II.3.2. Évolution de la notion de niveau de base : le niveau d’entrée

En 1984, Jolicoeur, Gluck et Kosslyn enrichissent cette proposition d’organisation taxonomique des connaissances sémantiques en mémoire en suggérant de remplacer, au sein de cette hiérarchie, le niveau de base par le niveau d’entrée. Tout comme le niveau de base, le niveau d’entrée se distinguerait d’un niveau supra-ordonné et d’un niveau infra-ordonné. Il serait défini par le terme utilisé spontanément pour dénommer l’objet lors de la présentation de son image.

La notion de niveau d’entrée présente l’avantage de lier les principes de dimension horizontale et verticale, ce que ne permettait pas le niveau de base. En effet, d’après la taxonomie probabilistique, “oiseau” est un niveau de base dans la hiérarchie des catégories animalières (dimension verticale). A l’intérieur de cette catégorie “oiseau” (on se trouve alors dans la dimension horizontale), la notion de niveau d’entrée apporte une nuance basée sur les différences de statut cognitif des objets de cette catégorie induite par la distance qui les sépare du prototype. Par exemple, si le dessin d’un moineau est présenté, la dénomination la plus courante est “oiseau”. “Oiseau” peut donc être considéré comme le niveau d’entrée du moineau. Par contre, si l’image d’un pingouin (moins typique des oiseaux) est proposée, la dénomination spontanée est “pingouin”. “Pingouin” est donc le niveau d’entrée pour pingouin. Nous pouvons souligner que la notion de niveau d’entrée s’articule avec celle de la typicalité, dépassant ainsi la notion de niveau de base qui ne prenait pas en compte cet aspect.

Des études menées en imagerie cérébrale auprès de sujets sains confortent la pertinence de cette notion et révèlent l’existence de mécanismes neuronaux spécifiques pour le traitement d’informations à chacun de ces niveaux de la taxonomie.

Les travaux de Kosslyn, Alpert et Thompson (1995) montrent en effet une activation cérébrale dans des régions différentes selon le niveau de récupération de l’information. Leurs expériences, réalisées en tomographie par émission de positons (TEP), consistaient en une vérification d’appariement entre un dessin perçu visuellement et un label verbal présenté auditivement ; ce label pouvant être le nom de l’objet au niveau d’entrée (oiseau), ou au niveau supra-ordonné (animal) ou bien encore au niveau infra-ordonné (rouge-gorge).

Pour le traitement de catégories supra-ordonnées (plutôt que de niveau d’entrée), ces auteurs observent des activations dans le cortex pré-frontal dorso-latéral (hémisphère gauche) et des activations à la jonction temporo-pariétale gauche. Ceci pouvant respectivement correspondre à une recherche d’informations supplémentaires en mémoire ainsi qu’à une récupération d’information dans un lieu de stockage. Lorsqu’il s’agit de traiter des catégories infra-ordonnées (plutôt que de niveau d’entrée), une activation du lobe temporal inférieur est observée. Elle est interprétée comme une recherche d’informations perceptives supplémentaires dans l’image. Ces interprétations se trouvent confortées par les résultats obtenus par ces mêmes auteurs dans une autre expérience manipulant simplement le temps de présentation du dessin auquel le nom est associé (Kosslyn, Alpert & Thompson, 1995). Dans cette expérience, une influence négative de la rapidité de présentation du dessin est spécifiquement relevée pour les vérifications des noms au niveau infra-ordonné. Les auteurs interprètent cet effet comme la conséquence d’une exploration visuelle approfondie du dessin qui est nécessaire pour ce niveau (par rapport à une vérification au niveau d’entrée). Par contre, lorsque la vérification du nom est à réaliser au niveau supra-odonné, la réduction du temps de présentation du dessin n’a aucun influence : la vérification à ce niveau peut être faite à partir de l’exploration de connaissances contenues en mémoire (avec sans doute une inférence catégorielle).

Ces arguments corroborent donc l’idée de l’existence de plusieurs niveaux de stockage des connaissances sémantiques. Il serait possible de distinguer un “niveau d’entrée”, donnant accès à des connaissances basiques (c’est un oiseau), un niveau “supra-ordonné” composé de connaissances de domaine (c’est un animal) et un niveau “infra-ordonné” stockant des concept plus spécifiques (c’est un moineau). L’ensemble des arguments a principalement permis de démontrer l’existence d’une telle organisation pour les noms des concepts. Dans notre travail, nous testerons l’hypothèse d’une organisation semblable pour les propriétés définissant les objets. Pour un même objet (par exemple : “pivert”), nous manipulerons des propriétés relevant du niveau d’entrée et des propriétés de niveau supra-ordonné (respectivement, pour cet exemple : “peut piquer le bois” et “a des ailes”). Nous faisons l’hypothèse qu’il existe plusieurs niveaux supra-ordonnés pour un même objet (toujours pour cet exemple : “a des ailes” est vérifiable au niveau supra-ordonné “ontologique” (il réfère au fait que le pivert est un oiseau) et “a un coeur” est stocké à un niveau supérieur que nous dénommerons “niveau supra-ordonné de domaine” (cet attribut faisant référence au fait que le pivert est un animal). Enfin, au cours de nos différentes expériences, nous nous attacherons à démontrer que les niveaux auxquels sont stockées les connaissances sémantiques relatives à un même objet sont indépendants.