Toute prédication cherche l'efficacité. Est-il possible de discerner quelle a été l'efficacité de la prédication de Jourdain de Saxe ? Qui sont les frères qui entrèrent dans l'Ordre après l'avoir entendu ? Sait-on ce qu'ils sont devenus ?
La Cronica Humberti dit de Jourdain de Saxe :
‘Il fut très zélé à agrandir l’Ordre pour le bien des âmes. C’est pourquoi il se donnait tout entier pour attirer des personnes bonnes à l’Ordre. A cause de cela il séjournait toujours dans des lieux où se trouvaient des étudiants, et en particulier à Paris, sauf quand il devait se rendre à la curie424.’Les Vitæ Fratrum précisent cette affirmation :
‘Il fréquentait les villes où l’on étudiait. Il prêchait le Carême alternativement à Paris et à Bologne. Pendant son séjour les couvents ressemblaient à des ruches d’abeilles, tant étaient nombreux ceux qui entraient, ou qui sortaient, envoyés par lui dans différentes provinces. Dès qu’il arrivait quelque part, il faisait faire des habits, car il avait la confiance que Dieu enverrait des frères. Souvent ils se présentaient à l’improviste en si grand nombre, qu’on avait peine à trouver des habits425.’Ce que confirment les lettres de Jourdain aux moniales de Sainte-Agnès de Bologne. A de nombreuses reprises, Jourdain mentionne le succès de sa prédication, et indique aux sœurs les villes où il a prêché et le nombre de novices qui ont rejoint l’Ordre : vingt à Padoue426, un seul à Verceil427, puis huit428, huit-dix dont il ne précise pas la provenance, peut-être encore Bologne429, encore une dizaine à Verceil430, un seul à Padoue après un échec apparent431, puis dix432, trente-trois433, une trentaine434, trente autres étudiants dont il ne précise pas l’origine, peut-être Bologne435, vingt-et-un à Paris436, puis une quarantaine437, septante-deux438, douze ou treize à Verceil439, une trentaine à Padoue440. A cela on peut encore ajouter les soixantes écoliers parisiens peu instruits dont parle Thomas de Cantimpré441. Ce qui donne un nombre de près de quatre cents frères, sans compter d’autres écoliers que mentionne Jourdain dans ses lettres sans en donner le nombre442. Tout cela constitue un indice suffisant qui permet de recevoir le chiffre avancé par les Vitæ Fratrum :
‘Parcourant la terre pendant près de vingt ans en-deçà de la mer et au-delà, annonçant le Seigneur Jésus-Christ par la parole et l’exemple, il attira plus de mille frères à l’Ordre443.’Connaît-on ces frères qui entrèrent si nombreux ? Sait-on ce que fut leur vie dans l’Ordre des prêcheurs ? A vrai dire, les indications sont rares. Quelques noms sont néanmoins connus, comme celui de Bertrand de Bello Castello, que cite Bernard Gui dans le De Fundatione et prioribus conventuum provinciæ tolosanæ :
‘Fr. Bertrand de Bello Castello, pour la seconde fois prieur, succèda à fr. Gui Navarre, (...) : maître Jourdain d’heureuse mémoire, comme je l’ai entendu d’un vieux frère qui a beaucoup vécu avec lui, le reçut dans l’Ordre à Paris, disant de lui : "Il en est un ici qui nous vole l’Ordre", parce que parmi d’autres qui étaient reçus dans l’Ordre, touché soudain par Dieu contre toute attente, il se mêla à eux secrètement, afin de recevoir l’habit avec eux. (...) Il fut le promoteur et le fondateur du couvent d’Agen, où il repose444.’Cette histoire est connue par les Vitæ Fratrum, qui rattachent cet épisode à l’entrée de vingt-et-un frères à Paris le jour de la fête de la Purification445. Une lettre de Jourdain mentionne également l’entrée de ces novices dans l’Ordre446.
Un autre frère dont on sait qu’il joignit l’Ordre après une prédication de Jourdain de Saxe est Albert le Grand. Les Vitæ Fratrum rapportent ainsi cet épisode :
‘Frère Albert le teutonique, maître en théologie à Paris, alors qu’il était jeune étudiant à Padoue, touché par les exhortations des frères et surtout par les prédications de maître Jourdain, se proposait d’entrer dans l’Ordre, mais il n’était pas parfaitement déterminé. Son oncle, qui vivait là, combattait son projet. Il lui fit jurer de ne pas aller chez les frères un certain temps. Ce temps écoulé, il s’affermit dans sa résolution, en les fréquentant davantage, mais la crainte de sortir le faisait beaucoup hésiter. Une nuit, il vit en songe qu’il était entré dans l’Ordre et qu’il en était sorti peu après. A son réveil, il se réjouit grandement de n’avoir pas donné suite à son projet et se dit en lui-même : "Je vois bien maintenant que si jamais j’y entrais, ce que j’ai tant redouté m’arriverait." Le jour-même il assista au sermon de maître Jourdain qui, entre autres choses, parla des tentations du diable et des ruses qu’il emploie pour tromper certains hommes : "Il y en a, disait-il, qui se proposent de quitter le monde et d’entrer dans l’Ordre ; mais le diable leur fait croire en songe qu’ils y entrent et qu’ils en sortent ; qu’ils chevauchent ou qu’ils sont en habit d’écarlate ; qu’ils se trouvent seuls ou avec leurs amis ; et cela pour les détourner d’y entrer, dans la crainte de ne pas persévérer, ou pour les effrayer et les troubler quand ils y sont déjà entrés." Le jeune homme, tout stupéfait, s’en vint trouver maître Jourdain, dès que le sermon fut fini, et lui dit : "Maître, qui donc vous a révélé le secret de mon cœur ?", et il lui découvrit toutes ses pensées et lui raconta son rêve. Alors maître Jourdain lui dit : "Aie une ferme confiance en Dieu. Je te promets, fils, que si tu entres, jamais tu ne sortiras", et il lui répéta plusieurs fois cette parole. Raffermi par ces paroles, il n’hésita plus et rentra dans l’Ordre. Frère Albert, racontant cela, dit que chaque fois qu’il avait eu dans l’Ordre des tentations du diable ou du monde, la promesse de ce saint homme lui avait été un remède singulier447.’Ce ne sont pas les étudiants seulement qui rejoignent l'Ordre, mais parfois aussi les maîtres qui justement cherchaient à les en détourner. Ce que raconte Jourdain dans l’une des ses lettres aux moniales de Bologne :
‘Tout d’abord, je trouvais les étudiants tout à fait insensibles et endurcis. J’avais presque fait mes adieux et j’allais partir quand soudain la main de Dieu toujours généreuse à notre égard, nous a amené maître Walter d’Allemagne, régent de logique, consommé dans son art, qui passait à l’université de Paris pour l’un des premiers parmi les maîtres. Il fut suivi de ses deux bacheliers les plus forts, et tous deux prêts, si je le voulais, à professer en logique ; l’un est provençal, l’autre lombard. Vinrent ensuite un excellent étudiant allemand en droit canon, chanoine de Spire, et recteur à Verceil des étudiants de sa nation ; un autre allemand très savant et très estimé, maître Godescalc, chanoine de Mæstricht ; deux provençaux pleins de talent, tous deux adjoints au maître en titre, pour enseigner l’un le droit canon, l’autre le droit civil. On eût dit que nous avions choisi toutes ces recrues entre tous les étudiants de Verceil. Bientôt plusieurs, également d’un grand mérite, les suivirent ; en sorte qu’en l’espace de quelques jours, nous en reçûmes douze ou treize. (...) Parmi les novices restés à Gênes, il y a un Crémonais de bonne réputation, assez versé en logique, de naissance noble à ce qu’on dit et fort bien doué, nommé Peregrinus.448.’Walter le Teutonique est connu également par les Vitæ Fratrum. Jourdain disait de lui qu’il était regens in logica, peritissimus artis suæ, qui etiam inter maiores magistros Parisiis habebatur, les Vitæ Fratrum qu’il était regens in artibus et in medicina valde peritus, mais il s’agit bien de la même personne :
‘Lorsque maître Jourdain, d’heureuse mémoire, prêcha à Verceil, qui possédait alors une université, il y attira dans l’Ordre, en peu de jours, treize clercs renommés et savants. Maître Walter d’Allemagne, régent es-arts et fort habile médecin, se trouvait dans cette ville, où on l’avait appelé pour enseigner, au prix de gros émoluments. A la nouvelle de l’arrivée de maître Jourdain, il dit à ses collègues et à ses élèves : "Prenez garde d’aller à ses sermons ; ne prêtez pas même à sa parole, car, ainsi qu’une courtisane, il polit ses discours de manière à séduire les hommes." Mais chose admirable, accomplie par le Seigneur ! Car celui-là même qui détournait les autres, fut pris le premier par la parole du maître, ou plutôt par celle de Dieu. Et comme la pauvre nature voulait l’empêcher d’entrer dans l’Ordre, il serrait les poings et s’en frappait les flancs comme de deux éperons, en se disant à lui-même : "Oui, tu iras, tu iras là." Il y vint en effet, et son exemple montra le chemin du salut à beaucoup d’autres449.’L’épisode suivant, que rapportent les Vitæ Fratrum, semble concerner un étudiant du même groupe :
‘Dans la même ville, il y avait un autre clerc distingué et très versé dans le droit. Apprenant un jour l’entrée dans l’Ordre de plusieurs étudiants, ses amis, il s’oublia lui-même, oublia tout ce qu’il avait dans sa maison, jusqu’à ses livres ouverts devant lui, qu’il quitta sans les fermer, et se mit à courir seul, comme un insensé, vers les frères. Quelqu’un de sa connaissance le rencontre en chemin et lui demande où il court ainsi tout seul, et sans ralentir le pas, il ne répond que ce mot : "Je vais à Dieu." Arrivé au lieu où étaient les frères, qui n’avaient pas encore de couvent à Verceil, et les ayant trouvés réunis avec maître Jourdain, il se débarrasse de son manteau de soie et se jette à terre au milieu d’eux, comme un homme ivre, ne faisant que répéter : "Je suis de Dieu." Maître Jourdain, sans autre demande, se contente de lui dire : "Puisque vous êtes de Dieu, nous vous consignons à Dieu, en son nom." Et se levant, il lui donna l’habit450.’Les étudiants qui entreront dans l’Ordre ne le rejoindront pas tous grâce à la prédication de Jourdain de Saxe, à laquelle ils assistent pourtant. C’est ainsi que les Vitæ Fratrum diront de Humbert de Romans : "Ni les prédications de maître Jourdain qui remuait alors beaucoup d’âmes, ni celles d’aucun autre, n’avaient pu encore le déterminer à entrer dans l’Ordre451." Plus que Jourdain, c’est Hugues de Saint-Cher qui aura une certaine influence sur Humbert de Romans. Ce qui ne sera pas retenu par les auteurs dominicains du siècle suivant. C’est ainsi que Galvano Fiamma attribuera à tort à la prédication de Jourdain l’entrée dans l’Ordre de Humbert de Romans et de Hugues de Saint-Cher452.
C’est avant tout parmi les étudiants de la faculté des arts que Jourdain de Saxe recrutera des frères. Et cette remarque sans doute autobiographique que fait Roland de Crémone, entré dans l’Ordre après un sermon de Réginald à Bologne453, en donne une explication :
‘Les logiciens entendent le prédicateur et entrent en religion... Et de quoi se remplissent les cloîtres, sinon de dialecticiens et de sophistes ? Il n’y a pas à s’en étonner : attentifs aux formes immatérielles, ils sont facilement persuadés des réalités spirituelles454.’Ce recrutement, fait dans la faculté des arts, sucitera un certain nombre de critiques dont on retrouve l’écho dans les Vitæ Fratrum :
‘On lui demandait un jour, pourquoi les artiens entraient souvent dans l’Ordre, tandis que les théologiens et les décrétistes n’y entraient que rarement. Il répondit : "Les paysans qui ne boivent que l’eau, sont enivrés plus facilement par le bon vin que ne le sont les nobles et les citadins ; ceux-ci ne trouvent pas le vin fort, parce qu’ils y sont habitués. Il en est de même des artiens, qui boivent toute la semaine l’eau d’Aristote et des autres philosophes. Aussi, lorsque les dimanches et les jours de fête, ils puisent dans le sermon les paroles du Christ ou de ses serviteurs, enivrés aussitôt du vin de l’Esprit Saint, ils sont pris et donnent à Dieu non seulement leurs biens, mais leur personne. Les théologiens, au contraire, entendent souvent ces choses, et il leur arrive d’être semblables à ces grossiers sacristains qui, à force de passer devant l’autel, ne se tiennent plus convenablement et lui tournent souvent le dos, tandis que les gens du dehors s’inclinent respectueusement455."’Comment expliquer le succès de la prédication de Jourdain ? La première réponse qui s’impose est sans doute la plus difficile à apprécier. Il s’agit de la gratia predicationis, la grâce de la prédication, selon ce qu’en dira un peu plus tard Humbert de Romans dans son traité sur la formation des prêcheurs : personne ne deviendra prêcheur sans un travail ardu, mais la prédication demeure un don de l’Esprit-Saint. A propos de la difficulté de l’office de la prédication, Humbert de Romans note :
‘D’autres disciplines sont acquises par la pratique fréquente. C’est en bâtissant qu’on devient bâtisseur ; c’est en jouant de la harpe qu’on devient harpiste. Mais la grâce de la prédication ne s’obtient que par un don spécial de Dieu. Au chapitre dix de l’Ecclésiastique, il est écrit : "Le succès d’un homme est dans la main du Seigneur." La glose interprète ce passage en référence avec le succès du prêcheur, car c’est seulement par un don de Dieu qu’un homme acquiert l’art de la prédication. Et il est plus difficile que tout pour un homme d’accomplir une tâche qu’il ne peut mener de son propre chef, mais sous la dépendance seule d’un facteur qui échappe à son contrôle. (...) Pour tous les autres arts, on trouve de nombreux maîtres, et il facile de les acquérir. Il n’y a qu’un seul maître de cet art, et peu nombreux sont ceux qui en ont la ressource, qui est l’Esprit Saint. (....) La grâce de la prédication s’obtient par un don de Dieu, pourtant le prédicateur prudent doit faire ce qui lui est possible, étudier avec diligence à faire une prédication, afin qu’elle soit digne de louange456.’Ce n’est pas la seule prédication de Jourdain qui se voulait persuasive, d’autres paroles l’accompagnaient. Fréquemment un dialogue s’instaure après la prédication. Le récit de l’entrée dans l’Ordre de saint Albert le rappelle. Ainsi vient-il trouver Jourdain et les paroles d’encouragement que celui-ci lui prodigue, et la promesse qu’il lui fait de ne jamais quitter l’Ordre s’il se décide à y entrer, décident le jeune écolier. Parfois c’est Jourdain de Saxe lui-même qui fait rebondir les paroles de sa prédication, comme en témoigne ce passage des Vitæ Fratrum :
‘Un jour de fête, après avoir prêché, il donnait l’habit à un écolier en présence de plusieurs autres ; s’adressant tout à coup aux assistants, il dit : "Si l’un de vous se rendait tout seul à une grande fête et à un somptueux banquet, est-ce que tous ses compagnons auraient assez peu de courtoisie pour qu’aucun ne voulût s’associer à sa joie ? Eh, bien, mes très chers, nous en voyons un qui est invité par le Seigneur lui-même à une grande fête : l’y laisserez-vous aller tout seul ?" Chose étonnante ! Telle fut l’efficacité de cette parole, qu’un écolier, fort éloigné jusque-là de la pensée d’entrer dans l’Ordre, s’élança aussitôt au milieu de l’assemblée et s’écrie : "Maître, voici qu’à votre parole je m’associe à ce banquet, au nom de Jésus-Christ" ; et il reçut l’habit avec l’autre écolier457.’Enfin, le succès de la prédication de Jourdain doit se comprendre dans le climat particulier des universités de la première moitié du XIIIe siècle. L’université de Paris, qui est au premier rang, en est le meilleur exemple. Selon Nicole Bériou : "C’est seulement depuis la fin du XIIe siècle, en effet, que la prédication connaissait, dans l’Eglise latine, un essor sans précédent. Tout au long du XIIIe siècle, il fut singulièrement accompagné, nourri et illustré par l’activité des maîtres et des étudiants qui peuplaient les écoles de théologie parisiennes458." Une double impulsion a été à l’origine de cet essor. Tout d’abord une impulsion épiscopale, qui cherchait à former les clercs, et par là réformer le peuple chrétien. A cette impulsion épiscopale répondit l’impulsion magistrale, sous l'influence de Pierre de Chantre, considéré comme le "Jean-Baptiste des frères mendiants459". C’est Pierre le Chantre qui, dans le Verbum Abbreviatum. affirme de l’école de théologie qu’elle a pour mission de préparer à la prédication, selon l’ordre suivant : lectio - disputatio - prædicatio 460. Evêques et maîtres favorisèrent ainsi la prédication :
‘Les uns et les autres ont rappelé à leurs auditoires, synodaux ou scolaires, les devoirs de leur charge ou de leur état de vie clérical et ils se sont évertués à donner aux clercs chargés d’âmes ou intellectuels, les moyens de remplir correctement leur mission. Une telle coïncidence des préoccupations des maîtres et des pasteurs fait toute l’originalité du milieu parisien, au moment où se dessine l’essor définitif des écoles de théologie461.’Parmi les élèves de Pierre le Chantre, formés à cet idéal du "docteur prédicateur", se trouva Lothaire de Segni, qui deviendra pape sous le nom d’Innocent III, et qui, en 1215 recevra saint Dominique et l’évêque Foulques de Toulouse, venus "au concile pour prier d’un même vœu le Seigneur pape Innocent de confirmer à frère Dominique et à ses compagnons un Ordre qui serait et s’appelerait des prêcheurs462." Formé à l’école de Pierre le Chantre, Innocent III saisit certainement immédiatement l’originalité et la nécessité d’un tel institut dans le cadre de la réforme qu’allait définir le concile de Latran IV.
C’est ainsi qu’en 1217, saint Dominique dispersa les frères dans différentes villes universitaires, dont Paris. Ce que rappelle le frère Jean d’Espagne dans le procès de canonisation de saint Dominique :
‘Frère Dominique (...) l’envoya à Paris contre son gré avec cinq frères clercs et un convers, pour y étudier, prêcher et fonder un couvent. (...) En même temps, il envoya d’autres frères en Espagne avec les mêmes instructions. Pendant que le témoin étudiait à Paris avec ses compagnons, maître Jean, doyen du chapitre de Saint-Quentin, alors régent de théologie à Paris, ainsi que l’Université des maîtres et des écoliers parisiens leur firent don de l’église Saint-Jacques, située près de la porte d’Orléans. Ils s’y installèrent, y bâtirent un couvent et y reçurent beaucoup de bons clercs qui entrèrent dans l’Ordre des frères prêcheurs463.’Le nouvel Ordre des prêcheurs épousera sans l’épuiser l’aspiration de la jeune université parisienne. Tout en créant leurs propres écoles de théologie, les frères comprirent très vite que le milieu étudiant était un vivier fécond pour le recrutement : "Les étudiants les plus réceptifs à la sollicitation d’un engagement apostolique étaient tentés de rejoindre les frères mendiants, qui ne se privaient pas de les y inciter464." Ce qui ne manqua pas de créer bien des oppositions.
Grâce personnelle, grâce de la prédication et contexte général de l’université naissante expliquent le succès de la prédication de Jourdain de Saxe. Et s’il n’est guère possible de mesurer les fruits de conversion qui y sont liés, ce qui est le propos premier de toute prédication, le recrutement de nombreux frères, entrés dans l’Ordre à la suite de sa prédication, permet d’en supposer l’efficacité.
Cronica ordinis posterior, MOPH I, Louvain, 1896, p. 328 : "Fuit autem eius summum studium ordinem dilatare propter fructum animarum. Propter quod totum se dabat ad attrahendas personas bonas ad ordinem. Et ideo immorabatur quasi semper in locis in quibus erant scolares, et precipue Parisius, nisi quando eum ire ad curiam oportebat."
GERALD DE FRACHET, Vitæ Fratrum ordinis Prædicatorum, III, 12, éd. Benedictus Maria Reichert, MOPH I, Louvain, 1896, pp. 109-109 : "Frequentebat autem ciuitates in quibus uigebat studium. Vnde quadragesimam uno anno Parisius, alio Bononie faciebat. Qui conuentus eo ibi morante apum aluearia uidebantur quamplurimis intrantibus et multis ex hinc ad diuersas prouincias ab eo transmissis. Vnde cum uenerat multas faciebat fieri tunicas, habens fiduciam in Deo quod mitteret fratres. Multotiens autem tot ex insperato intrabant, quod uix uestes poterant inueniri."
JOURDAIN DE SAXE, Epistulæ, éd. Angelus Walz, MOPH XXIII, Rome, 1951, p. 4.
Op. cit., p. 7.
Op. cit., p. 9.
Op. cit., p. 10.
Op. cit., p.16.
Op. cit., p. 23.
Op. cit., p. 24.
Op. cit., p. 25.
Op. cit., p. 30.
Op. cit., p. 34.
Op. cit., p. 38.
Op. cit., p. 46.
Op. cit., p. 47.
Op. cit., p. 57.
Op. cit., p. 68.
THOMAS DE CANTIMPRE, Bonum universale de apibus, II, 19, 2, Douai, 1605, pp. 226-227.
Litteræ, p. 68.
Vitæ Fratrum, III, 4, p. 102 : "Post predicando discurrens per orbem fere uiginti annis citra mare et ultra uerbo et exemplo annuntians dominum Ihesum Christum plus quam mille traxit ad ordinem.
BERNARD GUI, De fundatione et prioribus conventuum provinciarum tolosanæ et provinciæ "ordinis prædicatorum, éd. P.A. Amargier, MOPH XXIV, Rome, 1961, p. 112 : "Fr. Bertrandus de Bello Castello predictus secunda vice, successit fr. Guidoni Navarre predictus (...) Hunc, sicut audivi a quodam seniore fratre qui secum multum fuerat conversatus, recepit ad ordinem Parisius sancte memorie magister Iordanis, dicens de ipso : « Unus est hic qui furatur ordinem », quia inter alios qui ad ordinem ibi tunc recipiebantur, iste ex insperato, subito tactus a Deo, quasi latenter se immoscuit, ut indueretur cum eis. (...) Hic fuit promotor et fundator conv. Agennensis, ubi quiescit, sicut dictum est supra."
Vitæ Fratrum, III, 12, p. 109.
Epistulæ, p. 38-39.
Vitæ Fratrum, IV 13. 9, pp. 187-188 : "Frater Albertus Theutonicus, magister in theologia Parisius, cum iuuenculus studeret Padue, ex admonitionibus fratrum et maxime ex predicacionibus magistri Iordanis habebat sepe uoluntatem intrandi ordinem, sed non plenam. Auunculus enim eius, qui ibi erat, contradicebat ei. Vnde et iurare ipsum compulit, ne infra certum tempus iret ad domum fratrum. Post quod transactum ueniens frequenter ad fratres firmabat propositum, sed timo, ne exiret faciebat eum multotiens vacillare. Quadam autem nocte vidit in sompnis quod intrasset ordinem et quod post modicum exisset. Euigilans ergo miserabiliter est gauisus eo quod non intrauerat, in animo suo dicens : "Nunc uideo, quod illud, quod timebam, eveniret michi, si umquam intrarem." Contigit autem eadem die, cum interesset sermoni magistri Iordanis, qui inter cetera loquens de temptationibus dyaboli, quomodo subtiliter decipit aliquos, ait : "Sunt aliqui, qui proponunt relinquere mundum et ordinem intrare ; sed dyabolus facit eis impressiones in sompnis, quod intrent et post exeant et equitantes vel in rubeis uestibus uel solos uel cum dilectis inueniunt se, ut scilicet sic incuciat eis timorem intrandi, quasi non possent perseuerare, uel si iam intrauerunt, ut terreat atque conturbet eos." Tunc iuuenis vehementer miratus post sermonem accessit ad magistrum et ait : "Magister, quis reuelauit uobis cor meum ?" et exposuit ei omnes predictas cogitaciones suas et sompnium. Dixit igitur ei magister Iordanis : "Firma de Deo percepta fiducia. Promitto tibi fili quod si intraueris numquam de cetero exibis", replicans ei pluries uerbum istud. Ille ergo ad verba eius ex toto conversus et omnem moram rescindens ordinem introiuit. Hec autem omnia ipse frater Albertus narrans dixit quod ad omnes quas habuit in ordine temptationes siue a daybolo siue a mundo recordatio promissionis illius uiri sancti erat ei remedium singulare.
Epistolæ, p. 57 : "Primo scholares Vercellis inveni durissimos et quasi accepta licentia iam in procinctu fueram recedendi. Tum ecce subito secundum manum Dei bonam, nobiscum primus introivit magister Walterus Teutonicus regens in logica, peritissimus artis suæ, qui etiam inter maiores magistros Parisiis habebatur. Secuti sunt eum duo baccalarii probissimi, quos habebat, parati ambo, si voluissem, protinus ad regendum, unus Provincialis, alter Lombardus. Secutus est item quidam probus studens in iure canonico Teutonicus, Spirensis canonicus, qui rector erat Teutonicorum scholarium Vercellis. Secutus est item quidam optimus et probus Teutonicus magister Godescalcus, canonicus Traiectensis. Secuti sunt item duo Provinciales probissimi, quorum alter in decretis, alter in legibus legebat in cathedra pro magistris ita, ut prædictas personas videremus quasi ex omnibus scholaribus elegisse. Secuti sunt et alii plures utique bene probi ita, ut numero sint duodecim vel tredecim universi, qui in tempore brevissimo intraverunt. (...) Inter novitios, qui Ianuæ remanserunt, est quidam Cremonensis bene probus, in logica <ver>satus, homo nobilis, ut dicitur, et ad proficiendum bene dispositus, nomine Peregrinus"
Vitæ Fratrum, IV, 10, 3, pp. 173-174 : "Tempore quo beate memorie magister Iordanis predicabat Vercellis, nam tunc studium ibi erat, in paucis diebus XIII magnos clericos et litteratos traxit ad ordinem. Erat autem ibi magister Gualterus Teutonicus, regens in artibus et in medicina valde peritus, qui conductus erat magno salario ad legendum. Hic audiens magistrum Iordanem venisse ait sociis suis et scolaribus suis: "Cavete, ne eatis ad predicacionem eius, neque verba eius audiatis aliquando, quia sicut meretrix polet sermones suos, ut capiat homines." Sed mira res et a domino facta ; quia qui alios retrahebat ab eo, ipse primus captus est in sermone illius, immo verius Dei ; et cum sensualitas misera vellet eum ab ordinis ingressu retrahere, claudens utramque manum pugnis quasi calcaribus percuciebat latera sua dicens sibi : "Tu ibis illic, vere tu illic ibis." Venit ergo et receptus fuit ibi multis exemplum salutis."
Vitæ Fratrum, IV, 10, 4, pp. 174-175 : "Fuit eciam ibi quidam alius magnus clericus in iure peritus qui audiens ingressum quorumdam scolarium amicorum suorum, oblitus librorum, quos ante se tenebat apertos, quos nec eciam clausit, oblitus eciam omnium, que in domo sua habebat, solus quasi amens factus cursim festinabat ad fratres. Cum autem obviasset cuidam sibi noto, et quereret, quomodo sic solus currebat, non sistens gradum, hoc solum respondit : "Ego vado ad Deum." Venit autem ad locum, ubi se receperant fratres quia nondum domum ibi habebant, et inveniens magistrum Iordanem et fratres congregatos, proiecto quodam mantello serico, prostravit se in medium quasi ebrius, nichil aliud dicens nisi hoc : "Ego sum Dei." Magister autem Iordanis, nulla alia facta examinacione vel responsione premissa, hoc solum respondit : "Ex quo sitis Dei et nos in nomine eius consignamus vos ei." Et surgens induit eum. Hec autem duo narravit, qui interfuit illis, et hec vidit et audivit et unus de illis fuit."
Vitæ Fratrum, IV, 10, 2, p. 171 : "Nec ad predicacionem magistri Iordanis, qui tunc multos commovebat, nec alicuius alterius ad ordinis moveabatur ingressum."
GALVANO FIAMMA Chronica Ordinis Prædicatorum ab anno 1170 usque ad 1333, ed. B.M. Reichert, MOPH II, Rome-Stuttgart, 1897, p. 96 : "In M.CC.LIIII° anno a confirmatione ordinis XXXIX° die XXXI maii apud Budam frater Umbertus nacione Burgundus fit magister ordinis. Hic oriundus fuit de villa dicta Romanis, dyocesis Viennensis in Burgundia. Hic missus est ad studium Parisius cilicium ad carnes portabat. Qui in artibus regens tandem theologiam a domino Ugone baccalaurio audivit ; qui ambo ad predicacionem magistri Iordani ingressi sunt ordinem in die cathedre sancti Petri."
Vitæ Fratrum, I, 5, p. 26.
Antoine DONDAINE, "Un commentaire scripturaire de Roland de Crémone "Le livre de Job", AFP 11 (1941), p. 116 : "Loyci audiunt predicatorem et intrant religionem... Unde enim implentur claustra, nisi de dialeticis et sophisticis ? Et non mirum, quia intenti sunt circa formas immateriales, unde eis de facili spiritualia suadentur."
Vitæ Fratrum, III, 42, 9, p. 141 : "Cum semel quereretur ab eo, cur artiste frequenter ordinem intrarent et theologi et decretiste tardius, respondit : "Facilius inebriantur bono vino rustici, qui aquam consueverunt bibere, quam nobiles vel cives, qui vina fortiora non reputant, quia in usu habent. Artiste quidem tota ebdomada aquam Aristotelis et aliorum philosophorum bibunt ; unde cum in sermone dominice vel festi verba Christi vel suorum hauserint, statim inebriati vino spiritus sancti capiuntur, et non tantum sua sed et se ipsos Deo donant. Isti autem theologi frequenter audiunt talia, et ideo contigit eis, sicut rustico sacriste, qui ex frequenti transitu ante altare irreverenter se habet, et ad illud dorsum vertit frequenter, extraneis inclinantibus reverenter."
HUMBERT DE ROMANS, De eruditione predicatorum, dans Opera de vita regulari, ed. J. J. Berthier, vol. 2, Rome, 1956, pp. 393-394 : "Aliæ enim artes acquiruntur per assuefactionem ex frequenti agere. Fabricando enim fabri fimus ; et citharizando citharistæ fimus, secundum philosophum. Gratia vero prædicandi ex dono Dei specialiter habetur. Unde Eccle. 10 : In manu Dei potestas hominis ; idest prædicatoris, secundum Glossam. Quod ideo dicitur quia ex dono Dei est quod homo habeat potestativam prædicationem ; quæ autem homo ex opere suo non potest, sed aliunde oportet venire, difficilius est. (...) Aliarum enim artium plures inveniuntur magistri, et qui facile possunt haberi ; hujus vero artis unicus est magister, cujus copiam pauci habent, sclicet Spiritus Sanctus. (...) Notandum est quod licet prædicationis gratia specialiter habeatur ex dono Dei, tamen sapiens prædicator debet facere quod in se est, diligenter studendo circa prædicationem faciendam, ut laudabiliter fiat."
Sur la grâce de la prédication, voir Simon TUGWELL, La voie du prêcheur, Montréal, 1986,p p. 30-36.
Vitæ fratrum, III, 13, p. 109-110 : Cum in quodam festo, facto sermone, quendam scolarem reciperet, et plures scolares adessent, verbum ad astantes dirigens ait : "Si aliquis vestrum ad magnum festum et convivium iret solus, numquid omnes socii adeo essent incuriales, quod nullus eum vellet associare ? Ecce videtis tamen, quod iste ad magnum festum auctore Deo vocatus est ; num eum solum permittitis abire ?" Mira res ! verbum enim eius tante virtutis fuit, quod mox quidam scolaris, qui prius nullam voluntatem intrandi habuerat, in medium prosiluit dicens : "Magister, ecce ad verbum vestrum ipsum associo in nomine domini nostri Ihesu Christi." Et sic cum eo pariter est receptus.
Nicole BERIOU, L’avènement des maîtres de la Parole, La prédication à Paris au XIII e siècle, I, Paris, 1998, p. 15.
Berryl SMALLEY, The Gospels and the Schools, c. 1100-1280, London and Ronceverte, The Hambledon Press, 1985, pp. 101-118.
Sur Pierre le Chantre et l’enseignement de la théologie, voir BERIOU, L’avènement, pp. 30-48 ; Franco MORENZONI, Des écoles aux paroisses, Thomas de Chobham et la promotion de la prédication au début du XIII e siècle, Paris, 1995, pp. 71-95.
BERIOU, L’avènement, p. 70.
JOURDAIN DE SAXE, Libellus de principiis ordinis Prædicatorum, 40, éd. H. C. Scheeben, MOPH XVI, Rome, 1935, p. 45 : "Adiunctus est autem eidem episcopo frater Dominicus, ut simul adirent concilium, et pari voto dominum papam Innocentium precarentur, confirmari fratri Dominico et sociis eius ordinem, qui predicatorum diceretur et esset."
Acta canonizationis S. Dominici, éd. Angelus Walz, MOPH 16, Rome, 1935,p. 143-144 : "Ipse frater Dominicus (...) misit hunc testem, quamvis invitum, Parisius cum quinque fratribus clericis et uno converso, ut studerent et predicarent et conventum ibi facerent. (...) Et tunc alios etiam misit in Hispaniam, et similia eis dicebat et precipiebat. Et dum ipse testis et socii studerent Parisius, data fuit ei et sociis a magistro Iohanne decano sancti Quintini tunc regente in theologia Parisius et ab universitate magistrorum et scolarium Parisiensium ecclesia sancti Iacobi, posita in porta Aurelianensi, ubi steterunt et fecerunt conventum, ubi multos bonos clericos receperunt, qui ordinem fratrum predicatorum intraverunt."
BERIOU, L’avènement, p. 599.