II.3. Principes pour distinguer deux domaines de connaissance : Animal / Artefact

II.3.1. La structure interne des objets

Les travaux conduits par Simons et Keil (1995) ont montré d’une façon particulièrement originale les différences d’attentes à propos de la structure interne des objets selon qu’ils relèvent du domaine des animaux ou des artefacts. Ces travaux, conduits auprès d’enfants de 3 ans à 5 ans, consistaient à leur présenter un jouet en peluche (Fredy l’alligator) comme arrivant d’une autre planète et possédant la capacité de voir à l’intérieur des animaux et des objets. Des dessins d’animaux et d’artefacts, dans lesquels la structure interne (soit des boulons, soit des intestins) était visible, étaient alors présentés aux enfants qui avaient pour consigne d’aider Fredy l’alligator à repérer les incohérences parmi ces dessins (par exemple lorsque des boulons étaient disposés à l’intérieur de dessins d’animaux). Le résultat de ces travaux faisait apparaître une amélioration des performances avec l’âge et un taux de bonnes réponses toujours supérieur à ce qu’aurait permis d’obtenir le hasard.

Dans une autre expérience de cette étude, les enfants étaient invités à choisir la matière qui se trouve, selon eux, à l’intérieur des animaux et des artefacts à partir du contenu de trois jarres placées devant eux : la première contenant des boulons, la deuxième étant remplie de boyaux et la troisième contenant une préparation mixte. Les résultats de cette expérience ont confirmé le fait que les enfants ont conscience de la différence entre ces deux domaines mais la maîtrise totale de cette différenciation ne serait pas encore totalement effective pour les plus jeunes. Alors qu’ils ne commettent plus d’erreurs pour les artefacts, ils choissent encore parfois le mélange mixte pour désigner l’intérieur des animaux. Les auteurs ont conclu que les enfants n’ont pas réellement d’idée précise sur la structure interne des animaux mais qu’ils savent de manière théorique que ce n’est pas la même composition que celle des artefacts. Ceci a été confirmé par les expériences menées par Gelman et Meck (rapporté dans Gelman, 1990). En posant des questions à propos de ce qu’il y a à l’intérieur des objets animés (personne, éléphant, chien...) et inanimés (caillou, poupée, balle...) à des enfants entre 3 et 5 ans, il apparaît une différence dans leurs propos entre ce que contiennent les artefacts et les êtres vivants, mais les enfants sont souvent très évasifs sur la nature précise du contenu. Ainsi, il semble pertinent de penser que ces théories à propos de la structure interne des artefacts se construisent indépendamment des connaissances relatives aux animaux et non pas par simple opposition logique car, si tel était le cas, les connaissances relatives aux artefacts seraient diamétralement opposées à celles pour les animaux.

En revanche, si les enfants sont imprécis quant à la nature effective de l’intérieur des animaux et des artefacts, ils possèdent tout de même des intuitions quant à l’organisation de ce contenu (Keil, 1994). En effet, lorsque les expérimentateurs présentent aux enfants des dessins qui représentent la vue au microscope de la structure interne des objets, les enfants attribuent plus volontiers les dessins qui présentent une organisation régulière aux plantes vertes alors que les dessins présentant des structures non organisées sont plutôt attribués aux cailloux.

Gelman et Wellman (1991) ont mis en évidence que ces connaissances théoriques sur la composition et la structuration interne des objets n’étaient pas liées aux informations visuelles. Dans ces expériences, trois objets partageant soit une même apparence, soit une même composition interne était proposés (exemple pour la condition impliquant des artefacts : orange, citron et balle orange). Après avoir regardé le premier dessin, les enfants devaient désigner celui qui, parmi les deux autres, “avait la même chose à l’intérieur” et, dans une autre condition expérimentale, “lequel des deux lui ressemblait le plus”. Dès l’âge de 3 ans, les réponses des enfants diffèrent du hasard (58 % de bonnes réponses) et, là encore, les performances augmentent avec l’âge (73 % de bonnes réponses pour les enfants de 4 ans). L’analyse des résultats montre que les enfants produisent autant de bonnes réponses aux questions portant sur la structure interne qu’à celles portant sur la ressemblance. Ceci montre que les enfants sont capables de raisonner à partir de la structure interne indépendamment de la ressemblance perceptive.