III. SYNTHESE ET PROBLEMATIQUE

À l’issue de la présentation de ces travaux, nous pouvons conclure que les indices visuels, les modes de construction théorique ainsi que les indices verbaux favorisent l’émergence et guident la construction et l’organisation des connaissances sémantiques en mémoire chez les enfants.

Mais considéré dans leur individualité, aucun de ces facteurs ne semble suffisant pour rendre compte de l’ensemble des capacités de catégorisation observables chez des enfants parfois très jeunes. L’interaction constante entre ces éléments est donc nécessaire au développement et à l’organisation des connaissances sémantiques en mémoire.

Les indices perceptifs seraient le moteur du développement des connaissances de bas niveau. Sur la base de ces indices, les enfants regrouperaient des objets partageant une forte similarité perceptive. Mais cet ancrage perceptif est un obstacle au développement de catégorie plus abstraites (celles-ci regroupant en effet des objets parfois très peu ressemblants). Aussi les enfants auraient la possibilité d’utiliser en parallèle des modes de construction théoriques. Ces principes abstraits, spécifiques aux différents domaines de connaissances, guideraient alors le traitement des objets. Enfin, les connaissances du niveau de base et du niveau de domaine trouveraient une source d’enrichissement à travers le développement du lexique. Cette interaction constante contribuerait à la construction de connaissances sémantiques en mémoire selon un processus spécifique aux domaines de connaissances plutôt que général.

C’est autour de cette question de développement spécifique que s’articule le travail expérimental que nous avons mené auprès des enfants. Nos expériences ont en effet pour but de mettre en évidence l’existence d’un développement conceptuel différent pour le domaine des animaux et des artefacts chez les enfants de 3 à 12 ans et d’étudier plus précisément le mode de construction et d’organisation de ces connaissances pour chacun de ces domaines. Nous cherchons en effet à savoir si les connaissances de domaine sont strictement basées sur la généralisation de connaissances que les enfants ont acquises à partir des niveaux inférieurs (accumulation de connaissances relatives à des exemplaires particuliers) ou bien s’il existe des principes inférentiels généraux spécifiques à la constitution de ces domaines (utilisation de connaissances théoriques).

Afin de répondre à ces questions, nous placerons les enfants dans des situations expérimentales au cours desquelles ils seront confrontés à des objets nouveaux (non familiers) appartenant pourtant à une catégorie ontologique qu’ils connaissent (par exemple un animal imaginaire appartenant à la catégorie des oiseaux). Dans le cas où les enfants sont invités à attribuer des propriétés à ces exemplaires non familiers, ils auront alors la possibilité de le faire soit par inférence à partir du niveau de domaine, soit par l’utilisation de connaissances contenues au niveau de base, procédant alors par analogie.

Nous nous intéresserons également à l’émergence des théories naïves relatives à la biologie et à la psychologie, question pour laquelle aucun consensus n’apparaît. Comme nous l’avons vu, la théorie du changement conceptuel radical proposée par Carey (1985) défend l’idée que les connaissances théoriques psychologiques sont la base constituante des connaissances biologiques et qu’elles sont indifférenciées jusqu’à 7 ans. Nous testerons cette dernière hypothèse en plaçant les enfants dans une épreuve d’induction au cours de laquelle ils devront produire des inférences à propos d’informations “biologiques” et “psychologiques”. Une différence dans la nature de ce qui guidera les inférences (ressemblance perceptive ou appartenance catégorielle) attestera l’indépendance de ces deux domaines de connaissances.