II.3.3. Les principes de l’hérédité

Au cours des premiers travaux portant sur la question des connaissances théoriques possédées par les jeunes enfants, Keil (1986) a avancé qu’ils possédaient un principe fondamental leur permettant de différencier les objets naturels des artefacts : les objets vivants auraient une essence qui leur permettrait de garder leur identité malgré des modifications diverses, alors que les objets fabriqués perdraient leur identité après transformations.

Keil (1989) a testé cette hypothèse en opérant des changements physiques sur des animaux et sur des artefacts. Ces transformations physiques (par exemple dessiner des rayures sur un cheval) conduisent à remettre en cause l’identité de l’objet pour les enfants les plus jeunes (avant 7 ans). Cependant, cet auteur a souligné que malgré cette erreur, ces enfants ne peuvent pas admettre qu’un objet vivant puisse devenir non vivant par simple transformation (coller des piquants sur l’animal ne le transforme pas en plante (cactus)). Le changement d’identité n’admet donc pas le changement de domaine.

Une série d’expériences réalisée par Gelman et Wellman (1991) était consacrée à cette question de composantes génétiques permettant de différencier les êtres vivants des artefacts. En posant des questions à propos de ce qu’il pouvait advenir dans le cas d’adoption d’animaux par des espèces différentes, les auteurs ont mis en évidence que les enfants les plus jeunes possédaient des principes incomplets : ils pensaient que l’allure physique resterait la même en cas d’adoption mais que quelques propriétés pourraient se modifier avec le temps. Les travaux conduits par Inagaki et Hatano (1993) ont précisé ce résultat en montrant que les enfants, dès 4 ans, font la différence entre des propriétés telle que “pouvoir courir plus vite” qui sont des capacités sensibles aux changements environnementaux (ici l’entraînement) et d’autres telles que la couleur des yeux qui sont des propriétés héritées et immuables.

Les enfants semblent donc connaître des notions pourtant complexes telles que le mouvement, la composition interne des objets, la croissance ou bien encore disposer de connaissances à propos de l’hérédité. Mais, comme nous l’avons vu, ces connaissances théoriques sont incomplètes et ceci conduit les enfants les plus jeunes à commettre des erreurs d’appréciation. Cependant, ces erreurs semblent respecter les “frontières catégorielles”. Ainsi, les jeunes enfants pensent qu’une transformation physique d’un animal peut le faire changer d’espèce animale mais il n’accepte pas, au même âge, que cet animal puisse devenir une plante verte. Ceci rejoint les observations que nous avons effectuées au cours de précédents travaux (Honoré, 1999 ; Honoré, Boyer & Bedoin, 1999) basés sur le paradigme du distinctiveness effect, et visant à évaluer les effets de violations de frontières catégorielles sur les performances mnésiques de sujets adultes. Dans le cas où les énoncés étranges respectaient les limites catégorielles (par exemple “‘il y a un homme qui mange du papier’” est un énoncé non familier mais l’action est compatible avec la catégorie des êtres vivants), la mémorisation était facilitée par rapport à un énoncé “banal” (par exemple : “‘il y a un homme qui porte un manteau’”) alors que cette facilitation, classiquement observée dans un cas d’étrangeté (Schmidt, 1996) n’était pas observable dans le cas où les énoncés proposés ne respectaient pas ces limites catégorielles (“‘il y a un homme qui voit à travers le métal’”). Ainsi, l’organisation des connaissances sémantiques en mémoire semble particulièrement basée sur une distinction entre les connaissances relevant du monde vivant versus non vivant.