III.3. Résultats et discussion

III.3.1. Passation auprès de sujets adultes

Dans le but de vérifier la pertinence de notre matériel expérimental, nous avons souhaité dans un premier temps soumettre cette expérience à un groupe de 12 adultes, étudiants en psychologie à l’Université Lumière Lyon 2. L’Expérience était en tout point identique (planches de dessins et propriétés) à celle que nous souhaitions proposer aux enfants.

Lors de cette passation, et conformément aux résultats obtenus par les enfants les plus âgés dans l’expérience de Bedoin (1999), nous nous attendions à observer un taux important d’inférences catégorielles, celles-ci devant être plus largement mises en oeuvre dans le cas où les inférences impliquaient des connaissances biologiques plutôt que psychologiques. Or, les analyses statistiques (test t sur séries appariées) que nous avons réalisées à l’issue de ces passations sur le type d’inférences produites par ces sujets ont révélé une production statistiquement équivalente d’inférences catégorielles et perceptives, t = -0.647, p > .05.

De plus, et toujours contrairement à nos hypothèses, l’effet de la nature de la propriété sur le type d’inférences produites par les sujets n’a eu aucun effet. Ainsi, nous pouvons observer sur la Figure 7 que les propriétés psychologiques conduisent à produire autant d’inférences perceptives que catégorielles t = -0.167, p > .05, tout comme les propriétés biologiques t = -2.264, p > .05.

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Figure 7 — Résultats des 12 adultes ayant réalisé l’Expérience 3. Les adultes produisent statistiquement autant d’inférences perceptives que catégorielles, ils ne sont pas influencés par la nature de la propriété (biologique versus psychologique).

Ces résultats sont surprenants car très éloignés de nos hypothèses fondées sur les observations de Bedoin (1999). Il nous paraît ici pertinent d’évoquer un constat établit par Farrar, Raney et Boyer (1992), rapportant la sensibilité des enfants à la familiarité des propriétés proposées. Ces expérimentateurs ont montré que, lorsqu’ils utilisent des propriétés biologiques comportant un vocabulaire non familier pour les enfants (par exemple, “il a de la sérotonine dans le corps”), la production d’inférences catégorielles est réduite. Nous avons émis l’hypothèse que nos propriétés biologiques pouvaient placer les adultes dans une situation comparable, celles-ci pouvant paraître très étranges pour des adultes, voire irréalistes. L’éloignement de situations proches de leurs croyances sur le monde aurait pour conséquence la réalisation de simples inférences perceptives plutôt que catégorielles, peut être dans un souci d’économie cognitive.

Afin de tester cette hypothèse explicative, nous avons proposé cette expérience à 12 autres sujets adultes, étudiants en psychologie de l’Université Lyon 2. Lors de cette passation, seules les propriétés biologiques ont été modifiées. Nous avons en effet proposé des propriétés biologiques plus “écologiques”, comportant des termes certes non accessibles à la compréhension des enfants mais adaptés à une population adulte. Ces propriétés biologiques sont présentées dans le Tableau 4.

Tableau 4 —  Propriétés biologiques complexes proposées aux adultes. Expérience 3.
Propriétés biologiques complexes
Proposition A Proposition B
Il a un chromosome 19 qui manque Il a un chromosome 17 qui manque
Il a le sang épais Il a le sang fluide
Son coeur bat 90 coups à la minute Son coeur bat 110 coups à la minute
Il est allergique aux arachides Il est allergique aux pollens
Il souffre de diabète Il souffre d’hypertension
Il a un fort taux de glutamate dans le sang Il a un faible taux de glutamate dans le sang

Suite à ces nouvelles passations, une série d’analyses statistiques (test t sur séries appariées) a été conduite sur le type d’inférences produites. Cette analyse a révélé une absence de différence entre inférences catégorielles et perceptives (t = -1,737, p > .05), mais un effet de la nature de la propriété manipulée sur le type d’inférence produite. En effet, comme cela est observable sur la Figure 8, nous pouvons constater que les sujets adultes produisent significativement plus d’inférences catégorielles que d’inférences perceptives seulement lorsque la propriété impliquée est biologique, t = -2.264, p < .04. Les propriétés psychologiques conduisent, quant à elles, les sujets à produire autant d’inférences perceptives que catégorielles, t = -0.167, p > .05.

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Figure 8 — Résultats obtenus auprès de 12 adultes ayant réalisé l’Expérience 3 dans laquelle les propriétés biologiques sont complexes. Un lien en trait plein entre 2 conditions indique une comparaison de moyennes significative à p<.05.

Comparé aux données obtenues à partir de propriétés au contenu moins réaliste pour les adultes, ce résultat nous permet de conclure que les sujets adultes, tout comme les enfants, sont sensibles à la familiarité de la propriété impliquée. Cette influence relève du degré d’expertise des sujets : un vocabulaire trop simple ou un contenu inadapté à la maturité intellectuelle des adultes conduit les sujets à s’éloigner des inférences catégorielles.

La nature de la propriété (biologique versus psychologique) semble également avoir des incidences sur la production d’inférences catégorielles. Comme l’illustre la deuxième passation réalisées auprès des sujets adultes, les inférences catégorielles sont plus importantes lorsque des propriétés biologiques, plutôt que psychologiques, sont impliquées.

La passation de l’expérience auprès d’enfants en utilisant des propriétés biologiques et psychologiques adaptées à leur niveau de compréhension nous permettra d’étudier la genèse de ce phénomène.