observation macroscopique des surfaces des cloches encore existantes. Nous présentons donc ici les quelques observations que nous avons pu faire sur des cloches remarquables du point de vue de leur patine.

Cette observation macroscopique complétée des éléments que nous connaissons pour les périodes antérieures, en particulier le Haut Moyen Age 567 , nous autorise quelques intéressantes remarques. Au vu des patines que nous pouvons observer sur les cloches antérieures telle celle du Puy-en-Velay (43), la patine de la cloche de l’église de Buron (commune d’Yronde et Buron (63)) semble nous indiquer que cette cloche datée de 1322 et de forte dimension (92cm de diamètre) est constituée d’un alliage qui n’est pas le standard décrit par le moine Théophile. En effet, la cloche de Buron, disposée sur un clocher-peigne assez ancien 568 , a une patine assez claire de teinte argentée ou blanc-gris mat. Il est possible qu’il s’agisse donc d’un alliage ternaire, contenant une certaine quantité de plomb comme dans le cas des cloches du Haut Moyen Age. Cependant, dans ce cas, l’apport doit être resté assez limité car il ne déforme pas notoirement le son et il n’a pas entraîné le bris de la cloche qui est toujours hebdomadairement utilisée pour convoquer les fidèles aux offices. L’aspect du métal 569 est lui aussi blanc argenté, un peu plus brillant que ce qu’il est après formation de la patine. De plus, elle ne semble pas souffrir d’une usure particulièrement forte qui imposerait son arrêt et sa mise au repos.

Dans la plupart des autres cas, la cloche présente une patine de couleur « bronze » tout à fait classique, c’est-à-dire de couleur vert-de-gris, mate. Lorsqu’il correspond au bronze campanaire classique, ce type de patine est très stable quelles que soient les conditions d’utilisation de la cloche 570 . Cette patine forme une véritable couche de protection du métal.

Dans quelques cas, nous avons pu observer une surface très irrégulière comprenant de nombreuses bulles, rendant parfois la lecture des motifs décoratifs délicate 571 . Ce défaut de surface peut être dû à divers éléments qui ne mettent pas forcément en cause la qualité du métal. Les différents éléments sont : d’une part la fonte du métal qui peut être insuffisamment mélangé et coulé à une température à peine trop froide, conduisant à des dégagements gazeux lors du refroidissement du métal et d’autre part une trop forte température de l’alliage, conduisant à une certaine vaporisation d’éléments annexes de l’alliage. Une mauvaise préparation du moule mal séché et séchant brutalement à la coulée peut dégager des gaz lors de la coulée du métal et conduire à ce genre d’imperfections. Toutes ces possibilités ont sans doute concouru à la formation de ces surfaces irrégulières.

Dans le cas du travail du fondeur aux oiseaux 572 (cloches de Roquefère et Roquefeuil, communes toutes deux situées dans l’Aude), les compétences métallurgiques du fondeur sont sans doute à mettre en cause 573  : en effet, la surface est oxydée d’une façon différente de l’oxydation classique, c’est-à-dire la patine vert-de-gris. Sur les deux cloches, cette oxydation se marquent par une desquamation en feuillet rencontrée dans ces deux seuls cas. De plus, ces cloches ne sont pas proches de la mer où la plus forte teneur de l’air en iode pourrait expliquer cette évolution 574 . La composition du métal même paraît le seul élément susceptible d’expliquer cette forme particulière d’oxydation. Il est possible que ce phénomène soit dû à une trop grande présence d’étain qui aurait déséquilibré la chimie de l’alliage et provoqué une ségrégation. L’originalité de cet alliage n’est peut-être pas involontaire ou liée à un mauvais approvisionnement pour la fabrication d’une des cloches. Elle correspond plutôt à une habitude de ce fondeur qui pensait sans doute bien faire et améliorer ces cloches en procédant à cette modification. Il n’en est rien. Le son est relativement « standard » et ne possède pas de qualités particulières ni de portée supérieure à la normale. Cette originalité amène de plus des problèmes 575 pour la conservation de ces cloches. Il conviendrait de les analyser afin de comprendre précisément le phénomène.

Au vu des patines, seul élément dont nous disposions en l’absence d’analyses, il semble que cette période gothique soit la période de la normalisation de la composition du bronze campanaire, sans doute selon les normes du moine Théophile. Cependant, il subsiste quelques fondeurs qui essaient d’autres alliages par souci d’économie ou par volonté d’expérimentation de nouvelles possibilités techniques. Ce sont des réussites plus ou moins heureuses. Les expérimentations qui ont sans doute été effectuées montrent que les fondeurs, relativement conservateurs du point de vue artistique 576 , ont néanmoins été sensibles au progrès technique. Ils ont essayé d’apporter leur part à l’amélioration des techniques. Nous sommes sans doute en présence de techniciens plutôt que d’artistes sensibles au goût de la mode.

Deux cloches méritent ici une mention très particulière. En effet, malgré la quasi-omniprésence du bronze, certaines cloches ont été fabriquées en fer. Il s’agit néanmoins d’objets très différents des cloches de fer battu que nous rencontrons pour le Haut Moyen Age. Ce sont des cloches réalisées en fonte de fer. Ces cloches se trouvent dans deux régions assez différentes : la plus ancienne sans doute se trouve à St Pierre de Belleville (73) alors que l’autre se trouve à Baudonvilliers (55). Dans les deux cas, le métal présente une surface granuleuse irrégulière. Il est plus ou moins noir et ne présente pas de rouille. Ces cloches ne sont donc pas constituées de fer doux pur mais sans doute d’un alliage contenant un élément protecteur. Des analyses doivent être menées pour mieux comprendre cette bonne conservation. Par leur profil, ces deux cloches sont très différentes (voir 3.1.1.1), et montrent que la qualité du métal n’implique pas totalement les qualités sonores.

Le bronze devient donc véritablement le seul alliage qui est réellement considéré comme un « métal » campanaire 577 . Le fer n’est utilisé qu’accessoirement sans doute pour pallier des difficultés d’approvisionnement en cuivre et étain.

Notes
567.

Période où le bronze d’alliage était ternaire, comprenant en supplément du plomb.

568.

Datant de la fin du Moyen Age sans doute.

569.

Visible sans patine sur le point d’impact du battant.

570.

Que ce soit dans un clocher fermé, ouvert à tous les vents ou sur un clocher-peigne, tant en montagne qu’en plaine ou en bord de mer.

571.

Cloches de Méry-es-Bois (18) et Roquefeuil (11) entre autres.

572.

Nous avons baptisé ainsi ce fondeur du fait de la grande originalité de la forme de ces caractères : pour une présentation plus détaillée, voir ci-après la description des différents types de caractères utilisés.

573.

Ses qualités artistiques semblent par contre indéniables au vu de l’originalité de ses réalisations.

574.

Voir la cloche d’acier de La Réorthe (85), fabriquée par Holtzer et Cie en 1866, très fortement oxydée, et dont l’avenir paraît incertain alors même que l’autre cloche datant de 1504 en bronze présente une patine tout à fait classique… Le type d’alliage différent peut expliquer l’attaque particulièrement forte subie par cette cloche.

575.

Ces problèmes sont très légers et ne mettent pas en cause la survie immédiate de la cloche.

576.

On retrouve une ornementation gothique jusqu’au milieu du XVIIe siècle…

577.

Rappelons qu’au cours du XVIIIe siècle (voir annexe I), l’alliage campanaire est appelé « métail ».