3.2.5.2 Les distinctions entre sud et nord de la France

En faisant abstraction du domaine alsacien trop original au regard du reste de la France, la seconde limite importante procède à un partage sud-nord en fonction de l’ornementation des cloches. Si nous observons le nombre de décors, les cloches du nord n’en comprennent qu’un nombre limité. Elles sont même le plus souvent totalement dépourvues d’ornements. Une droite sépare donc deux domaines selon un axe nord-est/sud-ouest. Globalement, cette ligne part de la Meurthe et Moselle, passe entre le Puy de Dôme et l’Allier puis englobe dans la partie nord les départements du Lot et de la Gironde (voir carte 11).

Dans la partie nord, cette absence de décor est un phénomène global, les cloches pouvant occasionnellement présenter un ou deux décors. La proportion de cloches vierges de décoration y est dominante, y compris pour le XVe siècle. Durant cette période, les décors deviennent très courants dans les autres régions. Certaines régions de ce vaste domaine nordique sont même totalement dépourvues de la moindre ornementation campanaire autre que l’inscription. La région la plus marquante est la Bretagne où nous n’avons pu relever le moindre motif ornemental. Cette différence du nombre et de l’existence même de représentation a sans doute une origine culturelle. Cette absence de décor dans ce domaine connu pour un très fort culte des saints est étonnante. Cependant, il faut se garder d’en tirer des conclusions compte tenu du faible nombre de cloches répertoriées dans cette région (voir carte 1). La différenciation entre les deux domaines nous montre donc bien une différence d’influence culturelle. La partie sud se caractérise par une influence méditerranéenne où la volonté d’orner tous les objets ressort fortement. Il faut donc sans doute voir dans l’ornementation des cloches une décoration à dominante ornementale qui sera très rapidement utilisée pour véhiculer un message théologique.

Le deuxième élément qui permet de faire une différenciation entre le nord et le sud de la France réside dans le type d’inscriptions utilisées sur les cloches. La ligne de partage se situe plus au nord de la précédente. Elle débute au même endroit puis passe au nord de l’Yonne et du Cher et se termine entre la Charente et la Vendée. Cette ligne est donc moins fortement inclinée et ne marque pas autant que la précédente un domaine atlantique. Au nord de cette limite, les inscriptions sont presque exclusivement des inscriptions de type E 641 , c’est-à-dire des textes non rituels. Elles se caractérisent principalement par la mention des donateurs et des fondeurs. Le plus souvent, dans la région Nord-Pas-de-Calais mais aussi dans le reste du domaine septentrional, il s’agit de mention des donateurs. Les fondeurs signent encore rarement leurs œuvres.

De plus, au XVe siècle, dans la région Nord-Pas-de-Calais, nous trouvons très souvent des cloches portant un nom de baptême. Cette pratique ne se répandra qu’à partir du siècle suivant dans le reste de la France. Nous pouvons donc affirmer que la pratique de la mention dans l’inscription du nom de la cloche est d’origine flamande. L’abondance des mentions de donateurs surtout mais aussi de fondeurs dans la partie nord de la France montre que dans ces régions, les personnages les plus importants socialement et qui avaient les moyens de payer la réalisation d’une cloche tenaient à ce que leur don soit connu. L’existence de cette séparation nous indique que le choix des inscriptions comme celui des décors repose sur la communauté ou les responsables de la communauté commanditaire et non sur la seule volonté du fondeur. Compte tenu de la standardisation des formules, il est possible que le fondeur ait proposé un catalogue des formules. Cependant, les communautés restaient relativement libres dans leur choix.

Un troisième et dernier élément nous permet de séparer les cloches du Nord de la France des cloches du Sud. Le rapport entre la hauteur tangentielle et le diamètre (rapport Ht/D : voir tableau 8) marque la différenciation des profils. A la différence des décors et inscriptions, ce type de différence caractérise une différence d’influence entre les fondeurs. Les habitudes religieuses des communautés n’entrent pas alors en compte. Dans ce cas, il faut noter que nous pouvons constituer trois ensembles distincts (voir carte 3). D’une part, la partie nord de la France, limitée vers le sud par une ligne se dirigeant du sud de l’Alsace au sud de la région Ile de France et qui remonte pour se terminer légèrement au sud de l’estuaire de la Seine. La deuxième partie correspond à une très large moitié sud de la France alors que la dernière partie est constituée par l’extrême sud de la France : Pyrénées-Orientales (66), Aude (11) et sud de la région Midi-Pyrénées (voir carte 3). Les cloches des deux domaines extrêmes sont généralement plus trapues que dans l’autre ensemble. On voit donc dans cette séparation les différences de formation des fondeurs qui forment effectivement deux groupes. Ces deux formes sont issues des formes de profils plus anciens. Les cloches les plus élancées sont les héritières des formes que nous avons pu voir dans certains cas comme la cloche du Puy en Velay (43) qui est une cloche préromane particulièrement élancée. Par contre, les cloches plus trapues qui sont celles que nous rencontrons dans le nord de la France sont plutôt les héritières des cloches germaniques que nous avons pu décrire précédemment ou aussi de la cloche hémisphérique de Fleury (St Benoît sur Loire, 45). Nous sommes donc en présence de deux traditions qui tendent néanmoins à se regrouper pour se fondre en une seule forme ou presque au cours des siècles suivants. Le point particulièrement intéressant de cette répartition est l’apparition d’un deuxième pôle de cloches trapues dans l’extrême sud de la France dans les régions pyrénéennes.

Cette implantation méridionale peut s’expliquer par l’itinérance des fondeurs. En effet, nous avons déjà noté pour les périodes précédentes que les fondeurs se déplaçaient, sans que nous puissions alors réellement déterminer l’importance de leurs déplacements. Par contre, d’après les documents archivistiques dépouillées en particulier par Louis Ausseil (AUSSEIL, 1962 et 1986), pour cette dernière période, nous savons que les Pyrénées-Orientales 642 ont été l’une des terres d’élection des premiers fondeurs itinérants dont nous ayons des traces certaines. Ces fondeurs étaient originaires du Bassigny. Leurs dynasties sont détaillées en 3.4.1.2.4.

Notes
641.

Pour la signification des différentes lettres, voir 2.2.4.2.3.

642.

Pour l’Hérault, se reporter aux travaux de Joseph Berthelé (en particulier, BERTHELE, 1907) et de Jean Giry (GIRY, 1970).