II.1.2. Organisation des connaissances à l’intérieur des catégories de base

La perception visuelle jouerait également un rôle fondamental dans la mise en place de l’organisation des exemplaires appartenant à une catégorie de niveau de base.

Chaque catégorie relevant du niveau de base donnerait lieu à la création d’un exemplaire prototypique en mémoire qui servirait ensuite de principe organisateur pour cette catégorie. Ce prototype ne correspondrait pas forcément à un exemplaire réel, mais serait construit par l’assemblage des traits (ou propriétés) les plus représentatifs de cette catégorie. Plus précisément, ce prototype rassemblerait les propriétés possédant le plus fort taux de validité (définition personnelle de la notion de cue validity) rendant ainsi l’objet plus fortement représentatif de sa catégorie tout en le différenciant des autres catégories. Ce taux serait calculé par la division de la fréquence de l’attribut associé à la catégorie d’appartenance de l’objet considéré par la fréquence totale de cet attribut pour toutes les catégories de même niveau. Ainsi, ce taux de validité augmente si beaucoup de membres de la catégorie d’appartenance de l’objet le possèdent et si peu de membres des autres catégories le vérifient5. L’organisation des connaissances à l’intérieur de chacune des catégories de niveau de base serait alors régie par la distance séparant chacun des exemplaires à ce prototype.

Bomba et Siqueland (1983) ont montré que les enfants, dès 3 mois, opéraient selon ce principe : en extrayant des informations visuelles à partir de formes géométriques présentées visuellement, ils parviennent à créer un prototype. Au cours de la phase d’habituation, ces auteurs font percevoir aux enfants une grande variété de configurations de formes (ensemble de points) créées à partir de la transformation aléatoire d’une forme prototypique (un triangle équilatéral). Pendant la phase initiale, les enfants voient seulement les formes dérivées du prototype sans jamais voir le prototype. Pourtant, quand dans une deuxième phase, on leur montre simultanément le prototype et une autre forme complètement nouvelle, les enfants procèdent comme s’ils avaient déjà vu le prototype : ils préfèrent regarder la nouvelle forme. Slater et Morison (1987, décrit dans Slater, 1989) obtiennent des résultats équivalents avec des enfants du même âge (3 et 5 mois) et du matériel plus complexe mais toujours abstrait (formes géométriques).

Le rôle des traits visuels dans l’extraction d’indices servant à construire un prototype a également été démontré avec du matériel expérimental moins abstrait. Younger et collaborateurs (Younger & Cohen, 1983 ; Younger, 1985, 1993) ont en effet montré que les enfants, dès l’âge de 10 mois, sont en mesure de construire un prototype à partir de la présentation de dessins d’animaux construits avec des formes géométriques et variant sur 3 dimensions telles que la longueur du cou, des pattes ou de la queue, en moyennant ces variations. Mais l’utilisation de matériel plus ou moins abstrait produit un effet sur la précocité de l’apparition des capacités des jeunes enfants : l’utilisation d’assemblages de formes représentant des animaux plutôt que de simples formes non identifiables produit un décalage de quelques mois dans la capacité de former des prototypes. Les enfants semblent donc particulièrement sensibles à la nature plus ou moins abstraite du matériel utilisé (Younger, 1990). Quoi qu’il en soit, les aspects perceptifs sont également pris en compte dans la catégorisation produite par les enfants même lorsque le matériel est plus écologique.

Notes
5.

Nous pouvons signaler ici que dans les travaux que nous avons réalisés auprès des populations d’adultes, qui sont présentés dans les deux chapitres suivants, nous avons préféré appliquer la notion de spécicalité, développée par Bedoin (1992) permettant de prendre en compte plus rigoureusement la répartition intra- et extra-catégorielle de ces attributs plutôt que la formule proposée par Medin et Schaffer (1978) (pour une comparaison rigoureuse des deux méthodes, voir Devinck (1999)). Nous argumenterons ce choix dans le Chapitre 2.