CONCLUSION

Arrivé au terme de ce travail, nous pouvons nous pencher de nouveau sur les questions que nous avions posées au départ. Ces questions se regroupent en deux thèmes majeurs : d’un côté la chronologie de l’art campanaire, de son apparition et de son développement ; de l’autre côté, les aspects techniques. Du point de vue de la chronologie, sans amener de réponses définitives à la question des origines de l’emploi des cloches dans la liturgie chrétienne, nous pouvons quelque peu préciser le début de cet usage. Les premières cloches d’usage liturgique apparaissent dès le VIe siècle. Ce sont les textes qui permettent de tirer cette conclusion. Ultérieurement, nous avons mis en évidence une évolution des fonctions de la cloche, ces fonctions étant plus nombreuses au cours du temps et sortant du seul domaine de l’église à la fin du Moyen Age. Formes et décors ont également évolué, la cloche devenant un véritable instrument de musique, vecteur de messages symboliques. A partir d’essais aux aspects variés, on aboutit à la fin du Moyen Age à un modèle générique qui est celui encore utilisé de nos jours. Le Moyen Age est donc la période essentielle pour le développement des cloches occidentales, de leur naissance à leur mise au point.

Concernant la technique, les apports sont également importants. Nous pouvons noter que la fabrication des moules et donc des cloches telle que nous pouvons l’observer dans les fouilles archéologiques correspond bien aux techniques décrites par les manuels médiévaux et modernes, en particulier celui du moine Théophile. Ces descriptions sont donc bien le reflet de la réalité.

L’étude du son et du profil des cloches montre qu’au cours du Moyen Age, ce problème est devenu central et très tôt, on a cherché à produire des cloches de bonne qualité sonore. Très rapidement, les composantes majeures du son de la cloche ont pu être identifiées et donc utilisées et maîtrisées correctement. Le carillon apparaît de façon certaine au XVIe siècle (peut-être antérieurement) grâce au haut niveau technique atteint par l’art campanaire à la fin du Moyen Age.

Le dernier aspect important réside dans le contexte social et religieux qui entoure la cloche. Les cloches sont en effet révélatrices de plusieurs domaines d’influence, qui correspondent à des aires culturelles différenciées, en particulier le nord et le sud de la France. Les cloches sont effectivement porteuses de messages relatant les difficultés rencontrées par les communautés et donc leurs préoccupations majeures.

Derrière les cloches, on voit également l’existence d’hommes, les fondeurs. Ces hommes ont parfois signé leurs œuvres, témoignant de leur travail et de l’intérêt qu’ils y portaient. On remarque ainsi que très tôt, ces personnages sont itinérants et peuvent parcourir de grandes distances afin de réaliser des pièces. Ils montrent ainsi un brassage culturel important. Ce sont en fait de véritables colporteurs de sons. Cet aspect que les études locales mettaient déjà en évidence ne ressort ici que plus nettement grâce à la grande superficie d’étude.

Suite à ces apports, de nouveaux axes de recherche se profilent. Tout d’abord, toutes les cloches françaises ne sont pas inventoriées et notre corpus ne comprend sans doute pas l’ensemble des cloches antérieures à 1500. Il conviendrait donc de parvenir dans un premier temps à un réel pré-inventaire campanaire tant à l’échelle française qu’à l’échelle européenne. En effet, les différentes influences que nous avons pu voir montrent assez clairement que le raisonnement ne peut pas se faire à une échelle nationale mais à plus grande échelle, à l’échelle du continent. Pour les périodes les plus anciennes, cela permettrait de disposer d’un véritable corpus exploitable statistiquement, de bénéficier d’un véritable corpus européen. Des difficultés importantes se font jour : les cloches de France (et donc sans doute celle des autres pays européens) sont extrêmement nombreuses, les évaluations de la S.F.C. faisant état d’environ trois cent mille cloches de toutes dates. L’inventaire détaillé de toutes ces cloches est donc une œuvre titanesque même si une large part de ces cloches datent des XIXe et XXe siècles. Cet inventaire paraît néanmoins un travail absolument nécessaire afin que les responsables de la gestion du patrimoine connaissent réellement l’état des lieux et donc parviennent à une véritable gestion du patrimoine campanaire. Il faut également pouvoir accéder à toutes ces cloches, tant pour pouvoir effectuer les relevés que pour pouvoir entretenir les installations. Cela n’est pas toujours le cas, loin s’en faut.

Les recherches restent également ouvertes d’un point de vue moins global à l’échelle d’une ou deux provinces historiques. Il serait ainsi tout à fait possible d’envisager des études régionales (sur des secteurs relativement riches évidemment pour permettre d’aborder un point de vue statistique), voire plus locales qui se baseraient sur des relevés extrêmement détaillés des cloches (en particulier étude détaillée des décors), permettant ainsi de mieux cerner les différents fondeurs. De plus, de telles études locales peuvent prendre en compte les données archivistiques, ce que nous n’avons pu faire. Notre recherche doit donc être considérée comme un point de départ pour développer des recherches qui pourront être fructueuses.

Notre travail a laissé de côté un point important par suite d’un manque de matériel et de moyens. En effet, nous n’avons pas pu procéder à des analyses de la composition des cloches. De telles analyses que nous avons présentées dans la première partie, par exemple à l’aide d’un analyseur en fluorescence X, sont tout à fait envisageables et le matériel nous a été proposé par le Laboratoire d’Etude et de Conservation des Instruments de la Cité de la Musique. Cette proposition nous a été faite trop tard pour que nous puissions inclure de tels travaux dans le cadre de cette thèse. Il convient donc d’envisager une étude complémentaire sur les cloches que nous avons pu relever. Nous pourrons ainsi vérifier les hypothèses avancées à partir des quelques analyses effectuées et publiées en Allemagne en constituant un corpus assez important. Cette étude nous permettrait également de saisir d’éventuelles sources d’approvisionnement en métal (sur ce problème, voir NICOLINI et PARISOT, 1998). Ces analyses devraient dans l’idéal se développer sur l’ensemble des pays européens parallèlement aux inventaires.

De même, les limitations chronologiques que nous nous sommes imposé pour des raisons pratiques principalement n’ont pas réellement de raisons d’être et les cloches du XVIe siècle que nous n’avons pas manquées de voir dans de nombreux clochers ne présentent pas de rupture stylistique et technique majeure par rapport à celle des siècles précédents. Il serait donc souhaitable de les étudier car elles constituent une prolongation des cloches proprement médiévales et une annonce des cloches modernes et contemporaines. En résumé, l’idéal serait une étude globale des cloches de France jusqu’au XXe siècle mais la tâche est colossale. Il serait néanmoins intéressant d’envisager une extension de notre étude sur des périodes plus récentes où les cloches sont plus fréquemment signées. Nous pourrions ainsi tester les éléments que nous avons tirés de l’étude des cloches médiévales, en particulier les filiations techniques.

Antérieurement à notre période d’étude, il conviendrait de se pencher sur les cloches ou plutôt les clochettes de la période romaine qui ont pu être retrouvées lors de fouilles archéologiques. L’étude de ces objets menée en parallèle avec une réflexion sur l’origine des cloches d’appel qui sont notre objet d’étude éclairerait sans doute mieux l’origine de cette pratique.