II.3.2. Précocité des connaissances de niveau de domaine

Dès trois ans et demi, les performances des enfants sont différentes de ce qu’aurait permis le hasard dans les conditions où des propriétés adéquates ou impossibles sont impliquées. Ils réussissent en effet la tâche à 72.9 % pour les propriétés adéquates et à 67.5 % pour les impossibles. Cela atteste que les enfants très jeunes disposent vraisemblablement de connaissances sur le domaine en général. Ils les mettraient d’ailleurs en oeuvre de plus en plus efficacement, comme l’attestent la régression régulière des refus pour les attributs adéquats et l’augmentation progressive des refus pour les attributs impossibles au cours de leur développement. Le fait que la variable Familiarité n’ait jamais aucun effet significatif pour ces deux types de propriétés confirme cette prépondérance de niveau de domaine dans leur raisonnement. Cette utilisation précoce de connaissances sur des catégories relevant du domaine pourrait permettre aux enfants de pallier leurs faibles connaissances sur les concepts de base. Bien qu’elles ne permettent pas, à elles seules, tous les raisonnements effectués dans cette tâche, les connaissances existeraient tout de même. Les deux faits suivants en témoignent : l’allure de la courbe pour les propriétés bizarres et l’effet de la familiarité sur ces propriétés.

En effet, l’évolution non linéaire20 des données pour les jugements portant sur les propriétés bizarres ne permet pas une explication en termes de mise en jeu croissante d’un processus unique et vraisemblablement pas par l’utilisation de connaissances d’un seul niveau d’abstraction. D’autre part, l’effet de la familiarité sur ces connaissances bizarres révèle la coexistence des croyances sur les domaines et de connaissances relevant du niveau de base. En effet, rappelons que pour les enfants de 3 ans et demi à 6 ans, les propriétés bizarres sont plus refusées lorsque l’objet (animal ou artefact) est familier, ce qui ne peut s’expliquer que par des connaissances spécifiques à des animaux familiers.

Ceci est en accord avec les travaux développés par Behl-Chadha (1996) et les auteurs qui défendent le fait que les connaissances du niveau de base et celles relevant du domaine coexistent à un même âge, et ceci de façon précoce. Les enfants seraient alors en mesure d’opérer des activités de catégorisation à ces différents niveaux d’abstraction.

Cette coexistence précoce est compatible avec la conception de Mandler et collaborateurs (Mandler & Bauer, 1988 ; Mandler, Bauer & McDonough, 1991 ; Mandler & McDonough, 1993 ; Mandler, 2000) qui défendent que les connaissances du niveau de domaine “nourrissent” les connaissances plus spécifiques du niveau de base. En effet, nos travaux montrent que les enfants ne doivent pas nécessairement attendre d’avoir acquis un très grand stock de connaissances sur les concepts de base pour disposer de connaissances générales sur des catégories plus larges. Ceci est également en accord avec l’idée de Prasada (2000) pour qui l’émergence des connaissances générales à propos de domaines n’est pas la conséquence de l’accumulation d’exemplaires d’une catégorie.

Notes
20.

Pour rappel, nous assistons à une augmentation régulière des refus pour les propriétés bizarres entre 3 ans et demi et 6 ans ; puis vers 6/7 ans, une diminution progressive de ces refus s’amorce et se confirme pour les enfants les plus grands et les adultes.