INTRODUCTION

La mémoire peut se définir comme la capacité que nous possédons pour acquérir des informations dans notre environnement en vue de les conserver et de les restituer. Cette définition permet de souligner trois opérations impliquées dans tout processus de mémorisation : l’encodage, le stockage et la récupération.

Le processus de stockage ne se réalise sans doute pas de manière anarchique ; le caractère organisé de la mémoire paraît en effet nécessaire en raison de la quantité et de la diversité des informations mémorisées mais aussi en raison de l’efficacité du système cognitif pour structurer l’environnement et lui donner un sens. Cette organisation pourrait s’établir suivant des critères logiques comme les catégories conceptuelles (plutôt que perceptives) mais aussi suivant des critères de familiarité, de similarité, d’impact émotionnel...

Cette thèse porte une attention toute particulière à l’organisation en mémoire d’un certain type de connaissances : les connaissances sémantiques. Ces dernières se définissent comme les connaissances que nous possédons à propos des concepts du monde. Ces connaissances sont plus ou moins abstraites : par exemple, le concept “chien”, le concept “amitié” ou encore savoir que Paris est la capitale de la France sont des connaissances sémantiques. Elles sont acontextualisées, multimodales et ont également pour caractéristique de n’être oubliées qu’en cas de pathologie.

Nous proposons d’étudier trois aspects relatifs à cette organisation des connaissances sémantiques en mémoire : leur mise en place chez les enfants, leur structuration chez les adultes et leur possible désorganisation au cours du vieillissement normal et du vieillissement pathologique. La thèse se compose de trois chapitres, chacun traitant un de ces aspects. Dans chacun de ces chapitres, une présentation du champ théorique précède la présentation des différentes expériences que nous avons réalisées.

Pour chacune des populations étudiées, nous prendrons en compte le domaine de connaissances dont relèvent les informations étudiées. L’hypothèse sous-jacente à notre recherche est que chacun de ces domaines (ici animal et artefact) est sous-tendu par des principes d’organisation différents associés à des processus inférentiels distincts pour l’acquisition et l’utilisation des connaissances.

Le premier chapitre est donc consacré à la question de la construction des connaissances sémantiques chez les enfants. Dans la partie théorique, nous nous attachons tout d’abord à démontrer les limites des conceptions classiques du développement conceptuel des enfants et avançons des arguments en faveur des théories modernes prônant une évolution différente des compétences suivant les domaines de connaissances (animal et artefact). Nous portons ensuite notre attention sur trois aspects qui nous semblent être les principaux moteurs de ce développement conceptuel : les indices visuels, les modes de construction théorique et les indices verbaux. Cette première partie théorique est suivie de la présentation de trois expériences réalisées auprès d’enfants de 3 à 11 ans. Les deux premières (Expériences 1 et 2) permettent la mise en évidence d’un développement conceptuel différent suivant deux domaines de connaissances : les domaines animal et artefact. L’Expérience 3 permet de souligner la capacité des enfants à réaliser des inférences distinctes suivant la nature de la propriété (biologique versus psychologique) au sein du domaine des animaux.

Le deuxième chapitre étudie l’organisation des connaissances sémantiques chez les sujets adultes pour le domaine du vivant. Au cours de la partie théorique, nous abordons tout d’abord la question de la modularité de la mémoire : des perspectives distinctes (unitaire et multi-systémique) attribuent des statuts différents aux connaissances sémantiques. Nous étudions ensuite trois facteurs considérés habituellement comme les principaux critères organisateurs de ces connaissances en mémoire : la fréquence, l’appartenance catégorielle et la taxonomie. Nous proposons ensuite, au cours de la partie expérimentale, d’étendre la question de l’organisation des connaissances sémantiques en mémoire aux attributs qui définissent les objets et non plus simplement aux noms des objets, comme cela est classiquement le cas, en prenant en considération et en affinant les conclusions issues des travaux sur les noms des objets. Cinq expériences ont été réalisées auprès de sujets adultes jeunes dans le but de tester notre hypothèse d’organisation hiérarchique des attributs pour un même objet en mémoire. Au sein de cette organisation taxonomique, nous nous intéressons particulièrement à deux niveaux (entrée et supra-ordonné) et démontrons que les connaissances à ces deux niveaux sont indépendantes. Les Expériences 4 et 6, basées sur un paradigme de vérification de propriétés à partir d’un dessin (Expérience 4) ou d’un mot (Expérience 6), testent directement cette l’hypothèse d’organisation taxonomique. La comparaison de ces deux expériences nous permet de connaître plus en détail les effets de la modalité de présentation des stimuli (imagée ou verbale) pour accéder à l’information sémantique. L’Expérience 5 menée avec la technique d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) nous donne la possibilité d’étudier à chacun des niveaux de la hiérarchie les effets de la nature fonctionnelle ou structurale des informations. Puis, les Expériences 7 et 8 visent plus particulièrement à démontrer l’indépendance des connaissances contenues à ces différents niveaux (niveau d’entrée, niveau de supra-ordonné ontologique ou niveau supra-ordonné de domaine).

Dans le troisième chapitre, nous nous intéressons au devenir de cette organisation des connaissances relatives aux attributs d’un même objet au cours du vieillissement normal et du vieillissement pathologique. Dans la partie théorique, nous dressons tout d’abord le bilan des effets du vieillissement normal sur les capacités mnésiques et étudions les critères permettant d’établir la frontière entre un vieillissement normal et des troubles mnésiques pathologiques. Nous présentons ensuite la Démence de Type Alzheimer (DTA), une pathologie affectant particulièrement les connaissances sémantiques. Cette partie théorique est suivie de trois séries d’expériences. Les Expériences 9 et 10 correspondent aux réplications des expériences de vérification de propriétés à partir d’un dessin et d’un nom proposées aux sujets adultes jeunes. Elles ont été réalisées auprès de patients présentant un début de DTA et auprès de leurs sujets contrôles. Par ailleurs, afin de connaître plus en détail les conséquences de la progression de la DTA sur cette organisation, nous avons effectué un suivi longitudinal des patients pendant 18 mois. Enfin, dans le but de confirmer les indices de destructuration des connaissances sémantiques observables lors du suivi, nous avons effectué la passation de deux groupes de patients plus atteints par la pathologie (Expérience 11) : des patients présentant une DTA modérée et des patients présentant une DTA sévère. La comparaison des performances entre les adultes jeunes, les personnes âgées contrôles et les patients DTA à différents stades de la pathologie apportent des informations précieuses sur l’organisation et la déstructuration des connaissances sémantiques en mémoire.

À l’issue de ces trois chapitres, nous terminons par une conclusion générale qui dresse le bilan des travaux que nous avons effectués et nous soulignons l’apport qu’ils ont fourni aux débats actuels.