II.5.4. Influence du niveau

Indépendamment de leurs catégories d’appartenance, tous les concepts ne semblent pas identiquement sensibles à la maladie. Au cours de la DTA, une relative préservation des informations générales est en effet rapportée alors que les informations plus spécifiques semblent plus rapidement touchées (Huff, Corkin & Growdon, 1986 ; Martin, 1992 ; Sailor, Bramwell & Griesing, 1998). Cependant, toutes les études ne vont pas dans ce sens (Bayles, Tomoeda & Trosset, 1990).

Dans les tâches de fluence catégorielle que nous venons de présenter, l’analyse des productions verbales effectuées par le sujet montre que les patients ont tendance à dénommer des catégories plutôt que des items spécifiques qui les composent. Lorsque les patients doivent, par exemple, donner la liste de ce qu’il est possible d’acheter dans un supermarché, les observations de différentes équipes s’accordent : les patients DTA produisent, de manière plus significative que les sujets contrôles, des termes de catégories (légumes, fruits) plutôt que des items spécifiques (tomates...) (Martin & Fedio, 1983 ; Tröster et al., 1989). Des épreuves de vérifications de propriétés réalisées par Smith, Faust, Beeman, Kennedy et Perry (1995) ou bien encore celle de Sailor, Bramwell et Griesing (1998) corroborent ces observations. Dans ce type d’épreuves, les sujets sont invités à vérifier des associations entre un nom d’objet et un attribut, ce dernier étant plus ou moins général par rapport à l’objet. Les auteurs observent alors que les connaissances générales sont mieux conservées que les connaissances spécifiques.

Ces différents travaux suggèrent donc que les connaissances sémantiques seraient perturbées différemment selon leur niveau de généralité. Toutefois, les travaux de Bayles, Tomoeda et Trosset (1990) permettent de relativiser ces observations et montrent toute l’importance des épreuves utilisées pour parvenir à ces conclusions. Ces auteurs montrent que, pour des patients DTA, il est plus difficile de dénommer un objet que de déterminer son appartenance catégorielle lorsqu’un choix multiple est proposé mais que la dénomination d’un objet est plus facile que la dénomination spontanée de la catégorie à laquelle il appartient. Selon ces travaux, les déficits de dénominations seraient de plus en plus massifs selon le degré de sévérité de la pathologie.

Les données de la littérature vont donc plutôt dans le sens d’une dégradation plus rapide des éléments spécifiques rattachés à un concept plutôt que de ses aspects généraux. Toutefois, les travaux qui mènent à ces conclusions sont très hétérogènes et ne présentent pas, à notre avis, une rigueur méthodologique suffisante pour garantir ces conclusions. Par exemple, la notion du niveau varie d’une expérience à l’autre (alors que des expériences opposent des concepts tels que “animal” et “chien”, d’autres expériences manipulent des oppositions plus fines telles que “chien” et “berger allemand”).

Aussi, nous pensons que les passations par des patients DTA des épreuves de vérification de propriétés que nous avons proposées aux jeunes adultes seront particulièrement informatives. Elles nous donnerons la possibilité de vérifier les assertions issues des travaux précédents tout en apportant un contrôle méthodologique strict. Le suivi longitudinal réalisé pendant 18 mois des mêmes groupes de sujets permettra d’observer la progression de la pathologie selon les deux niveaux de stockage que nous manipulons : le niveau d’entrée et le niveau supra-ordonné.

Un autre objectif de notre travail est d’apporter un élément de réponse à une question sous-jacente. Est ce que ces difficultés que nous avons décrites reflètent un problème d’accès à ces connaissances ou bien un déficit du stock de ces informations ?