II.5.3. Effet catégoriel spécifique

Comme nous l’avons déjà évoqué dans le chapitre précédent, plusieurs études référencées par Fung, et ses collaborateurs (Fung et al., 2001) rapportent, en début de DTA, une perturbation plus massive des connaissances relatives au domaine du vivant par rapport à celui du non vivant. A titre d’illustration, nous pouvons rapporter les résultats d’une des études conduites par Fung, Chertkow et Templeman (2000) consistant en une tâche d’association sémantique dans laquelle un premier mot est donné au sujet qui a pour consigne de choisir entre deux autres “celui qui va bien avec”. Dans ces travaux, différentes catégories telles que animaux, vêtement, meubles, fruits et végétaux, outils, verbes d’action et noms abstraits sont manipulées. Les auteurs observent alors des performances globalement moins bonnes pour les 9 patients DTA que pour leurs sujets contrôles mais plus d’erreurs pour les mots abstraits et les concepts biologiques par rapport aux autres catégories.

Comme nous l’avons présenté dans le chapitre précédent (chapitre II, partie II.2.2.), la perte des informations sémantiques se matérialise d’une façon qualitativement différente selon le domaine de connaissances. Alors que la détérioration des connaissances sémantiques pour les artefacts s’effectue de manière progressive et linéaire, celle pour les animaux est irrégulière : ces connaissances semblent relativement préservées dans un premier temps puis sont brutalement affectées par la pathologie (Gonnerman et al., 1997).

Nous avons vu que cette description (même si elle n’est toutefois pas observée dans toutes les études) s’accorde avec une conception de l’organisation des connaissances sémantiques en mémoire en termes de traits intercorrélés : les concepts seraient définis par un ensemble de traits et chaque catégorie serait caractérisée par un degré d’intercorrélation entre les traits et les traits fonctionnels seraient particulièrement représentatifs de la catégorie des artefacts alors que les traits visuels seraient centraux pour les animaux.

Ces différents aspects (observation de troubles plus massifs pour le domaine du vivant que pour le non vivant et description de la mémoire en termes de traits intercorrélés différemment selon la catégorie) semblent particulièrement bien s’accorder avec les données de la neurologie concernant les zones cérébrales affectées au cours de la DTA. Selon différents auteurs (voir, par exemple, Silveri Daniele, Giustolisi & Gainotti, 1991 ; Garrard, Patterson, Watson & Hodges, 1998) les traits perceptifs seraient sous-tendus par la région temporo-lymbique alors que les traits fonctionnels seraient gérés par la région fronto-pariétale. Or, comme nous l’avons vu précédemment, la région temporo-lymbique serait affectée avant la région fronto-pariétale par les lésions histologiques de la DTA. Par conséquent, la pathologie affecterait dans un premier temps la région temporo-lymbique, conduisant à une perturbation des traits perceptifs et par conséquent à des déficits pour les connaissances relatives aux animaux.

Toutefois, il est important de noter que toutes les données de la littérature ne s’accordent pas unanimement autour de la manifestation catégorielle des déficits sur les connaissances sémantiques induits par la DTA. (pour une revue, voir Garrard et al., 1998) Des différences perceptives entre les catégories animal et artefact sont alors évoquées pour expliquer les résultats des expériences montrant des différences catégorielles. Nos expériences de vérification de propriétés en version imagée et en version verbale manipulant les traits fonctionnels et structuraux au sein de la même catégorie (domaine des animaux) permettront d’apporter un élément de réponse à ce débat. En effet, une détérioration différente des traits fonctionnels et structuraux appuieront les conclusions des travaux montrant un déficit spécifique au cours de la DTA. De plus, des performances différentes sur les propriétés fonctionnelles et structurales selon la version (imagée ou verbale) de l’expérience, permettra de préciser l’influence des caractéristiques visuelles des objets.