I.1.2. Distinction entre mémoire épisodique et mémoire sémantique

Tulving (1972, 1984, 1985, 1987, 1995) a consacré l’ensemble de ses travaux à la distinction des deux sous-systèmes de la mémoire explicite : la mémoire épisodique et la mémoire sémantique. Aujourd’hui, cette conception reste la plus classiquement utilisée en neuropsychologie de la mémoire (Eustache, Desgranges, Guillery, et Lebreton, 2000). La mémoire épisodique contiendrait les événements vécus par le sujet et inscrits dans un contexte spatio-temporel. Ce serait la mémoire du souvenir. La récupération des informations au sein de cette mémoire biographique serait nécessairement délibérée et s’effectuerait par le processus d’ecphorie synergétique sur la base d’informations contextuelles : les indices contextuels permettraient de récupérer en mémoire l’ensemble des traces mnésiques s’y rapportant en entrant en résonance avec eux. La mémoire sémantique contiendrait, quant à elle, les connaissances relatives au savoir. Plus ou moins abstraites, ces connaissances seraient récupérables de façon automatique et seraient acontextualisées. Contrairement aux connaissances contenues dans la mémoire épisodique, les connaissances en mémoire sémantique ne seraient pas susceptibles d’oubli en l’absence de pathologie23.

Ainsi définies, il semble évident que mémoire épisodique et mémoire sémantique diffèrent clairement. Pourtant, cette distinction n’a pas été aisée à établir, et ce en raison de nombreuses similitudes entre ces deux sous-systèmes. Par exemple, tous deux ont une capacité de stockage illimitée et encodent des connaissances multimodales. Ces deux sous-systèmes de mémoire entretiennent également des relations procédurales les conduisant à se regrouper partiellement. Notamment, lors de l’encodage, les deux sous-systèmes s’activent de façon sérielle : toute information stockée dans la mémoire sémantique passerait initialement par la mémoire épisodique, mais il reste difficile de situer la frontière entre les deux. Par ailleurs, concernant le lieu de stockage, il est parfois difficile de décider si une connaissance est contenue dans le sous-système épisodique ou dans le sous-système sémantique. Les événements du 11 septembre 2001 sont une illustration de cette difficulté : indéniablement stockés en mémoire sémantique (connaissances sur le monde), ils relèvent aussi vraisemblablement de la mémoire épisodique (rôle de l’impact émotionnel, aspect peu pris en compte dans ces modèles). Ainsi, tant pour l’encodage que pour le stockage, la dissociation entre les deux sous-systèmes est moins évidente qu’il ne paraît.

Cette conception modulaire de la mémoire explicite s’appuie principalement sur des données neuropsychologiques provenant de patients amnésiques. Pour ces patients, la mémoire épisodique est altérée alors que la mémoire sémantique est préservée. Les performances obtenues par ces patients dans des tâches impliquant la mémoire épisodique, telles que le rappel libre, le rappel indicé ou des épreuves de reconnaissances, sont moins bonnes que celles obtenues par des sujets contrôles ; alors que dans des épreuves de fluence verbale ou de vérification d’énoncés, où il s’agit de faire appel à des connaissances sémantiques, les performances des deux groupes sont similaires (Tulving, Schacter, McLachlan & Moscovitch, 1988 ; O’Connor, Butters, Miliotis, Eslinger & Cermak, 1992 ; Wheeler & McMillan, 2001). Par ailleurs, ces deux sous-systèmes mnésiques semblent être affectés de façon différente par le vieillissement. La mémoire épisodique semble en effet particulièrement sensible au vieillissement alors que la mémoire sémantique serait préservée plus longtemps (Baeckman, Small & Wahlin, 2001).

Mais cette conception multi-systèmes de la mémoire se trouve confrontée à des critiques. La distinction entre mémoire à long terme et mémoire à court terme a, par exemple, été remise en question par des auteurs considérant la mémoire à court terme comme une partie de la mémoire à long terme (cette idée est notamment illustrée par le modèle de mémoire unitaire développé par Cowan, 1988). De plus, nous avons vu que la distinction mémoire épisodique – mémoire sémantique n’apparaît pas toujours évidente.

Notes
23.

Nous verrons en effet au cours du chapitre III que la Démence de Type Alzheimer (DTA) affecte particulièrement les connaissances sémantiques.