3.4.1.2.3 L’apparition des dynasties

Face aux améliorations apportées par les fondeurs laïcs, en particulier dans le tracé du profil, il est probable que les établissements monastiques ont opté pour la modernisation de leurs cloches. Les fondeurs connus pour le XIVe siècle sont plus nombreux que pour les siècles précédents, ce qui est principalement dû à une meilleure conservation des archives. Soixante-quatre fondeurs sont connus dont quinze le sont uniquement ou presque par le biais de leurs œuvres qui sont encore conservées. Ceci montre donc l’importance des signatures sur les cloches encore pour notre connaissance des fondeurs anciens.

Sur les soixante-quatre fondeurs du XIVe siècle, cinquante et un sont des fondeurs de la seconde moitié de ce siècle, montrant le développement des ressources archivistiques disponibles au cours du temps. Parmi ces fondeurs, ils convient de citer en particulier les différents membres de la famille De Croizilles. Pour cette seule famille, nous connaissons trois membres au cours du XIVe siècle et uniquement au cours de ce siècle-ci. Cette famille est connue par deux pièces encore existantes 670 et également par des documents d’archives qui nous permettent de mieux les connaître. Ces trois fondeurs représentent en fait trois générations différentes. Il est probable que nous ne connaissons pas une génération puisque le premier fondeur a officié en 1303 à Compiègne 671 (60, cloche de l’Hôtel de Ville) et que nous conservons des traces de son activité jusqu’en 1348. Le deuxième membre que nous connaissons est Robert de Croizilles, auteur de la cloche du beffroi de Beauvais 672 (60). Robert de Croizilles a travaillé entre 1366 et 1398 selon les archives en notre possession (voir corpus). Dans les archives Berthelé, nous trouvons également la mention de Guillaume fils (ou Guillaume II) de Croizilles qui a travaillé avec son père Robert sur la cloche de Péronne (02) en 1398. Compte tenu des périodes de travail des différents fondeurs, il est probable que nous ne connaissons pas une génération entre Guillaume I et Robert de Croizilles. Nous avons donc ici la première attestation d’une véritable dynastie de fondeurs. Cette famille dont nous ne connaissons des œuvres que dans la région picarde semble être originaire de cette région. Nous ne possédons néanmoins pas d’informations précises sur leur origine. Ces personnes sont connues par leurs œuvres et également par quelques contrats comme pour la cloche de Péronne.

D’autres familles importantes apparaissent au cours de cette période et témoignent véritablement de l’installation de dynasties de fondeurs où il ne s’agit pas seulement de transmettre le métier à l’aîné des fils mais en fait à l’ensemble des descendants. Cela amène à des collaborations entre frères. Plusieurs cas nous sont connus. Par exemple, à Pencran (29) en 1365, les frères Roger et Marie Damel réalisent de concert la cloche qui est encore le bourdon en usage dans ce clocher. Il convient de noter que ces deux personnes sont sans doute originaires de Bretagne.

Le second pôle pour lequel nous connaissons un grand nombre de fondeurs est le Languedoc, en particulier les Pyrénées-Orientales où le dépouillement archivistique a été particulièrement important (voir AUSSEIL, 1962 et 1986). Dans ce cas, la plupart des fondeurs qui nous sont connus sont des fondeurs locaux comme dans l’Hérault 673 . Nous pouvons reconnaître ces fondeurs grâce à l’onomastique particulière : les fondeurs portent des noms catalans dans les Pyrénées-Orientales.

Nous trouvons également un nombre important de fondeurs en Alsace où il s’agit toujours de fondeurs alsaciens. Il ne semble pas qu’il y ait intrusion de fondeurs extérieurs, ce que l’étude typologique des cloches encore existantes nous montrait déjà. Par ce biais, nous voyons donc que l’uniformisation qui se fait jour et se renforce au cours de la période gothique est sans doute le fruit de l’itinérance des fondeurs et du brassage culturel en résultant. Pour l’Alsace, il est difficile de distinguer les différents fondeurs puisque nous retrouvons trois fondeurs du nom 674 d’André.

Notes
670.

En particulier la cloche du beffroi de la ville de Compiègne (60).

671.

Ce fondeur a officié avec Gilles de Bliki qui est cité en premier dans le texte de la cloche.

672.

Données issues des archives Berthelé. Cette cloche a disparu à la suite des deux conflits mondiaux.

673.

Si l’on fait exception de la présence de la famille Bezot.

674.

Ou plutôt du prénom.