II.2. Organisation des connaissances sémantiques selon les catégories des objets

Les études neuropsychologiques apportent des données fondamentales à propos de l’organisation des connaissances sémantiques en mémoire. Une source particulièrement informative provient de patients présentant des atteintes sélectives d’un type de connaissances relatives à un domaine particulier. Ces cas, référencés dans la littérature comme des “déficits spécifiques”, sont souvent la conséquence d’un herpès encéphalite simplex ou de lésions focales consécutives à un traumatisme crânien, mais ils peuvent aussi être observés chez des patients atteints de démence de type Alzheimer (DTA). Classiquement, ces déficits spécifiques se manifestent par une atteinte particulière des connaissances à propos des êtres vivants alors que les connaissances relatives au domaine des artefacts sont préservées. De nombreuses observations de ce type sont référencées par Thompson-Schill, Aguirre, D’Esposito et Farah (1999), (pour la présentation de cas plus récents, voir Fung, Chertkow et Templeman, 2000 ; Fung, Chertkow, Murtha, Whatmough, Peloquin, Whitehead et Templeman, 2001). La dissociation inverse, plus rare, a également été relevée. Pour ces patients, le traitement des informations à propos des artefacts est sélectivement atteint alors que les capacités de traitement à propos des animaux sont maintenues (voir par exemple Moss et Tyler, 2000 ; Ward, 2001).

Ces multiples observations de déficits spécifiques ont tout d’abord été interprétées comme la conséquence de la perturbation de lieux de stockage distincts et circonscrits à des catégories particulières. Des études menées en neuro-imagerie ainsi que des modélisations informatiques ont corroboré cette hypothèse d’organisation catégorielle des connaissances sémantiques en mémoire. Mais, progressivement, une autre explication s’est imposée pour rendre compte des déficits spécifiques et, par là même de l’organisation des connaissances sémantiques en mémoire. Selon cette hypothèse indirectement catégorielle, les déficits spécifiques ne seraient pas la conséquence d’une désorganisation respectant un principe logique d’opposition entre catégories, mais refléteraient plutôt l’atteinte de types de traits ou attributs particulièrement centraux pour leur description. Plus précisément, des déficits spécifiques pour les animaux résulteraient de la perte d’attributs visuels (les traits perceptifs étant fondamentaux dans cette catégorie), alors que l’intégrité des connaissances relatives aux artefacts serait dépendante des traits fonctionnels. Une troisième alternative, plus récente, permet de lier les deux propositions précédentes. Elle décrit l’organisation des connaissances sémantiques en termes de réseaux de propriétés reliées, le degré d’intercorrélation de ces traits étant différent selon les catégories. Les déficits spécifiques seraient alors la conséquence de perturbations de ces réseaux.

Dans les paragraphes suivants, nous présenterons tour à tour ces conceptions (organisation catégorielle, organisation selon les types d’attributs, organisation en réseaux de propriétés) et les arguments sur lesquels chacune de ces théories se fonde.