II.5.5. Perte du stock versus difficulté d’accès

Il n’existe actuellement pas de consensus pour expliquer la cause de ces troubles sémantiques. Pour certains, ils résulteraient d’une perte progressive du stock de connaissances conceptuelles contenues en mémoire sémantique (Chertkow, Bub & Caplan, 1992 ; Bayles, Tomoeda & Trosset, 1990 ; Hodges, Salmon & Butters, 1992 ; Martin, 1992 ; Hodges & Patterson, 1995 ; Hodges, Patterson, Graham & Dawson, 1996). Pour d’autres, les troubles de la mémoire sémantique refléteraient un problème d’accès à ces connaissances parfois relié à un déficit attentionnel (Balota & Duchek, 1991 ; Ober & Shenaut, 1988 ; Ober, Shenaut, Jagust & Stillman, 1991 ; West, 1999).

Pour argumenter ces hypothèses, les premiers s’appuient sur la constance des erreurs à travers les tâches. Les travaux de Chertkow, Bub et Seidenberg (1989) montrent par exemple qu’il existe une corrélation forte entre les performances des patients dans les tâches de dénomination et d’appariement et que les erreurs entre ces deux tâches concernent à 83 % les mêmes objets. A l’opposé, les auteurs défendant un accès difficile au stock s’appuient sur le fait qu’une modalité particulière peut permettre la récupération d’informations qui pourtant ne semblaient plus récupérables par une autre modalité.

Il est en fait très difficile de trancher entre ces deux hypothèses d’autant plus que face à certains faits, ces deux conceptions aboutissent à des conclusions divergentes. Le cas de l’hyperamorçage relevé de façon quasi-consensuelle chez les patients DTA (Nebes, Martin & Horn, 1984 ; Nebes, Brady & Huff, 1989 ; Albert & Milberg, 1989 ; Balota & Duchek, 1991 ; Hartman, 1991 ; Ober et al. 1991 ; Chertkow et al. 1994 ; Margolin, Pate & Friedrich, 1996 ; Giffard et al., 2001 ; Giffard et al., 2002) illustre particulièrement cet aspect.

Pour les partisans de la dégradation du réseau sémantique, l’hyperamorçage s’explique par le fait que l’amorce proposée correspond à une représentation très vague qui activerait alors un grand nombre de formes lexicales (Martin, 1992). L’observation de Chertkow et al. (1994), qui montre que ce sont les items les plus dégradés sémantiquement qui donnent lieu à de meilleurs amorçages, semble s’accorder avec cette hypothèse. Cependant, il paraît assez difficile de concevoir qu’une connaissance qui est dégradée puisse produire un quelconque amorçage. Pour les auteurs défendant une difficulté d’accès à l’information sémantique, la présence conjointe de capacités préservées dans les épreuves d’amorçage et de performances déficitaires dans d’autres types d’épreuves (dénomination par exemple) témoignent de déficits attentionnels, susceptibles d’avoir des impacts différents dans ces types de tâches.

Nous pensons que les expériences de vérifications de propriétés que nous avons élaborées sont susceptibles d’apporter des éléments de réponse à cette question de détérioration versus difficultés d’accès aux connaissances sémantiques. Nous pensons en effet que l’analyse conjointe des temps de réponse (qui étaient très peu, voire jamais, pris en compte dans les études précédemment citées) et des taux d’erreurs peut éclairer ce débat. La présence simultanée d’une augmentation significative des temps de réponse entre les populations DTA et contrôles, et d’un taux d’erreurs équivalent pour ces deux groupes traduirait une recherche plus difficile des informations en mémoire mais permettant toutefois la récupération correcte des informations. De plus, l’analyse plus précise des temps de réponses divergents par rapport à la moyenne (temps déviants) selon qu’ils sont liés à une réponse correcte ou erronée pourra également apporter des éléments de réponse. Enfin, il est tout à fait possible que ces deux hypothèses s’avèrent correctes au cours de la DTA : l’accès serait d’abord plus difficile puis les connaissances seraient détruites. Le suivi longitudinal effectué sur les groupes de patients permettra de répondre à cette question.