II.3.2. Analyses des activations cérébrales

Les analyses des images IRMf ont été réalisées avec le logiciel SPM 96 (Wellcome Department of Cognitive Neurology, London, UK). Les volumes anatomiques ont été normalisés à partir des références de l’atlas de Talairach et Tournoux (1988), puis les contrastes entre les conditions ont été déterminés en utilisant un modèle linéaire général. Le seuil de significativité pour les pixels était fixé à p = .001. Les clusters de pixels activés ont été identifiés sur la base de l’intensité des réponses individuelles et de l’étendue des clusters. Au final, le seuil de significativité à p = .05 a été retenu pour identifier les clusters activés.

Pour répondre à notre question à propos de différences de traitement des attributs fonctionnels et structuraux aux deux niveaux, deux comparaisons essentielles ont été effectuées. Pour les attributs structuraux, nous comparons les activations au niveau d’entrée et au niveau supra-ordonné et pour les attributs fonctionnels, nous comparons les activations au niveau d’entrée et au niveau supra-ordonné. En annexes (page 29 et 30), un tableau complet fait état des coordonnés stéréotaxiques des aires spécifiquement activées à l’issue de ces comparaisons.

Attributs structuraux — Les activations spécifiques pour le traitement des items structuraux de niveaux supra-ordonné par rapport aux items structuraux de niveau d’entrée sont illustrées sur la Figure 19. Pour les items structuraux de niveau supra-ordonné, quatre régions principales sont activées : le gyrus supra-marginal gauche (BM40), le gyrus lingual gauche (BM19), le précuneus droit (BA7) et le cortex prémoteur gauche (BM6).

message URL FIG19.gif
Figure 19 — Activations spécifiques relevées lors de la vérification des propriétés structurales de niveau supra-ordonné par rapport aux activations relevées lors du traitement des informations structurales de niveau d’entrée (Expérience 5).

Les items structuraux de niveau d’entrée, comparés aux items structuraux de niveau supra-ordonné, n’activent qu’une aire spécifique localisée dans le gyrus cingulaire antérieur (BA 24).

Attributs fonctionnels — Contrairement aux informations structurales de niveau supra-ordonnées qui activaient surtout des aires cérébrales localisées dans des régions postérieures de l’hémisphère gauche, les attributs fonctionnels de niveau supra-ordonné activent des aires plus antérieures et principalement localisées à droite. Le cortex prémoteur droit (BA6) et la partie droite du noyau caudé sont activés. De plus, une activation est relevée dans le cortex préfrontal dorso-latéral droit (DLPFC, BA10) et dans le gyrus cingulaire antérieur gauche, deux aires supposées cruciales dans les mécanismes attentionnels. Les activations spécifiques pour le traitement des items fonctionnels de niveau supra-ordonné par rapport aux items fonctionnels de niveau d’entrée sont illustrées sur la Figure 20.

message URL FIG20.gif
Figure 20 — Activations spécifiques relevées lors de la vérification des propriétés fonctionnelles de niveau supra-ordonné par rapport aux activations relevées lors du traitement des informations fonctionnelles de niveau d’entrée (Expérience 5).

Pour le traitement des attributs fonctionnels de niveau d’entrée, aucune région n’est significativement activée, par rapport au traitement des attributs fonctionnels de niveau supra-ordonné.

Concernant l’hypothèse de l’organisation taxonomique des attributs en mémoire, les résultats comportementaux montrent que le traitement d’une propriété au niveau supra-ordonné, plutôt qu’au niveau d’entrée, ralentit la vérification et les données en imagerie permettent d’ajouter que ce traitement d’une propriété au niveau supra-ordonné conduit à l’activation d’aires cérébrales supplémentaires. En effet, comme nous l’avons vu, très peu d’aires cérébrales sont spécifiquement activées lors des vérifications au niveau d’entrée par rapport au niveau supra-ordonné, alors que de nombreuses aires cérébrales sont spécifiquement associées à des vérifications au niveau supra-ordonné. Ceci suggère donc que les vérifications d’informations supra-ordonnées ne s’effectuent pas sur le même principe que celui mis en oeuvre pour les connaissances de niveau d’entrée. Pour le niveau supra-ordonné, un processus inférentiel de haut niveau à partir de la catégorie supra-ordonnée à laquelle l’objet appartient est peut-être utilisé.

De plus, en accord avec nos prédictions, les aires activées pour les vérifications au niveau supra-ordonné diffèrent selon la nature (fonctionnelle ou structurale) des propriétés. Pour les informations structurales, les aires activées sont situées dans la partie postérieure du cerveau et majoritairement localisées à gauche alors que les aires activées pour les informations fonctionnelles sont plus antérieures et latéralisées majoritairement à droite.

La vérification des propriétés supra-ordonnées structurales est en partie sous-tendue par deux structures : le gyrus supra-marginal gauche (BM40) et le le gyrus lingual gauche (BA 19). La première de ces structures est souvent décrite comme impliquée dans le stockage des connaissances sémantiques et semble jouer un rôle crucial au sein de la mémoire associative (Dehaene, 1995 ; Kosslyn, Alpert & Thompson, 1995). La deuxième structure (gyrus lingual gauche) intervient quant à elle dans la dénomination silencieuse (inner speech, Spitzer et al., 1998) et dans la récupération de connaissances sémantiques (Kosslyn, Alpert & Thompson, 1995). L’ensemble de ces activations suggère donc que des connaissances supplémentaires sont requises pour vérifier des connaissances contenues au niveau supra-ordonné plutôt qu’au niveau d’entrée.

L’activation du gyrus lingual gauche (BM19) est compatible avec l’idée que les régions postérieures sont particulièrement impliquées pour traiter les informations visuelles (Kosslyn et al., 1994 ; Thompson Schill et al., 1999). L’activation de cette aire a en effet été relevée dans une tâche d’identification de dessins d’animaux (Perani et al., 1999), un domaine pour lequel les traits visuels sont centraux. L’activation de cette structure suggère donc que la vérification des propriétés structurales de niveau supra-ordonné pourrait être basée sur un processus d’imagerie mentale visuel. Pour rappel, nous pensons que, suite à la présentation imagée de l’être vivant, le sujet pourrait garder temporairement en mémoire cette image mentale et, ensuite, tenter de la compléter par l’attribut structural sur lequel porte la vérification. En accord avec cette hypothèse nous relevons l’activation du précuneus droit (BA7) qui est classiquement associée à l’encodage des informations spatiales (Fletcher et al., 1995), un processus fondamental pour compléter une image mentale. De plus, la latéralisation à gauche des activations est compatible avec les travaux montrant que certains processus sous tendant l’imagerie sont situés dans l’hémisphère gauche (D’Esposito et al., 1997 ; Farah, Peronnet, Weisberg & Monheit, 1989 ; Goldenberg et al., 1989 et pour une revue, voir Farah, 1995).

Des activations sont également relevées dans le cortex prémoteur gauche (BM 6). Bien que cette aire soit généralement associée à la représentation des actions, et spécialement des actions réalisées avec la main droite, des activations dans cette région ont été observées pour des stimuli statiques qui n’induisaient aucune sorte d’action (D’Esposito et al., 1997 ; Thompson-Schill et al., 1999).

La vérification de propriétés supra-ordonnées fonctionnelles produit des activations dans des aires cérébrales différentes de celles relevées pour les propriétés supra-ordonnées structurales, ce qui suggère l’existence de deux réseaux corticaux distincts codant les attributs d’un même objet selon leur nature.

La vérification des propriétés supra-ordonnées fonctionnelles active des aires cérébrales qui sont impliquées dans la recherche attentionnelle de connaissances sémantiques en mémoire. En effet, le cortex préfrontal dorso-latéral droit (BA 10) et le gyrus cingulaire antérieur (BA 24) seraient les deux aires cérébrales sous-tendant le système d’attention antérieur décrit par Posner (Posner & Peterson, 1990). Ce système régit un processus attentionnel et le contrôle d’activités volontaires qui ne sont pas immédiatement induites par le stimulus (Duncan, 1995), comme cela est le cas dans notre expérience. L’activation associée de ces deux aires a été relevée dans de nombreuses tâches complexes telles que des tâches de génération de gestes aléatoires (Frith, Friston, Liddle & Frackowiak, 1991), des épreuves génération de verbes à partir de noms (Petersen, Fox, Posner, Mintun & Raichle, 1988), des tâches de comparaison de formes visuelles complexes entre des stimuli successifs (Corbetta, Miezin, Dobmeyer, Shulman & Petersen, 1991) ou bien encore des tâches de rappel (Grasby et al., 1993)... La latéralisation à droite de l’activation du cortex préfrontal dorso-latéral peut s’expliquer par le fait que dans cette tâche, des attributs (plutôt que des noms) ont été vérifiés. Le traitement d’attributs pourrait en effet nécessiter la mise en oeuvre d’un procédé de nature sémantique plutôt que strictement lexical. Par ailleurs, il est vrai que l’activation du cortex préfrontal droit est généralement associée à une récupération de connaissances épisodiques (Nyberg, Cabeza & Tulving, 1996), son implication dans la récupération d’informations sémantiques a néanmoins été récemment relevée (Ranganath & Paller, 1999).

L’activation conjointe du cortex moteur droit, de la région droite du noyau caudé et du cortex préfrontal dorso-latéral droit forme un réseau qui a été décrit comme impliqué dans le traitement d’informations relatives à l’action (Passingham, 1997). De plus, chacune de ces régions, même considérée isolement, a déjà été signalée pour son implication dans des traitements relatifs au mouvement ou à l’action. Ainsi, l’activation du cortex prémoteur a été relevée dans des tâches d’observation et de dénomination d’outils (Grafton, Fadiga, Arbib & Rizzolati, 1997 ; Chao & Martin, 2000) et les ganglions de la base (auxquels le noyau caudé appartient) sont reliés à la mémoire motrice et permettent d’initier et de contrôler le mouvement (Jenkins, Brooks, Nixon, Frackowiak & Passingham, 1994 ; Menon, Anagnoson, Glover & Pfefferbaum, 2000). Le cortex préfrontal dorso-latéral droit est quant à lui activé lorsqu’il s’agit d’accéder à des informations sémantiques relatives aux outils (Perani et al., 1999). En outre, étant donné que le noyau caudé reçoit des informations des aires associatives temporales, parietales, préfrontales (Selemon & Goldman-Rakic, 1985) et des aires prémotrices (Selemon & Goldman-Rakic, 1985 ; Shook, Schlag-Rey & Schlag, 1991), il se pourrait que le cortex préfrontal exerce une influence sur le système moteur, via les ganglions de la base, pemettant ainsi, au sein d’un réseau, une bonne convergence des informations relatives à l’action (Passingham, 1997).

Ce réseau est cependant classiquement relevé dans des tâches impliquant des outils, et l’originalité de nos données est d’observer son implication pour traiter des connaissances relatives aux êtres vivants. Cela suggère donc que, conformément à notre hypothèse, il est possible d’étudier au sein d’un même domaine de connaissance (celui des êtres vivants) les effets de la nature fonctionnelle ou structurale des informations, alors que cette différence est classiquement étudiée de façon indirecte à travers l’opposition entre les catégories Animal et Artefacts. Ainsi, ces données montrent que les activations classiquement rapportées dans la littérature (voir partie II.2.1 de ce chapitre) traduisent la nature des traits impliqués plutôt que l’appartenance catégorielle des objets traités.

Un dernier point peut encore être discuté : celui de l’activation du cortex prémoteur située à droite dans notre expérience, alors qu’une activation de cette structure est classiquement rapportée à gauche pour le traitement des outils. Cette activation à gauche est généralement expliquée par l’implication des aires corticales dévolues au traitement des actions réalisées par la main droite. Or, dans notre expérience, il n’y a aucune raison pour que les attributs fonctionnels associés aux êtres vivants induisent une action manuelle. Aussi, l’activation du cortex prémoteur à droite n’est pas particulièrement surprenante.

En bref, les résultats de cette Expérience 5 confortent les résultats de l’Expérience 4 : ils apportent des arguments en faveur de notre hypothèse d’organisation hiérarchique des connaissances en mémoire. De plus, ils montrent que les effets de la nature fonctionnelle ou structurale peuvent être étudiés au sein du domaine des êtres vivants puisque des réseaux neuronaux différents sont impliqués dans le traitement des attributs fonctionnels et structuraux pour les êtres vivants au niveau supra-ordonné.

Concernant les informations supra-ordonnées structurales, les données comportementales de l’Expérience 4 soulignaient le traitement privilégié de ces informations. Ces dernières étaient en effet plus rapidement traitées que les informations fonctionnelles supra-ordonnées, au point de faire disparaître l’effet du niveau pour les informations structurales. Nous avions alors évoqué la mise en oeuvre d’une stratégie facilitatrice probablement basée sur l’imagerie mentale visuelle pour ces connaissances. Notre hypothèse se trouve confortée par les données provenant l’imagerie cérébrale (Expérience 5). Des activations d’aires classiquement associées à ce processus d’imagerie (activation latéralisée à gauche du gyrus lingual et du précuneus droit) sont effectivement relevées pour ces propriétés structurales supra-ordonnées.

Afin de confirmer notre hypothèse concernant la mise en oeuvre d’un tel processus d’imagerie pour ces informations, nous avons réalisé une nouvelle expérience (Expérience 6), correspondant à la version strictement verbale de l’Expérience 4.