II.1.3. Différenciation entre les catégories

Mandler et collaborateurs (Mandler, Bauer & McDonough, 1991 ; Mandler & McDonough, 1993) ont mis en évidence une corrélation entre la capacité de prise en compte d’indices perceptifs de plus en plus subtils et les performances des jeunes enfants dans les épreuves de catégorisation. Dans leur étude de 1993, Mandler et McDonough ont testé des enfants de 7, 9, et 11 mois et ont montré que seule la discrimination visuelle entre les catégories présentant un degré de similarité très faible était possible pour eux. Mais, ces capacités se développeraient avec l’âge. Mandler, Bauer et McDonough (1991) sont parvenus à démontrer la relation existant entre la capacité des enfants à détecter des indices visuels de plus en plus subtils et la réussite dans ces épreuves de catégorisation. Dans leurs études, les capacités de distinction catégorielle d’enfants de 19, 24 et 31 mois étaient testées à trois niveaux de complexité : en opposant les catégories des chiens et des chevaux (similarité visuelle élevée), les catégories des chiens et des lapins (similarité visuelle moyenne) et celles des chiens et des poissons (similarité visuelle faible). Les résultats montrent que les enfants les plus jeunes (19 mois) réussissent uniquement à effectuer les différenciations entre les catégories présentant la plus faible similarité visuelle (chiens versus poissons) alors que les enfants de 24 et 31 mois sont en mesure d’opérer des distinctions plus fines (chiens versus lapins). Il faut attendre 31 mois pour que la distinction entre des catégories partageant un fort taux de similarité (chiens versus chevaux) soit effective.

Mais, au-delà de cet affinement progressif des capacités de détection d’indices visuels, une évolution passant par des changements plus radicaux semble nécessaire. Les indices visuels devront en effet être dépassés par les enfants pour pouvoir former des catégories plus générales.

Pour Nelson (1985) le raisonnement à partir de schémas permettrait aux enfants de développer cette capacité à dépasser les indices perceptifs. Dans des tâches de catégorisation où les enfants sont invités à former des catégories avec différents objets, les schémas permettent l’assemblage d’objets rencontrés en même temps dans des situations particulières (par exemple : un train, des rails et une valise pour le schéma de la gare). Les relations entre les objets dans le schéma thématique ne sont donc plus relatives à la similarité visuelle, mais relèvent de liens spatio-temporels familiers, Nelson parle “de schémas événementiels”. Le raisonnement basé sur les scripts (qui sont des schémas particuliers) favoriserait le développement de catégories sémantiques, notamment lorsqu’un élément du script se substitue à un autre sans pour autant changer la nature du script. Ceci permettrait à l’enfant de comprendre que plusieurs objets distincts (même visuellement dissemblables) peuvent jouer le même rôle dans ce script. Le script du petit déjeuner est un exemple classique. Si un enfant prend tous les jours, pour son petit-déjeuner, un bol de chocolat et une banane et qu’un jour la banane est remplacée par une pomme, l’enfant pourra concevoir plus aisément l’appartenance catégorielle identique de ces deux objets pourtant dissemblables au point de vue des aspects visuels.

Ainsi, les indices visuels semblent être particulièrement importants pour la construction et l’organisation des connaissances sémantiques en mémoire chez les jeunes enfants. L’ensemble des études que nous avons présentées montre en effet que, très jeunes, les enfants sont capables d’extraire des indices visuels pour construire des prototypes, qu’ils sont particulièrement sensibles à la distance séparant les exemplaires de ce prototype, que les indices perceptifs sont utilisés pour différencier les catégories les unes des autres...