3.2.4.1.2 Forme

La pince peut être divisée en deux parties : la pince interne qui est le point de frappe du battant proprement dit et la pince externe qui est en quelque sorte la partie visible de cette zone de frappe. Cette dernière est l’un des éléments visuels majeurs de la cloche. En effet, elle structure la partie basse de la robe et son ornementation.

Selon le critère utilisé, nous pouvons mettre en évidence plusieurs catégories de pinces. Ainsi, certaines ne peuvent pratiquement pas se distinguer de la robe. La faussure est très peu marquée alors que d’autres marquent très fortement le relief de la cloche. De plus, il y a des pinces qui ont un profil courbe alors que d’autres sont tracées à l’aide de lignes droites ou de section de courbe de grand rayon 587 . Ces distinctions permettent de distinguer des ensembles ou des familles de cloches qui sont sans doute le fruit de plusieurs traditions. Elles sont principalement les héritières des modèles rencontrées à partir du Haut Moyen Age. Ces différences n’ont que peu d’influences sur le son et relèvent donc de l’esthétique pure. Elles n’influent pas non plus sur l’épaisseur et donc la résistance. Les différentes catégories que nous avons choisies de distinguer 588 sont au nombre de sept. Nous croisons deux paramètres différents :

Les deux éléments majeurs que nous présentons dans ce travail sont étudiés conjointement. Nous avons donc au total sept catégories : A1, A2, A3, B1, B2, C1, C2. En effet, comme nous l’avons signalé précédemment, les pinces concaves sont extrêmement rares et ne se rencontrent que sur des pinces très nettement délimitées. Cela s’explique aisément : si la pince est concave, la limite avec la faussure est forcément très nette : on passe d’une courbure concave sur la pince à une courbure convexe pour la transition entre pince et faussure. Les cas B3 et C3 ne sont donc que des cas théoriques. Nous ne faisons ici que l’étude statistique générale. L’étude des différentes évolutions et particularités régionales est renvoyées dans le chapitre 3.2.5.

Si l’on observe tout d’abord l’évolution de la netteté du contour des pinces, on constate une évolution très nette. La tendance générale au cours de toute l’époque gothique 589 montre une netteté grandissante des pinces au cours du temps. En effet, si durant le XIIIe siècle les trois grands types de pinces 590 sont toutes présentes dans les mêmes proportions 591 , montrant que les fondeurs sont encore en recherche d’une ligne dominante, les pinces nettes deviennent presque majoritaires (47%) pour le XVe siècle. De la même façon, les pinces invisibles ou presque sont de moins en moins nombreuses : de 33% durant le XIIIe siècle, elle ne sont plus que 28% au XIVe siècle puis 17% au cours du XVe siècle. Par contre, les pinces peu nettes restent toujours à peu près aussi nombreuses, oscillant aux environs d’un tiers des spécimens : 33% au XIIIe, 39% 592 au XIVe, puis 36% au XVe siècle. Les pinces peu nettes restent assez présentes sans connaître de véritable développement ni de disparition. Les pinces les plus nettes sont en net progrès. Elles se développeront encore au cours des siècles suivants 593 . Par contre, les pinces presque invisibles et indistinctes disparaissent pratiquement à la fin de la période médiévale. L’affirmation de la pince comme élément existant et structurant de l’ornementation campanaire montre que la décoration de la cloche devient un élément important. Elle devient de plus le support d’une partie de l’ornementation à l’extrême fin de la période étudiée et jusqu’à nos jours. En effet, nous trouvons fréquemment sur les pinces des cloches modernes et contemporaines des frises généralement végétales et la signature du fondeur. De plus, parallèlement à l’augmentation générale des proportions des cloches, le développement de la pince 594 permet une utilisation plus fréquente de la cloche qui devient plus résistante. En effet, si l’on arrête l’utilisation de la cloche au même taux d’usure, elle peut néanmoins être utilisée plus longuement.

L’observation de la forme des pinces nous montre également une nette évolution au cours de la période gothique. Il convient d’éliminer tout de suite le problème des pinces concaves qui ne sont présentes qu’en deux exemplaires : l’un date du XIVe siècle (superbe cloche de St Gaudens (31) datée de 1356) et l’autre remonte au XVe siècle (braillard de Chalon sur Saône (71) de 1429 déjà décrit précédemment). Les pinces de ces deux cloches ne sont que des aberrations de pinces droites légèrement recreusées. Il ne convient pas de trop s’appesantir sur ces pièces exceptionnelles. De plus, cette forme de pinces ne crée pas de modifications notables des qualités sonores.

La tendance générale de la répartition entre les deux types principaux de pinces 595 montre l’augmentation de l’importance des pinces droites. En effet, les cloches à pince convexe qui sont majoritaires au XIIIe siècle (56%) représentent tout juste la moitié des cloches du XIVe siècle (23 pièces sur 46) puis ne sont plus que 40% au cours du XVe siècle. Parallèlement, les pinces droites se développent dans les mêmes proportions. Il faut noter que sur les cloches présentant une pince droite, cette pince suit la tangente qui est l’élément permettant le tracé général du profil à l’aide du gabarit. Il va donc de pair avec le développement des cloches présentant une pince très nette. Ceci est aisément compréhensible : en effet, une pince droite 596 est la seule partie rectiligne du tracé du profil de la cloche. La rupture avec la faussure qui est une partie présentant en principe une forte courbure est donc nécessairement bien marquée. De plus, il convient de noter le développement de ce type de forme plus simple à réaliser sans doute qu’une pince courbe et harmonieuse alors même que le décor se complexifie et que le tracé général de la cloche devient plus fin. Il semble que cette partie basse dont le tracé précis n’amène rien aux qualités sonores de la cloche ait fait l’objet de moins d’attentions. Elle est tracée plus rapidement afin de se concentrer plutôt sur les autres éléments. De même, le tracé rectiligne est plus intéressant pour réaliser une décoration que le tracé courbe avec une très forte courbure (comme sur les plus anciennes pinces convexes). Le développement de la pince droite moins élaborée du point de vue de son profil que les autres pinces que nous avons pu décrire va donc de pair avec un développement de la réflexion sur le meilleur tracé possible pour réaliser une cloche qui ait un très bon son. L’aspect uniquement esthétique de la pince concave devient moins important : la cloche est réellement vue comme un instrument de musique.

L’observation de l’assemblage des deux données que nous avons pu étudier sur les pinces (voir fig. 28) nous montre que les pinces nettes droites sont les plus nombreuses de toutes les catégories à la fin de la période d’étude : 31% au XVe siècle. Le XIVe siècle est par contre marqué par la forte présence des cloches ayant une pince peu nette et courbe (24% : ce sont les plus nombreuses). Comme nous l’avons signalé ci-dessus, les pinces droites et les pinces nettes sont fortement liées, montrant la faible importance prêtée au tracé de la pince. Cela ne signifie pas pour autant que la pince ne soit pas fabriquée par un travail soigné. Du point de vue de sa finition, elle fait l’objet de la même attention que les autres parties du profil mais son tracé est plus rapide. Les différentes formes de pinces ne changent en effet pas les qualités de la cloche mais changent par contre fortement la perception de la cloche et de la réussite de son tracé.

Notes
587.

On les assimilera dans ce cas aux pinces droites.

588.

Choix relativement arbitraire qui permet d’effectuer une étude statistique.

589.

Pour les périodes précédentes, il n’est pas possible de faire des statistiques compte tenu du faible nombre de pièces conservées.

590.

Nette, peu nette et presque invisible.

591.

Six spécimens de chaque type.

592.

Elles sont alors les plus nombreuses.

593.

Observation non mesurée au vu de nos visites dans de nombreux clochers.

594.

Une pince plus nette est nécessairement une pince de plus forte épaisseur donc plus intéressante musicalement.

595.

Droite (2) ou convexe (1).

596.

Si l’on omet les filets qui sont généralement présents sur la pince.