II.3. Topographie des lésions et implications cliniques

Les lésions ne se répartissent pas au hasard dans le cerveau et s’installent progressivement, leur décours est précis et caractéristique. Ces lésions débutent tout d’abord dans les régions limbiques et paralimbiques (notamment au sein de la formation parahippocampique49) ainsi que dans les formations grises sous-corticales, puis s’étendent aux cortex associatifs temporo-pariétaux et frontaux.

La progression de la dégénérescence neurofibrilaire illustre bien cette progression. Elle suit un chemin séquentiel et prédictible : elle débute par la région hippocampique puis progresse vers le cortex temporal puis les régions corticales associatives, et atteint finalement les régions primaires motrices et sensitives.

Certaines structures cérébrales sont, par contre, préservées. Le thalamus est, par exemple, généralement intact tout comme le champ CA3 de la formation hippocampique.

La Figure 30 présente schématiquement la localisation de ces lésions histologiques, les zones foncées indiquant une densité plus importante de ces lésions.

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Figure 30 — Distribution des altérations histologiques dans la DTA (en foncé : zone où la densité des lésions est plus marquée).

L’altération physique progressive de ces structures entraîne des perturbations dans le fonctionnement cognitif des sujets. L’atteinte des structure limbiques et paralimbiques se traduit par des perturbations dans les processus mnésiques et par des troubles psycho-comportementaux (contrôle des réactions émotionnelles par exemple) et attentionnels. Puis, lorsque le processus de dégénérescence neuronale se propage vers les cortex associatifs, des aphasies, apraxies et agnosies deviennent observables. L’atteinte du cortex préfrontal entraîne de nombreux troubles des fonctions exécutives (mise en place de stratégies mentales, inhibition d’actions automatiques...).

Les manifestations cliniques de la maladie d’Alzheimer sont classiquement décrites en trois stades (phase initiale, phase d’état et phase terminale) qui sont intimement liés à la progression des lésions histologiques telles que nous venons de la décrire. Même si la succession des stades semble établie, l’évolution de la DTA reste particulièrement sensible à la variabilité interindividuelle.

La phase initiale peut durer plusieurs années pendant lesquelles les lésions histologiques restent confinées au cortex entorhinal. Durant cette période, des troubles mnésiques touchant des faits épisodiques personnels ou des éléments autobiographiques et culturels de plus en plus marqués surviennent. Des éléments comportementaux s’ajoutent (apathie et baisse des activités quotidiennes...) et la conscience des troubles par le patient s’estompe. La phase d’état est identifiable lorsque les troubles mnésiques dépassent l’épisodique et touchent le sémantique. Les troubles de la reconnaissance affectent les objets puis les visages, le discours reste fluide mais des imprécisions apparaissent, la compréhension (écrite et orale) est altérée. Le jugement, le raisonnement et les repères spatio-temporels sont également perturbés. L’anosognosie est massive et les troubles comportementaux s’aggravent (dépression, hallucination...). Lors de la phase terminale, les lésions ont atteint le néocortex, et les troubles ont un retentissement sur la vie quotidienne. Ils se traduisent par une perte progressive de l’autonomie physique et psychique. Le décès du patient résulte, le plus souvent, de complications intercurrentes à cet état global.

A défaut de pouvoir soigner de façon définitive cette pathologie, les traitements proposés aux patients visent à ralentir la progression de ces stades. Les médicaments actuellement disponibles sur le marché semblent remplir cet objectif même si tous les patients n’en tirent pas un profit équivalent (Saine et al., 2002 ; Wilkinson et al., 2002). La revue de la littérature effectuée par Wolfson et al. (2002) sur les articles publiés entre 1984 à 2001 à propos des effets des médicaments utilisés dans la DTA confirment une stabilisation des capacités cognitives des patients et ce, particulièrement dans les premiers stades de la pathologie. Aussi un des enjeux actuels est de pouvoir poser un diagnostic de plus en plus précoce pour que les patients puissent le plus rapidement possible bénéficier de ces traitements. Dans cette optique, le concept de maladie d’Alzheimer au stade pré-démentiel (MAPD) tend à être développé (Dubois et al., 2001). Ce diagnostic pourrait être posé lorsque des performances très pauvres en rappel libre, affaiblies en rappel total, et une proportion importante d’intrusions extra-liste en rappel indicé s’accompagnant de fausses reconnaissances seraient relevées. Ces critères permettraient la détection de cette pathologie avant même que les patients atteignent les critères de démence. D’autres études doivent confirmer le degré de prédictibilité de ces troubles afin de valider sa pertinence. En l’attente de ces résultats, d’autres critères diagnostiques sont utilisés actuellement.

Notes
49.

Pour une description plus précise des structures limbiques atteintes par la DTA, nous renvoyons à la thèse de Moreaud (2000, p. 11).