2. La persécution diabolique

Selon un exemplum d'un recueil anglais, le démon ne craint pas tous les prédicateurs, car il en est de médiocres qui ne convertissent pas ou peu. C’est ce qu’il dit lui-même dans un exemplum rapporté par un recueil anglais:

‘Un prédicateur quêteur, qui portait avec lui de précieuses reliques des saints, avait l’habitude par leur vertu d’expulser chez de nombreux possédés l’esprit impur. Un jour qu’il cherchait de chasser le démon d’un possédé, le démon se moqua de lui : "Je ne te crains pas, tu ne pourras pas me chasser par tes reliques, mais viendront bientôt ceux qui vont deux par deux, et à eux il a été donné de prévaloir contre nous et de diminuer votre puissance. Aussi, nous avons convoqué notre conseil, et décidé d’envoyer cinquante des nôtres contre deux d’entre eux." Ceci est arrivé peu avant l’arrivée des mineurs et des prêcheurs. Maître Jourdain, de bonne mémoire, maître de l’Ordre des prêcheurs, l’a raconté, pour dire combien la prudence et la circonspection étaient nécessaires à chaque frère, lorsqu’une telle multitude de démons s’oppose486.’

Comme le dira le diable à deux frères qui se rendaient au chapitre général à Bologne, du temps de saint Dominique déjà : "Votre Ordre est notre honte487." Cette persécution diabolique prendra trois formes. Elle s’attaquera à l’Ordre en tant que tel, elle s’attaquera à Jourdain lui-même, elle s’attaquera individuellement aux frères.

C’est ainsi que tout d’abord, le diable proposera à Jourdain un pacte de non-agression. Jourdain était alors provincial de Lombardie et c’est lui-même qui le rapporte dans le Libellus :

‘Entre-temps, il m’en souvient, il [le démon] me proposa un marché : je cesserais de prêcher, et lui cesserait de tenter aucun frère. Je répondis : "A Dieu ne plaise que je conclue un traité avec la mort ou que je fasse avec l’enfer ! Tes tentations, quoi tu en aies, profitent aux frères et les rendent plus forts pour vivre dans la grâce, car la vie de l’homme sur terre est une tentation continue488."’

D’autres différentes sources hagiographiques du XIIIe rapporteront cet épisode, comme les Vitæ Fratrum 489. Selon Thomas de Cantimpré, qui est le seul à le dire, ce pacte fut même conclu, mais aussitôt dénoncé :

‘Au moment même où maître Jourdain avait amené beaucoup de clercs lettrés à se convertir à la vie religieuse et les avait reçus dans l’Ordre à Bologne, beaucoup d’entre eux étaient tentés par de puissantes impulsions venues des démons et pour cette raison le maître menait une contre-attaque à force de prières extraordinairement instantes. C’est ainsi qu’un jour le démon lui parla à haute voix : "Ordonne à tes frères, lui dit-il, de cesser de prêcher et d’entendre les confessions et moi, de mon côté, j’amènerai mes compagnons à renoncer à toute tentation à toute lutte en direction de tes frères." Le maître donna son consentement à titre temporaire et il obtint le résultat promis. Mais peu de jours plus tard, la parole suivante est adressée au maître dans le cours de sa prière : "Qu’as-tu donc voulu faire en concluant un pacte avec la mort ? Que les frères, bien plutôt, ou bien s’adonnent à la prière ou bien s’appliquent à instruire et à sauver leur prochain, et alors sans aucun doute les tentations des démons seront repoussées grâce à l’insistance d’une prière attentive et pure." Aussitôt que le maître eut donné cette indication en chapitre à ses frères et que ceux-ci eurent appliqué ses ordres avec une admirable ferveur spirituelle, la puissance des démons en fut affaiblie et l’ensemble des frères, dans une admirable vivacité spirituelle jouirent de la paix à l’abri de toutes les tentations490.’

A Jourdain de Saxe et aux frères s’opposent le démon et les légions diaboliques. Mais le diable s’attaque tout d’abord à Jourdain. Gérald de Frachet, à propos de la grâce de la prédication qui caractérisait Jourdain, annonce déjà cette persécution : "Aussi le diable, qui le jalousait extrêmement, s’en plaignit quelquefois, et fit de grands efforts pour le détourner de la prédication491."

La persécution de Jourdain de Saxe prendra différentes formes. D’un côté, le diable cherchera à se débarrasser de lui. L’attaque la plus violente, dont il a déjà été question, est rapportée par Thomas de Cantimpré. Un frère convers possédé par le diable cherche à égorger Jourdain à l’heure de la sieste492. A d’autres occasions, le démon profite des maladies de Jourdain pour chercher à le tuer. A Besançon, il prend la forme d’un jeune homme pour l’empoisonner. Selon les Vitæ Fratrum :

‘Une autre fois, passant par Besançon, avant que les frères y fussent établis, il tomba gravement malade. Un jour donc que, dévoré par la fièvre, il se mourait de soif, il voit venir à lui un jeune homme, ayant une serviette au cou. Il portait d’une main une bouteille de vin, de l’autre une coupe d’argent, et la lui offrit en disant : "Maître, je vous apporte un excellent breuvage ; buvez-le en toute confiance, car il ne vous fera aucun mal." La maître, bien au courant des ruses de l’ennemi, se recommanda à Dieu, fit un signe de croix et le démon disparut aussitôt493.’

A d’autres occasions, cette tentative de tuer Jourdain se fera plus subtile. Le démon cherchera à le tromper en prenant prétexte de la sainteté de Jourdain. C’est ainsi qu’à l’occasion d’une autre maladie de Jourdain, le démon cherchera à retourner contre lui l’amour de l’observance régulière :

‘Pendant qu’il était malade à Paris, l’esprit malin le tenta par un merveilleux semblant de sainteté. Il vint à la porte du couvent, sous l’aspect d’une personne vénérable et demanda à être conduit chez maître Jourdain. Il fut introduit et, après avoir un peu causé familièrement, il prie les frères de se retirer, comme ayant à lui parler en particulier. Dès qu’ils furent sortis, il lui dit : "Maître, vous êtes le chef de ce très saint Ordre, et tous les frères ont les yeux fixés sur vous. Tout acte qui émane de vous, grand ou petit, s’il est contraire à la ferveur religieuse, est une cause de relâchement, car la nature humaine est portée à faiblir ; vous en seriez responsable devant Dieu et vous laisseriez dans ce grand Ordre un exemple de dissipation et un principe de trouble. Vous êtes malade sans doute, mais pas assez pour vous servir d’un matelas et vous dipenser de l’abstinence. Que demain ou après-demain, la même dispense soit refusée à un autre frère aussi malade ou plus malade que vous, on fera des réflexions, on murmurera, on se troublera. Ecoutez donc ma prière et mon conseil : donnez bon exemple sur ce point, comme vous l’avez fait jusqu’à ce jour pour tous les autres." Après avoir ainsi parlé astucieusement, l’hypocrite prit congé et de retira en marmottant des lèvres, comme s’il récitait des psaumes. L’homme de Dieu crut à ces paroles avec la plus grande sincérité et s’abstint pendant plusieurs jours de prendre ces soulagements. Sa faiblesse fit de tels progrès qu’il ne pouvait presque plus se soutenir. Alors le Seigneur lui révéla que celui qui lui avait donné ce conseil n’était autre que le diable, jaloux de ses prédications494.’

Non seulement il cherche à tromper Jourdain par des pénitences indiscrètes, mais il cherche à lui inspirer des pensées de vaine gloire : "Il se met à le louer, afin de lui inspirer de l’orgueil, s’il le peut, en exaltant sa prédication incomparable, sa ferveur religieuse et ses éminentes vertus495" ; il le couvre de parfums, pour lui faire croire qu’il est déjà saint, mais c’est "une illusion, produite par l’antique ennemi, qui voulait le faire tomber dans la vaine gloire496."

Ce qui est vrai de Jourdain sera également vrai des premiers frères, qui seront, eux aussi, l’objet de la persécution diabolique. Les Vitæ Fratrum en donnent de nombreux exemples dans leur quatrième partie. Elles correspondent bien aux paroles du diable, rapportées par Etienne de Bourbon, qui dit s’appeler "mille ruses" et révéla ce nom à Jourdain qui le lui demandait497 :

‘Qui pourrait, du reste, énumérer les milles ruses employées si souvent par l’ennemi pour tenter les novices ? Car il a recours à des moyens variés pour les détourner de l’état religieux. Il se sert, tantôt de la ferveur insiscrète et de l’abstinence exagérée, comme il arriva à maître Jourdain ; tantôt du relâchement et de l’omission des pratiques de l’Ordre, comme il le fit pour ce novice immortifié qui avait desserré ses chausses, à cause de la chaleur, et que la bienheureuse Vierge ne daigna pas même regarder. Il met en jeu tour à tour le trop grand attachement aux parents et aux amis, et l’irritation contre ceux qui ne veulent pas condescendre à leur volonté, en sorte que, lorsque les novices veulent s’en venger, ils combattent souvent contre eux-mêmes. Il leur rappelle le souvenir de plaisirs sensuels ; il les effraie par des songes ; il les attaque par l’antipathie pour leurs compagnons et par une trop vive affection pour les livres, parfois même pour de vils objets. J’en ai vu un violemment tenté, parce qu’il ne pouvait plus voir une petit chien qu’il avait élevé ; il y tenait plus qu’à tous les biens qu’il avait quittés, encore qu’ils fussent nombreux et de grande valeur, selon l’estimation du monde. Enfin, le démon les tente par les angoisses du cœur ou par les diverses maladies du corps ; par les flatteries ou par les médisances et de mille autres manières. On l’appelle avec raison, un artisan habile en mille métiers ; son regard est septuple et il ne cesse jamais d’immoler les hommes. Aussi, chacun doit se tenir en garde contre ses ruses ; tous doivent les découvrir dans une pure et sincère confession et suivre les conseils de leur Père, plutôt que ses suggestions détestables498.’

Ce que le démon cherche à travers ces attaques, c’est empêcher que les frères étudient et prêchent. C’est l’une des conséquences des pratiques indiscrètes, dont Jourdain lui-même a été la victime et dont il met ses frères en garde dans sa lettre encyclique : à cause d’elles, les frères "dérobent la possibilité du salut à de nombreuses âmes499." Certaines attaques concernent les livres des frères, qui servent à l’étude et à la prédication. Ainsi, en cherchant à persuader un frère d’être idolâtre, le démon cherche à le faire se séparer de sa Bible :

‘Un frère très recommandable et fort lettré, du nom de Martin, fut tourmenté continuellement pendant trois années par le diable qui lui apparaissait sous diverses formes pour l’effrayer. Maître Jourdain, de sainte mémoire, l’amena à Rome avec lui. Un soir, tandis qu’il faisait une lecture dans sa bible, fort belle du reste, le diable lui apparut sous la forme d’un petit moine noir ; et sautant devant lui, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, il criait : "Idole, Idole." Et comme le frère lui en demandait la cause : "C’est, lui dit-il, que tu t’es fait un dieu de cette bible" - "Mais pourquoi tant me persécuter ?" - "C’est que tu es tout à moi." Le diable disparut ; et le frère, très troublé, quoi qu’il n’eût conscience d’aucun péché, vint trouver maître Jourdain, lui raconta tout ce que le diable avait fait, et ajouta : "Je ne vois pas qu’il puisse me reprocher autre chose que d’avoir cette bible, c’est pourquoi je vous la remets ; faites-en ce qui vous plaira." Maître Jourdain, devinant par une illumination divine, la ruse du démon qui voulait par là empêcher l’étude du frère et la sanctification des âmes, lui dit alors : "Et moi, au nom du Seigneur, je vous la laisse, afin qu’elle vous aide à progresser." Depuis, le diable cessa de tourmenter le frère : il était vaincu par son humilité et par la prière du père500.’

Le démon se fait même théologien et prédicateur. Jourdain de Saxe rapporte l’histoire d’un frère de Bologne, possédé par le diable, et qui alors qu’il "n’était guère instruit en théologie et ignorait à peu près les saintes écritures, proférait de sa bouche des sentences si profondes sur les écritures saintes qu’on aurait pu les prendre à juste titre pour de célèbres paroles de saint Augustin501", et cela pour lui inspirer de l’orgueil. De même, "il tenait des discours en manière de prédication à ce point efficaces qu’il tirait des flots de larmes du cœur des auditeurs, par l’accent, la piété et la profondeur de ses mots502."

Pour le reste, le démon se contente de se plaindre des études des frères. Ce passage des Vitæ Fratrum pourrait se rapporter au même frère :

‘Il y avait à Bologne, du temps de maître Jourdain, un religieux possédé du démon, qui tourmentait et injuriait les frères nuit et jour. Il répandait beaucoup de calomnies, et quelquefois aussi, il était forcé de dire la vérité, car il expliquait la Sainte Ecriture, qu’il n’avait pourtant pas étudiée. Un jour, les frères étaient en classe ; ils ne pouvaient pas être entendus de l’infirmerie, et aucun de ceux qui s’y trouvaient, ne savaient de quoi l’on traitait. "En ce moment, s’écria-t-il, les encapuchonnés traitent de cette question : Le Christ est-il la tête de l’Eglise ?" Il répéta souvent ces paroles, avec une grande indignation et le visage très courroucé, comme s’il en eût éprouvé une vive douleur. Le maître, lui ayant dit une fois : "Malheureux, pourquoi tentes-tu les frères, et fais-tu tomber les âmes dans le péché, puisque tu ne fais par là qu’aggraver ta peine ? - Ce n’est pas que le péché me plaît : j’en ai horreur ; c’est pour le profit que j’y trouve. Tel le vidangeur qui nettoie les égouts à Paris : il est bien incommodé par leur infection, mais il supporte tout cela en vue du salaire qu’on lui donne503."’

Il est à noter que les frères, et Jourdain en tête, profiteront de ces persécutions diaboliques pour interroger le démon sur des sujets théologiques. Un exemple en est donnée dans la chronique de Galvano Fiamma :

‘Maître Jourdain avait ordonné qu’à la fin des matines soit chanté le répons "Te sanctum Dominum in excelsis." Alors qu’on chantait le verset qui dit "Cherubim quoque et Seraphim", un frère possédé à cause d’abstinences désordonnées, et parce qu’il jugeait les autres gourmands, se mit à hurler en disant : "Frères, taisez-vous, taisez-vous ! Car moi je suis déchu de cet ordre supérieur des Séraphins." Et les frères lui dirent : "Pourquoi ne fais-tu pas pénitence ?" Il répondit : "Si seulement j’avais chair humaine, un pouce seulement, je ferai une telle pénitence, que je puisse remonter d’où je suis descendu." Entretemps, il parlait différentes langues. Et les frères l’interrogèrent : "Pourquoi es-tu tombé?" Il répondit : "A cause du péché d’orgueil." Ils lui demandèrent s’il avait vu le Seigneur. Il répondit que oui. Interrrogé et conjuré de dire comment Dieu est trine et un, il répondit en tremblant et comme se contractant en forme de boule : "Taisons-nous, nous qui sommes des créatures, il ne nous revient pas d’en parler, et nous pouvons l’exprimer504."’

Jourdain, de son côté, interrogera le démon sur son origine angélique, - et on apprendra que le démon était un séraphin505 - ainsi que sur la gloire de Dieu :

‘A maître Jourdain, alors à Cologne, fut présenté un homme grossier, possédé du démon, qui parlait toutes sortes de langues ; maître Jourdain lui demanda de quel ordre des anges il était, et lui répondit des Séraphins. Puis il demanda de lui dire quelque chose de la gloire de Dieu. Il répondit : "A quoi cela servirait-il, ton cœur ne peut le comprendre." Et maître Jourdain : "Dis-moi quelque chose que je puisse comprendre." Il lui dit : "Regarde le soleil. Après le jour du jugement, il sera sept fois plus brillant qu’il n’est. Et si toutes les étoiles du ciel avaient la splendeur du soleil, ce serait une gloire immense. Il en sera ainsi au ciel après le jour du jugement, lorsque chaque élu sera comme le soleil, lorsque tous les saints seront rassemblés au ciel, ce sera une gloire immense. Mais lorsque le Seigneur apparaîtra, alors tous les anges et tous les saints, seront comme des étoiles qui s’effacent devant le soleil levant, en comparaison avec le Christ." Il donna une autre comparaison : "Imagine que tous les arbres des forêts et des maisons sont rassemblés en un seul tas et qu’on y mette le feu, et que d’un autre côté on allume un roseau ; cette petite lumière que donnerait le roseau en comparaison de ce feu, telle serait la gloire des saints en comparaison de celle du Christ, lorsqu’il apparaîtra506."’

Quand bien même Jourdain et ses frères, faisant feu de tout bois, profitèrent de ces attaques diaboliques pour parfaire leurs connaissances théologiques, les attaques furent sévères et comme la contre-partie de l’expansion de l’Ordre.

Notes
486.

Stephen L. FORTE, "A Cambridge Dominican collector of Exempla", AFP 28 (1958), p. 131 : "Quidam predicator questuarius, preciosas secum deferens sanctorum reliquias, multos de obsessis spiritus immundo earum uirtute eicere consueuit. Hic quadam die, cum a quodam obsesso demonem niteretur eicere, irrisit eum demon dicens : Non te timeo nec per reliquias tuas me expellere poteris, sed venient alii in brevi qui bini incedunt, et illis datum est adversum nos prevalere vestramque potestatem diminuere. Contraquos, convocato consilio nostro, decrevimis mittere quinquaginta de nostris adversus duos ex eis. Istud fertur accidisse parum ante adventum fratrum minorum et predicatorum. Hoc autem narravit bone memorie frater Iordanus, magister ordinis predicatorum, insinuans quanta unicuique fratrum necessaria sit cautela et circumspectio, cui adversatur tanta demonum multitudo."

487.

Vitæ Fratrum, IV, 15, 1, p. 195 : "Ordo vester confusio nostra."

488.

Libellus, 113, p. 78 : "Interdum hanc, ut recolo, mihi conditionem exhibuit, ut a predicatione desisterem, et ipse a fratrum omnium tentatione cessaret. Cui ego : "Absit, ut fedus cum morte ineam aut pactum faciam cum inferno (cf. Is. 28, 18). Tuis tentationibus, te nolente, fratres proficient et ad vitam gratie convalescent, quia tentatio est vita hominis super terram (Iob 7, 1)."

489.

Vitæ Fratrum, IV, 30, p. 124 : "Locutus est ipsi magistro iordani dyabolus per quendam quem obsessum tenebat minas et maledicta ingeminans et multas de eo querimonias faciens, quod ei sua predicacione multas subtrahebat. Et ait, o cece ego tecum facio pactum quod numquam fratres tuos temptabo spiritu uel corpore uexabo, si promittas quod numquam de cetero predicabis. Cui uir sanctus respondit : Absit quod fedus ineam cum morte et pactum faciam cum inferno."

490.

Bonum de apibus, II, 57, 48, pp. 577-578 : "Eodem tempore, cum idem magister Iordanus multos literatos clericos ad ordinem conuertisset, et in Bononia recepisset, multique ex eis grauissimis dæmonum impulsibus tentarentur, et propter hoc magister mira orationum instantia repugnaret, vna dierum dæmon libera voce locutus est ei : Facias, inquit, cessare fratres tuos a prædicatione et confessionibus hominum audiendis, et ego cessare faciam socios meos ab omnimoda tentatione fratrum et lucta. Consensit mox magister ad tempus, et effectum mox consecutus est sponsionis. Nec multi post hoc dies effluxerant, cum magistro oranti dictum est ita : Quid est, quod facere voluisti, vt inires pactum cum morte ? Orent fratres pro tempore, et pro tempore studeant proximorum instructionibus et saluti, et proculdubio puræ et vigilantis orationis instantia tentationes dæmonum repellentur. Nec mora, vbi hoc magister in Capitulo fratribus indicauit, et illi mandatum eius miro spiritus feruore complerent, virtus dæmonum eneruata est, et fratres in communi omnes mira alacritate mentis ab omnibus tentationibus quieuerunt."

491.

Vitæ Fratrum, III, 12, p. 108 : "Propter quod dyabolus ei plurimim inuidens de eo aliquando conquestus est laborans si quomodo eum a predicatione posset auertere."

492.

Bonum de apibus, II, 57, 43, pp. 571- 573.

493.

Vitæ Fratrum, III, 29, pp. 123-124 : "Alia uice, cum transiret per Bisuncium antequam fratres ibi domum haberent, contigit eum grauiter infirmari. Quadam ergo die, cum uehementer febribus estuans in immensum sitiret, ecce iuuenis habens mappam albam ad collum, lagenam uini portans in una manu et ciphum argenteum in alia, obtulit ei dicens, Magister ecce porto uobis optimum potum de quo bibatis secure, quia in nullo nocebit, Qui non ignorans astutias eius comendauit se Deo, signans se signo crucis. Statimque disparuit."

494.

Vitæ Fratrum, III, 28, pp. 122-123 : "Temptauit enim eum malignus semel cum esset Parisius sub mira fraudulentia sanctitatis. Veniens enim ad portam in forma uenerande persone petiit se ad magistrum Iordanem deduci. Cum ergo deductus cum eo aliquos familiares habuisset sermones, postulauit fratres secedere quasi secreto locuturus cum eo. Quo facto sic ait : Magister tu es caput huius sanctissimi ordinis et in te respiciunt oculi fratrum universorum ; quod si grande uel paruum a te exierit circa religionis feruorem relaxationis vestigium, cum humana natura prona sit ad declinandum, tu exinde penam reportabis a Domino, et in tanto ordine relinques exemplum dissolutionis et turbationis materiam. Es enim infirmus, sed non tantum ut non possis carere culcitra et a carnibus abstinere. Quod si cras uel post cras non fait eadem dispensatio fratri plus uel eque infirmo, fiet inde iudicium, murmur et turbatio orietur. Vnde rogo et consulo quod, sicut hactenus fuisti religionis exemplum in aliis, ita te prebeas et in istis. Sic ergo uersipellis ille uerba sua colorans licentiatus recessit, murmurando aliquid ac si diceret psalmos uadens. Credidit homo Dei simpliciter uerbis eius et abstinuit multis diebus ab illis. Vnde in tantum creuit eius debilitas quod uix subsistere ualebat. Reuelatum est autem ei a Domino quod qui illa suggesserat dyabolus erat, qui eius predicationibus inuidebat."

Cet épisode est raconté de façon un peu différente par THOMAS DE CANTIMPRE, De apibus, II, 57, 46, p. 574-577.

495.

Vitæ Fratrum, III, 32, pp. 125-126 : "Alia uice, cum fratres omnes uituperaret, aduienti magistro Iordani, mira quadam reuerentia assurgens laudauit de predicationis gratia singulari, de religionis feruore et omni perfectione commendans, ut per hoc posset eum in elationem deducere."

496.

Vitæ Fratrum, III, 33, p. 126 : "Mox per spiritum cognovit, hoc antiqui hostis esse figmentum, ut eum precipitaret per inanem gloriam."

Cet épisode est raconté par Jourdain lui-même dans le Libellus.

497.

ETIENNE DE BOURBON, Tractatus de diversis materiis predicabilibus, éd. Albert Lecoy de la Marche, Anecdotes historiques, légendes et apologues tirés du recueil inédit d’Etienne de Bourbon, Paris, 1877, p. 197 : "Audivi a fratre Jordano, ordinis Predicatorum, quod, cum divino judicio quidam frater arreptus esset, et quereret a demone, adjurando eum, quomodo vocaretur, respondit quod Mille artifex, quia mille modos et artes habebat homines seducendi. "Et ut scias, ait, quod verum dico, ego sum qui decipio magnos theologos, decretistas et legistas, physicos, barones, milites, prepositos, mercatores." Et incepit singulorum verba, gestus et modos et officia ei representare, usque ad domicellas dominarum, qui serviunt in cameris eorum, blandiendo eis et adulando et molliter loquendo."

498.

Vitæ Fratrum, IV, 17, 9, pp. 204-205 : "Quis autem posset enarrare modos varios et subtiles, quibus adversarius multos et multociens temptavit novicios ? Consuevit enim eos temptare multipliciter, ut eos a statu religionis deponat ; nunc per assumpcionem indiscreti feruoris et abstinencie nimie, ut fecit in magistrum Iordanem nunc per relaxionem uite et obmissionem eorum, ad que ordo tenetur, ut patet in delicato, qui laxaverat caligas propter estum, quem beata uirgo nec aspicere dignata ; nunc per nimium affectum parentum uel carorum suorum, nunc per turbaciones ad eos, cum non faciunt voluntatem eorum, de quibus, cum se volunt novicii vindicare, quandoque se ipsos impugnant ; nunc per recordacionem carnalium voluptatum, nunc per terrorem sompniorum, nunc per displicenciam sociorum, nunc per affectum librorum et aliquando eciam vilium. Vidi ergo novicium temptatum graviter, quod canem parvulum, quem nutrierat, non poterat videre, et magis afficiebatur ad illum, quam ad omnia, que dimiserat, quamvis secundum mundum multa et magan essent ; temptat eciam per angustiam cordis, nunc per diversas infirmitates corporis, nunc per linguas adultorum, nunc per iudicia detractorum et aliis multis modis, et merito milleartifex appellatur, quia oculi eius septemplices sunt et gentes interficere non cessat. Unde ab eius insidiis debent omnes sibi cavere, et in pura et in frequenti confessione ipsum detegere et magis paternis quam suis consiliis adherere."

499.

JOURDAIN DE SAXE, Litteræ encyclicæ annis 1233 et 1234 datæ, a cura di Elio Montanari, Spoleto, 1993, p. 71 : "Quod si qui lectorum in officio lectionis fortassis diligenter extiterint, restat adhuc tertium ex parte fratrum periculum, quod videlicet auditores tam incuratos se præbent ad studia, tam raros ad cellam, tam desides ad repetitiones, tam insipidos ad exercitia quæstionum, aliquanti propter suas indiscretas devotiones liberius exercendas, aliquanti etiam propter otiositatis perniciosum et miserabilem appetitum, ut non solum sese negligant ac suis lectoribus inducant fastidium, sed et salutis oportunitatem multis subtrahant animabus, quas ad vitam æternam ædificasse potuerant, si non negligenter, sed debite studuissent."

500.

Vitæ Fratrum, IV, 15, 4, pp. 195-196 : "Fratrem quendam, Martinum nomine, virum valde honestum et litteratum per tres annos continuos insecutus est dyabolus apparens ei sub formis diversis, ut eum terreret. Quem cum sancte memorie magister Iordanis secum duxisset Romam, et quodam sero in biblia sua, que pulcra erat, legeret, venit dyabolus in specie monachi, nigerrimi saltans eo modo ad unam partem modo ad aliam et dicebat : "Idolum, idolum." Cuius dicti causam cum frater quereret, respondit : "Quia tu bibliam istam pro Deo fecisti." Cui cum frater diceret : "Cur me tantum persequeris ?" respondit : "Quia totus meus es." Et abiit. Tunc frater admodum timidus, licet de nullo peccato sibi conscius esset, venit ad magistrum Iordanem, exponens ei omnia que dyabolus fecerat et dixerat illi et addidit : "Non video, quid michi possit obicere, nisi bibliam istam ; unde resigno eam vobis ; facite de ea, quidquid vobis placuerit." Magister ergo Iordanis, tamquam a Deo illuminatus intelligens astuciam inimici, qui per istum modum volebat impedire studium fratris et animarum profectum, ait : "Et ego eam in nomine domini concedo tibi, ut proficias in ea." Ex tunc itaque cessavit dyabolus ab infestacione fratris propter suam humilitatem et patris oracionem."

501.

Libellus, 112, p. 78 : "Interdum quoque, licet obsessus ille non foret in theologia peritus et sanctarum velut inscius scripturarum, adeo tamen per os eius profundas de scripturis sanctis eliciebat sententias, ut huiusmodi etiam per Augustinum edita laudabilia merito censerentur."

502.

Libellus, 115, p 79 : "Interdum quoque, quod amplius est, tam efficacibus utebatur velut in modum predicationis sermonibus, ut ipso pronuntiationis modo ac pietate simul et profunditate verborum uberes elicuerit lacrimas de cordibus auditorum."

Ce thème du diable prédicateur se retrouvera dans la prédication des frères, voir BERIOU, L’avènement, vol. I, pp. 133-134.

503.

Vitæ Fratrum, IV, 15, 5, pp. 196-197 : "Quidam frater demoniacus fuit Bononie tempore magistri Iordanis, qui fratribus multas vexaciones et iniurias inferens tam die quam nocte falsa multa seminabat et vera aliquando dicere cogebatur ; exponebat eciam aliquando scripturas, quamvis prius illarum inscius esset. Cum ergo quadam die fratres in scolis essent et nullo modo de infirmaria audiri possent, nec aliquis de astantibus sciret, quid ibi docebatur, ait : "Modo disputant capuciati, an Christus sit caput Ecclesie", cum mira indignatione et vultu turbulentissimo sepius hoc repetens, ac si multum de hoc ipse doleret. Huic cum diceret : "Miser, cum temptas fratres et animas pertrahis ad peccatum, cum tibi ex hoc penam maiorem accumules ?" respondit : "Non facio, quia peccatum placeat michi, immo fetet, sed propter lucrum hoc facio sicut ille magister qui mundat cloacas Parisius, non quia fetor eum non gravet, sed omnias sustinet propter lucrum."

504.

GALVANO FIAMMA, Chronica Ordinis Prædicatorum ab anno 1170 usque ad 1333, ed. B.M. Reichert, MOPH II, Rome-Stuttgart, 1897, pp. 40-41 : Finitis matutinis magister Iordanis ordinavit, quod contra demonum molestias cantaretur responsorium : "Te sanctum dominum in excelsis etc." Cum autem cantaretur versus, qui dicitur : "Cherubim quoque et Seraphim etc." frater, qui demoniacus erat effectus propter inordinatas abstinentias et qui alios gulosos diiudicabat, clamavit dicens : "O fratres, silete, silete ; nam ego cecidi de illo ordine superiori Seraphim." Et dicunt ei fratres : "Quare non penites ?" Respondit : "Si tantum haberem de carne humana, quantum habet digitus pollex, ego facerem tantam penitenciam, quod iterum ascenderem, unde descendi." Hic interdum loquebatur diversas linguas. Et interrogaverunt fratres : "Quare cecidisti ?" Respondit : "Propter peccatum superbie." Interrogaverunt, an dominum viderit. Respondit quod sic. Interrogatus et adiuratus, quomodo deus est trinus et unus, respondit tremens et in globum quasi se contrahens : "Sileamus nos creature, quia nec loqui nos decet, nec possumus exprimere."

La première partie de cette histoire se trouve chez ETIENNE DE BOURBON, Tractatus, 189, pp. 164-165. La seconde partie vient des Vitæ Fratrum IV, 20, 4, p. 209.

505.

Sur le origines angéliques de Satan, voir Henri-Irénée MARROU, "Un ange déchu, un ange pourtant", dans Satan, Etudes Carmélitaines, Paris, 1948, pp. 28-43.

506.

Anton E SCHONBACH, "Studien zur Geschichte der altdeutschen Predigt. Siebentes Stück : Über Leben, Bildung und Persönlichkeit Bertholds von Regensburg. I.", Sitzungberichte der Philosophisch-Historischen Klasse der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften, 154 Band, Wien, 1907, pp. 32-33 : "Magister Iordanis, cum esset Colonie, oblatus est ei quidam rusticus, obsessus a demone, qui loquebatur omni genere linguarum, a quo magister Iordanis quesivit, de quo ordine angelorum ipse esset. Et ille respondit de Seraphin. Postea quesivit, quid diceret ei de claritate Dei. Respondit : "Quid prodesset hoc, quia cor tuum non potest hoc capere ?" Et magister Iordanes : "Dic michi tamen, quantum possit capere." Et ille dixit : "Respice solem. Post diem iudicii in septuplo lucidior erit, quam modo sit. Et si omnes stelle celi splendorem solis haberent, magna esset claritas. Sic erit post diem iudicii super celum, quando quilibet electus erit quasi sol, quando autem omnes sancti in celo congregati fuerint, magna erit ibi claritas. Sed cum Dominus apparuerit, tunc omnes angeli et sancti sicut stelle oriente sole abservantur, sic et ipsi respectu Christi. Idem dixit aliam comparationem : "Pone quod omnia ligna silvarum et edificia ad unum cumulum comportentur et incendantur, et parvus etiam calamus incendatur ; tam modicam lucem, ut calamus ille preberet respectu ignis illius, ita omnis claritas sanctorum respectu Christi, cum apparebit".

Ce même exemplum se trouve un peu différent dans un manuscrit munichois, Bayeriche Staatsbibliothek München, Clm 5613, f. 213va-vb. Un autre exemple encore est donné par Thomas de Cantimpré dans le Bonum de Apibus, II, 57, 67, pp. 594-595, où il interroge le démon sur le paradis perdu.