La plaine alsacienne est la région qui se distingue le plus du reste de la France. En fait, il s’agit plutôt d’une région d’influence germanique que d’une région d’influence française. Bien que nous n’ayons pu atteindre l’ensemble des cloches, nous avons jugé avoir un échantillon représentatif de cette province campanaire très originale au regard des autres parties de la France. L’originalité alsacienne se place aux deux niveaux que nous avons définis : pour les profils et pour les inscriptions et décors.
Par les profils, la caractérisation des cloches alsaciennes se marque principalement par la forme de la pince et le rapport entre la hauteur tangentielle et le diamètre (rapport Ht/D : voir tableau 8). La forme du cerveau et surtout sa jonction avec la robe sont également assez caractéristiques Cependant, ces données n’étant pas véritablement quantifiables, elles ne peuvent pas apparaître sur une cartographie. La forme de pince la plus diffusée en Alsace est de type B1 (pour la définition, voir 3.2.4.1), c’est-à-dire une pince peu nette et convexe. Elle est quasiment absente du reste de la France. Elle se diffusera ultérieurement 637 au-delà du seul domaine alsacien. L’autre forme de pince que nous pouvons rencontrer en Alsace est une pince quasi-invisible convexe (type C1). Deux types seulement de pinces sont donc présents en Alsace. Dans tous les cas, la pince est convexe et n’est généralement que peu visible.
Par contre, dans le reste de la France, la situation est plus variée. Pour ce caractère, nous remarquons une petite extension méridionale du domaine alsacien dans le Doubs. Cette extension n’est que peu importante tant géographiquement que culturellement. On voit donc que les fondeurs alsaciens ont pu réaliser des cloches jusque dans le monde franc-comtois.
Concernant le rapport entre la hauteur tangentielle et le diamètre, le domaine alsacien est incorporé à un ensemble plus important qui englobe l’ensemble de la partie nord de la France (voir carte 3 et tableau 8). Nous retrouvons également ce groupe beaucoup plus au Sud dans le département des Pyrénées-Orientales et autour de ce département. La raison d’être de cette influence peut s’expliquer par les déplacements de fondeurs : voir ci-après 3.4.1.1. Sur ces deux domaines, la majorité des cloches rencontrées ont un rapport plutôt inférieur à la moyenne : les cloches de ces régions sont légèrement plus trapues que dans le reste de la France.
L’originalité de l’ornementation des cloches alsaciennes réside dans les inscriptions. En effet, le type de caractères utilisés est archaïque. Au XIVe comme au XVe siècle, les caractères les plus utilisés en Alsace sont les lettres onciales qui sont abandonnées plus rapidement dans le reste du territoire de notre étude où nous rencontrons parfois un mélange entre caractères gothiques et lettres onciales qui est en fait une étape intermédiaire. De plus, les caractères gothiques alsaciens sont nettement moins ornés que ceux que nous rencontrons dans les autres parties de la France. Les caractères gothiques alsaciens 638 sont presque dépourvus de fond. Dans le reste de la France, cette partie porte généralement un décor.
Trois catégories d’inscription dominent très largement les inscriptions des cloches de la plaine d’Alsace. Elles sont exclusives de toutes les autres. Les plus courantes sont les inscriptions de type E 639 qui mentionnent les donateurs et fondeurs. Il apparaît donc que la tradition pré-gothique remarquée sur les cloches allemandes 640 se maintient dans le monde germanique pris au sens large. Les autres inscriptions importantes sont dédiées au Christ et aux saints intercesseurs. Les inscriptions se rapportant au Christ sont de loin les plus nombreuses de ces deux catégories. Les proportions de ces différents types d’inscriptions sont assez différentes de celles que nous pouvons rencontrer dans les autres régions.
A de nombreux titres, la région alsacienne qui déborde légèrement par la trouée de Belfort se singularise de l’ensemble du domaine français. L’élément le plus marquant est sans doute la différence de profil qui est en fait constitué de tracés un peu plus « dur » où les courbes ont une moindre place. Les inscriptions ont également une place à part dans l’évolution de l’art campanaire français.
Les notations concernant les périodes ultérieures, en particulier la période moderne, sont issues de notre expérience des relevés campanaires et de l’observation sans étude de cloches postérieures. Il n’existe en effet pas plus de synthèse sur les cloches modernes qu’il n’en existait jusqu’alors pour les cloches médiévales.
Cloche de Schaeffersheim (67) par exemple : voir fig. 506.
Pour la signification des différentes lettres, voir 2.2.4.2.3.
Sur ces cloches chaque inscription ou presque mentionnait le fondeur et le donateur.