I.3. Résultats et discussion

Deux analyses de variance à mesures répétées (Anova) ont été réalisées sur les temps de réponse des items expérimentaux (les erreurs ayant été exclues au préalable) et sur les taux d’erreurs35. Ces analyses de variance à mesures répétées comportaient deux facteurs intra-individuels : Niveau (entrée ou supra-ordonné) et Nature (fonctionnelle ou structurale). Ces analyses ont été effectuées pour les sujets (F1) et pour les items (F2).

Le temps de réponse moyen est de 1015 ms pour cette épreuve (MSD = 510 ms). Il s’accompagne d’un taux d’erreurs de 9.29 %. Cette proportion semble excessive aux vues des performances recueillies dans une étude princeps proposée à 36 étudiants (Honoré, 1999) qui, bien d’un niveau de difficulté plus élevé, conduisait seulement à 7.02 % d’erreurs. Dans cette étude, la difficulté était accrue car le dessin était précédé et suivi d’un masque visuel, le temps de présentation du dessin était plus court (200 ms) et le sujet avait pour consigne de répondre le plus rapidement possible. Le pourcentage d’erreurs assez important relevé dans l’Expérience 4 ne peut donc pas s’expliquer par une difficulté accrue de la tâche. Il ne peut pas non plus être interprété comme le résultat d’un déficit des connaissances sémantiques, car, si tel avait été le cas, d’autres indicateurs auraient traduit cette difficulté. Or, les performances des sujets aux tests de fluence sont compatibles avec les normes habituellement rencontrées pour cette population. De plus, l’analyse des temps de réponse pour les items sur lesquels les sujets ont commis des erreurs, montre que 98.39 % de ces temps ne sont pas “déviants” : ils restent en effet inférieurs à la limite au-delà de laquelle la réponse n’était plus recevable (cette limite correspondait au temps moyen plus deux écarts-types)36. Les erreurs des sujets jeunes correspondent donc rarement à des hésitations. Il semble donc que le pourcentage d’erreurs élevé dans cette expérience illustre un compromis entre la rapidité et l’exactitude : bien qu’aucune consigne n’ait été donnée à ce propos, les sujets jeunes semblent s’être imposés une contrainte temporelle. En répondant particulièrement rapidement, ils ont commis de nombreuses erreurs.

L’analyse portant sur les temps de réponse montre un effet du niveau d’accès à la connaissance de l’attribut. Les réponses sont plus rapides lorsque les informations sont récupérables au niveau d’entrée que lorsqu’elles le sont au niveau supra-ordonné, F1(1, 12) = 20.313, p < .01, F2(1, 140) = 15.917, p < .01. Cet effet du niveau ne se retrouve cependant pas pour les taux d’erreurs F1(1, 12) = 1.203, p > .05, F2(1, 140) = 0.228, p > .05. Ces premiers résultats mettent en évidence que la récupération des connaissances relatives à des attributs d’un même objet s’effectue sur un rythme différent selon le niveau auquel cet attribut est pertinent. Ce rythme différent s’accorde avec notre hypothèse d’une organisation hiérarchique de ces connaissances.

La nature de l’attribut (fonctionnelle ou structurale) a également un effet sur les temps de réponse. Les réponses sont globalement plus rapides pour les attributs structuraux que pour les attributs fonctionnels, F1(1, 12) = 9.648, p <.01, F2(1, 140) = 6.159, p < .05. Ce résultat se distingue de ceux obtenus avec des études manipulant des propriétés visuelles et fonctionnelles dans lesquelles de meilleures performances sont toujours relevées pour les attributs fonctionnels plutôt que visuels (Caramazza & Shelton, 1998 ; Thompson-Schill & Gabrieli, 1999). Ceci souligne l’importance de la distinction entre la nature dite “structurale” et la nature strictement visuelle des propriétés.

Les variables Niveau et Nature interagissent significativement pour les temps de réponse pour les sujets F1(1, 12) = 64.521, p < .05 et pour les taux d’erreurs F1(1, 12) = 6.685, p < .05, F2(1, 140) = 4.401, p < .05. Ces deux interactions, illustrées par la Figure 17, révèlent que l’effet de la nature de l’information se manifeste différemment selon le niveau de stockage de l’information.

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Figure 17 — Interaction Niveau*Nature pour l’Expérience 4 pour les temps de réponse (à gauche) et pour les taux d’erreurs (à droite). Les liens en trait plein entre deux conditions indiquent une comparaison de moyennes significative à p < .05.

Pour le niveau supra-ordonné, un effet de la nature est observable : les informations structurales sont mieux et plus rapidement traitées que les informations fonctionnelles (respectivement, F1(1, 12) = 7.521, p < .05, F2(1, 140) = 4.883, p < .05 et F1(1, 12) = 21.335, p < .01, F2(1, 140) = 8.617, p < .01). Pour le niveau d’entrée, les informations fonctionnelles et structurales donnent lieu à des temps de réponses et des taux d’erreurs statistiquement non différents.

Ces premiers résultats suggèrent que le traitement des informations supra-ordonnées structurales est particulièrement favorisé dans cette expérience. La disparition de l’effet du niveau sur les taux d’erreurs pour les informations structurales confirme cette observation. Classiquement, la récupération de l’information est plus juste au niveau d’entrée qu’au niveau supra-ordonné (Honoré, 1999 et Expériences 5, 6 et 7 de cette thèse). Or, dans cette expérience, la vérification des informations structurales est insensible à la différence de niveau : les informations structurales sont traitées avec la même exactitude au niveau d’entrée qu’au niveau supra-ordonné, F1(1, 12) = 1.203, p > .05, F2(1, 140) = 1.313, p > .05. Cette disparition de l’effet du niveau est spécifique aux connaissances structurales : le traitement des informations fonctionnelles est en effet plus correct au niveau d’entrée qu’au niveau supra-ordonné pour les sujets, F1(1, 12) = 6.552, p < .05, F2(1, 140) = 3.316, p = .07. Cette facilité de traitement des informations structurales peut être liée à l’utilisation d’une stratégie basée sur l’imagerie mentale visuelle, cette stratégie serait particulièrement favorisée par la présentation partiellement imagée des stimuli. En effet, les attributs structuraux ayant plus de chance de faire partie d’une image mentale, il se peut que la récupération d’une information de cette nature soit facilitée par la présentation imagée du stimulus représentant l’être vivant. Dans cette expérience, les sujets réalisent peut-être la tâche en maintenant en mémoire, sous la forme d’une image mentale, le dessin qu’ils viennent de percevoir. Pour répondre à la question sur l’adéquation de l’attribut présenté ensuite, il suffit alors de compléter cette image mentale et de vérifier si le résultat obtenu est conforme à leurs connaissances en mémoire. Ce type de procédure, sans doute encouragée par la présentation imagée, favoriserait globalement tous les attributs structuraux, et par conséquent, annulerait l’effet du niveau pour ces attributs.

Cet effet différent de la nature de l’information selon le niveau confirme la pertinence de penser une organisation taxonomique des connaissances sémantiques pour les propriétés d’un même objet : ces connaissances seraient stockées différemment, peut-être à des niveaux différents, selon leur degré d’abstraction. L’effet différent de la nature de l’information selon le niveau de stockage suggère l’indépendance de ces niveaux et montre que la nature des propriétés (fonctionnelle ou structurale) peut être étudiée pour le domaine des êtres vivants. Rappelons que, dans les études habituelles, la nature de la propriété n’est jamais étudiée au sein d’un même domaine. Les connaissances fonctionnelles étant considérées comme représentatives du domaine des artefacts et les propriétés visuelles (plutôt que structurales) étant associées au domaine du vivant, la différence de nature des connaissances est étudiée indirectement par l’opposition entre le domaine des animaux et celui des artefacts.

Dans cette expérience, avec une méthode comportementale, nous montrons la pertinence de penser une organisation hiérarchique pour les attributs des objets, et non plus simplement pour les noms des objets.

Une collaboration entre notre Laboratoire EMC (Dr N. Bedoin, Pr O. Koenig), le Laboratoire de Psychologie Expérimentale de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble (Dr. M. Baciu) et l’Unité INSERM U438 de l’Université Joseph Fourier de Grenoble (Pr. C. Segebarth) dans le cadre d’un contrat financé par la région Rhône-Alpes (contrat ARASSH) dirigé par le Pr O. Koenig, nous a donné l’opportunité de dépasser ces observations comportementales en réalisant une expérience IRMf avec le matériel expérimental de l’Expérience 4. Cette expérience (Expérience 537) avait deux objectifs : (1) confirmer cette organisation hiérarchique pour les attributs des objets (2) identifier les réseaux neuronaux sous tendant ces connaissances structurales et fonctionnelles aux deux niveaux de la hiérarchie, pour le domaine des êtres vivants.

Notes
35.

Les tableaux généraux des analyses Anova réalisées pour l’Expérience 4 sont consultables en pages 20 et 21 des Annexes.

36.

Nous verrons que pour les patients atteints de DTA, les temps de réponses ayant donné lieu à des erreurs dépassent le plus souvent cette limite, ceci traduisant une perte du stock des connaissances sémantiques en mémoire.

37.

Les résultats de cette expérience ont été présentés au congrès ESCOP (Bedoin et al., 2000), et font l’objet d’un article prochainement soumis (Bedoin, Baciu, Honoré-Masson, Vernier, Koenig, & Segebarth, en préparation).