3.4.2.3.2 Les sonneries laïques : réglementation et partage du temps de sonnerie

La concurrence entre cloches laïques et cloches religieuses doit être relativisée car les cloches municipales peuvent parfois être mises en place dans les cathédrales mêmes 704 . Elle se marque par le développement dans les villes des horloges et des tours d’horloge municipales. Ces tours spécifiques se rencontrent principalement dans les villes de la moitié nord de la France. Les cloches disposées pour sonner les heures des horloges qui sont des heures de durée fixe au cours de l’année sont elles aussi fixes. Elles sont souvent enfermées et suspendues dans des cages de fer forgé qui les rendent difficilement accessibles 705 et ne peuvent donc produire des types de sonnerie variés mais seulement de simples tintements. Il s’agit donc d’une sonnerie au rythme particulier différent de celui des cloches religieuses, ce qui permet de les distinguer aisément. La fonction de ces cloches est uniquement le signalement des heures et occasionnellement la sonnerie du tocsin. On rencontre également quelques cloches servant à sonner les heures de marchés et quelquefois la fermeture des portes de la ville. Ce dernier type de sonnerie s’est poursuivi dans certaines villes 706 jusqu’à une date avancée du XXe siècle.

La mise en place et l’utilisation de ces cloches sont soumises à l’autorisation des potentats locaux, ce qui nous fournit des documents d’archives qui révèlent ce développement nouveau de l’art campanaire. Deux exemples de ces autorisations de sonnerie sont détaillés ici. Le plus ancien date du début du XIIe siècle. En 1122, on note dans le Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois :

‘Concessi etiam ut ibi tintinnabula haberentur, et proprii famuli illius domus audirent servitium, salvo pontificali et parochiali jure. ( Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois , édition Mabille, 1874, p. 167, cité dans MORTET, 1911, p. 363) ’ ‘Nous concédons qu’ils aient des petites cloches et qu’elles ne soient entendues que par leurs familiers dans leur maison pour le service, sans gêner les usages pontificaux et parroissiaux.’

Dans ce texte, on note en particulier que l’autorisation d’utiliser une ou plutôt des cloches laïques est donnée par le pouvoir religieux lui-même qui est dans ce cas le pouvoir civil du lieu. De plus, le texte précise bien que les cloches qui sont nécessairement de petite taille 707 ne doivent pas gêner les utilisations religieuses, « pontificali et parochiali ». Si les cloches d’usage non religieux apparaissent donc dès le XIIe siècle, leur contrôle en demeure tout de même très strict et il n’est pas question que ces cloches empiètent sur le domaine sonore des édifices religieux. En fait, l’apparition de ces nouvelles cloches ne fait qu’augmenter le tumulte sonore des différentes sonneries urbaines. Ce tumulte est bien mis en lumière par Alain Court pour la période moderne 708 .

Plus tardivement, en 1188, les documents produits durant le règne de Philippe Auguste nous indiquent également le développement des cloches non religieuses et donc le développement de ces nouvelles sonneries :

‘Concessimus ut campanam habeant in civitate in loco idoneo ad pulsandum ad voluntatem eorum pro negotiis villae. (Charte communale de Tornac, in Delaborde, Actes de Philippe Auguste, numéro 224, c. 36, cité dans NIERMEYER, 1993, p.122) ’ ‘Nous concédons qu’ils aient une cloche dans la cité dans le lieu idoine pour la sonner selon leur désir pour les affaires commerciales 709 de la ville.’

L’octroi d’une cloche de ville apparaît donc ici comme un droit régalien. La cloche qui est ici octroyée aux habitants n’est pas une cloche de tocsin mais une cloche destinée à rythmer les marchés en sonnant leur début et leur fin. Cette fonction commerciale n’est sans doute pas nouvelle et peut avoir été remplie antérieurement par l’une des cloches de l’église. Il est intéressant de noter que le roi dit que cette cloche doit être placée dans le lieu idoine laissant ainsi à la communauté la possibilité de bâtir un bâtiment spécifique comme cela se fera ultérieurement à Auxerre (89) par exemple. Si on ne parle pas encore de la mise en place d’une véritable horloge municipale, ce texte va dans le sens d’une généralisation de cet équipement au cours des derniers siècles du Moyen Age.

Notes
704.

Voir entre autres le cas de la cloche de Bourges (18) datée de 1372.

705.

Ce cas est courant dans le sud de la France.

706.

Comme à Strasbourg (67) où la cloche de dix heures qui signalait la fermeture des portes de ville est encore sonnée quotidiennement.

707.

Elles sont qualifiées de « tintinnabula ».

708.

Voir COURT, 1989.

709.

C’est-à-dire le marché ou les foires.