3.2.4.4 Les anses

Arrivé au terme de la dissection des cloches gothiques que nous avons pu étudier, il convient de se pencher sur la partie qui permet la suspension de la cloche : les anses. Cette partie que nous n’avons pas relevée en détail du fait de sa relativement faible variabilité est néanmoins essentielle à la vie de la cloche. A moins d’une importante et lourde réparation, sa rupture entraîne l’impossibilité de l’utilisation de la cloche. Au cours de la période gothique, cet élément qui restait encore assez fruste et sans décor 624 dans les périodes précédentes devient plus important et connaît un développement qui conduit à pouvoir assujettir la cloche de façon sûre au joug. Ainsi on limite au maximum les risques de décrochement de la cloche. En effet, le développement des anses en couronne va de pair avec une sonnerie en volée lancée de pièces de grande taille. C’est le seul type de sonnerie qui nécessite un assujettissement particulièrement fiable.

Les anses simples qui sont les plus courantes durant les périodes précédentes sont des anses adaptées à des cloches de petite taille de poids relativement faible. Leur énergie cinétique de rotation est faible. En conséquence, la force d’échappement de la cloche lors d’une sonnerie en volée est peu importante. Cela permet de se contenter d’anses simples qui sont moins résistantes aux grands chocs. Les anses en couronne sont en fait les héritières des systèmes de suspension que nous avons pu observer sur les cloches du Haut Moyen Age allemand ou de l’époque romane (voir en particulier la cloche d’Haithabu). En effet, sur ces cloches, on trouve un anneau central particulièrement robuste renforcé par quatre petits joncs. Ces derniers sont disposés perpendiculairement à l’anse maîtresse. Ces petits joncs sont simplement présents pour permettre une meilleure stabilité de la cloche lors de sa sonnerie en volée.

Les anses gothiques 625 marquent néanmoins une progression importante par rapport à cet archétype. En effet, les différents joncs formant la couronne ont la même importance. L’anse est donc désormais formée d’un tenon central 626 particulièrement fort de section rectangulaire. Dans l’axe de sa grande longueur, on trouve deux anses renforcées perpendiculairement par quatre anses. Ces six anses sont toutes de la même importance et donc de la même résistance. Outre la meilleure tenue et le meilleur assujettissement au joug lors de la sonnerie en volée, ce système permet de mieux répartir les charges sur les différentes parties du cerveau lors du repos de la cloche ou de son tintement à l’aide d’un marteau extérieur. Ces anses deviennent la norme de l’époque gothique. Les anses simples ne sont plus alors réservées qu’aux cloches de petite taille. Elles disparaissent même presque complètement à partir du XIVe siècle 627 . De plus, ces anses en couronne qui sont des éléments particulièrement visibles de la cloche 628 deviennent des éléments décoratifs à part entière. Certaines sont ornées de têtes ou de masques grotesques dans leur partie les plus saillantes. Ce développement de la décoration des anses se produit surtout à partir du XVe siècle et est réservé aux pièces de grande taille. Pour les périodes légèrement antérieures 629 , ce décor se limite à la pose d’un filet torsadé 630 sur la partie la plus saillante des anses. De tels décors ont été retrouvés sur les fragments de moules d’anses des cloches de Salaise sur Sanne ou de St Maximin la Ste Baume (voir fig. 933). Des décors un peu plus élaborés mais non figuratifs existent aussi : dans ce cas, les anses sont formées de torsades prenant l’ensemble de l’épaisseur de l’anse.

Au cours de la période gothique, les anses ne connaissent pas d’évolution majeure. Cependant, nous pouvons signaler l’apparition puis la domination très rapide des anses en couronne qui viennent remplacer les anses simples qui sont trop faibles pour soutenir les pièces de grande taille que les temps gothiques nous ont légué. Par exemple, nous pouvons citer la cloche de Lagnieu (01) d’un poids d’environ 2 tonnes (voir fig. 41). Cet élément structurel devient également un élément décoratif puisqu’il peut porter des visages ou même des protomes de lion comme sur la cloche de l’Hôtel des Créneaux à Orléans (45, voir fig. 323).

Notes
624.

Si l’on omet les torsades comme on peut les observer sur les fragments de moule de Salaise-sur-Sanne.

625.

Ce sont celles qui sont encore utilisées de nos jours.

626.

C’est le pont du descriptif de l’Encyclopédie : voir annexe III.

627.

Pour les petites cloches des carillons actuels, on préfère la fixation par vis aux poutrelles métalliques constituant le beffroi. L’assujettissement est alors optimal.

628.

Sauf lorsqu’elles sont incluses dans des jougs très couvrants qui sont souvent des jougs plus récents et qui permettent une tenue optimale de la cloche.

629.

Période romane et jusqu’au XIIIe siècle.

630.

Au vu des traces visibles, ils sont généralement réalisés à l’aide d’une cordelette imprimée sur la fausse cloche.