C. AUX PRINCES

Jourdain de Saxe a été également lié aux princes et aux rois. Parfois, les relations sont familières, comme il dit lui-même dans une lettre aux moniales de Bologne : "La Reine enfin aime si tendrement les prêcheurs qu’elle s’est entretenue familièrement avec moi de ses affaires417." Parfois, le ton est plus dur. Ainsi Jourdain écrit à propos de l’empereur Frédéric II : "L’empereur est un homme qui ne sait ni respecter, ni écouter les religieux ; bien plus, comme il le dit lui-même, il lui est pénible de les voir : Dieu en sait les raisons418." Ce qui n’empêche pas Jourdain de corriger l’empereur avec un franc-parler certain :

‘Une fois, maître Jourdain vint trouver l’empereur Frédéric. Ils s’assirent ensemble, et, après un long silence : "Seigneur, lui dit enfin le maître, je parcours bien des provinces pour remplir ma charge, et je m’étonne que vous ne me demandiez pas de vous dire les bruits qui courent." L’empereur lui répondit : "J’ai des messagers fidèles dans toutes les cours et les provinces, et je suis au courant de tout ce qui se fait dans le monde." Le maître reprit : "Le Seigneur Jésus savait tout en tant que Dieu, et néanmoins il demandait à ses disciples de lui dire pour qui on prenait le Fils de l’Homme. Pour vous, vous n’êtes qu’un homme certainement, et vous ignorez bien des choses qu’on dit sur votre compte, et qu’il vous importerait beaucoup de savoir. On dit que vous pressurez les églises, que vous méprisez les décisions canoniques, que vous consultez les augures, que vous favorisez trop les juifs et les Sarrasins, que vous n’écoutez pas les vrais conseillers, que vous n’honorez pas le vicaire du Christ, le successeur du bienheureux Pierre, qui est le père des chrétiens et notre chef spirituel : assurément, tout cela ne convient pas à un personnage tel que vous." Et après être entré ainsi en matière, avec beaucoup de courtoisie, il lui fit la correction sur bien des points419.’
Notes
417.

Epistulæ, p. 38 : "Et ipsa regina tenerrime diligit fratres, quæ mecum de negotiis suis ore proprio satis familiariter loquebatur."

418.

Ibidem : "Imperator homo est, qui non novit revereri viros religiosos vel audire, sed potius, sicut dicit, graves sunt ei ad videndum. At propter hoc Deus scit."

419.

Vitæ Fratrum, III, 42, 2, pp. 137-138 : "Venit aliquando magister Iordanis ad Fridericum imperatorem, et cum sedissent simul et diu tacuissent, tandem ait magister : "Domine, ego discurro per multas provincias pro officio meo ; unde miror, quod a me non requiritis rumores." Cui imperator respondit : "Ego nuncios meos in omnibus provinciis et curiis habeo, et omnia scio, que fiunt per mundum." Cui magister ait : "Dominus Ihesus Chritus omnia noverat sicut Deus, et tamen a discipulis suis de se querebat dicens : "Quem dicunt homines esse filium hominis ?" Certe vos homo estis, et nescitis multa, que dicuntur de vobis, que vos scire plurimum expediret. Dicitur enim de vobis, quod ecclesias gravatis, sentencias curie contempnitis, auguriis intenditis, Iudeis et Sarracenis nimis favetis, consiliariis veris non acquiescitis, vicarium Christi et beati Petri successorem, qui pater christianorum et dominus vester spiritualis est, non honoratis, et hec certe vestram personam non decent." Et ita curialiter ingressus eum de multis correxit."