CHAPITRE 3
NORMALITE ET PSYCHOPATHOLOGIE

NORMALITE

En passant en revue l’histoire ancienne ou contemporaine des communautés comme des idéologies grandes ou petites, l’utilisation de la notion de « normalité » conserve dans la mémoire de chaque communauté des représentations très sélectives, en fonction de ses options particulières.

La « normalité » ne se réfère pas à un pourcentage majoritaire de comportements ou de points de vue. Elle ne doit pas devenir relative à un idéal collectif, nous courrions des nombreux risques.

Pour devenir « normal », l’enfant s’identifie aux grands. Si nous faisons un petit sondage, nous remarquons que la plupart de la population, choisie ou voire la majorité envisage la « normalité » comme l’idéal ou la règle.

Les résultats des enquêtes de C. Chiland42, montrent qu’il y a, en gros, dans les populations des villes françaises un tiers de structures névrotiques, un tiers de structures psychotiques et un tiers d’organisations plus ou moins anaclitiques. Cela signifie-t-il que nulle personne n’est normale ?

Etymologiquement psychopathologie signifie discours sur la souffrance. La normalité classiquement opposée à la pathologie signifie-t-elle l’absence de souffrance ? Une personne normale ne souffre-t-elle pas ? Comment reste-t-on normal ? Comment font ceux qui jamais ne sont abattus par une dépression, qui jamais ne sont en proie à un épisode psychotique, qui ne sont pas tourmentés par l’angoisse de la névrose ? Comment le «normopathe » assure-t-il sa solidité et sa normalité ? Quelles sont les frontières entre folie et normalité ? Pourrons-nous esquisser une conception de la normalité et de la «normopathie » ?

Nous allons essayer dans ce chapitre de fournir certains éléments de réponses à nos nombreuses questions.

Au XIXe siècle les aliénistes étaient surtout attachés à décrire et essentiellement à classifier les troubles mentaux. Au début du XXe siècle, avec la psychanalyse les discussions commençaient à s’ouvrir à l’investigation d’une psychopathologie moins nettement tranchée par rapport à la « normalité ». A cette époque, le débat était dans le cadre nosologique des névroses qui est devenu l’occasion de trouver ce qui différencie ces derniers non pas de la normalité, mais des psychoses. Ce faisant, les frontières entre pathologie et normalité, de plus en plus floues, deviennent si problématiques que plus personne ne s’y aventure. Alors, la recherche en psychopathologie demeure essentiellement centrée par la question des mécanismes, des problématiques ou des processus en cause dans les diverses modalités expressives de la maladie, qu’il s’agisse des psychoses et des perversions ou des névroses.

La normalité reste incompréhensible malgré qu’elle ait été toujours référée (provisoirement) à des normes sociales.

Certains auteurs voient la nécessité de procéder à un retournement épistémologique, plutôt que d’en rester au traditionnel débat du normal et du pathologique, en proposant de diriger l’investigation directement et spécifiquement sur ce qu’on appelle « normalité » en psychopathologie. Pour cela, disent-ils, il faut définir des situations spécifiques où l’on serait supposé pouvoir observer et étudier les problématiques, les processus et les mécanismes, voire les régulations de la dite normalité et pouvoir la sonder tout naturellement aux marges du champ de la psychopathologie des maladies mentales.

L’objet de la psychopathologie étant la maladie mentale, la normalité appartient encore, à d’autres champs disciplinaires, et pour des objets interdisciplinaires deux frontières peuvent être envisagées, les frontières entre folie et normalité et des frontières interdisciplinaires. Le développement de la psychopathologie de la normalité implique donc par son objet même l’interdisciplinarité.

A priori, on peut considérer deux champs frontières où se déploie la psychopathologie de la normalité :

  • Du côté de l’anthropologie sociale et de la sociologie et notamment dans le champ spécifique du travail, c’est-à-dire du côté des sciences sociales.

  • Du côté de l’anthropologie biologique et de la physiologie des régulations, dans le champ spécifique des maladies somatiques, c’est-à-dire du côté des sciences biologiques.

Dans le premier champ frontière s’esquisse sous l’effet de l’interdisciplinarité une discipline nouvelle : La psychopathologie du travail

Dans le deuxième champ frontière, est déjà constitué depuis une vingtaine d’années, un champ particulièrement pertinent à la recherche en psychopathologie de la normalité ; à savoir : la psychosomatique que nous allons aborder plus en détails.

Notes
42.

-C. CHILAND, L’enfant de six ans et son avenir, Puf, Paris, pp. 180-183.