La psychosomatique

La psychopathologie de la normalité trouve dans ce domaine une place importante. C’est sans aucun doute sur ce terrain clinique que surgit en premier la question de la normalité. Les psychosomaticiens ont toujours considéré la normalité comme allant de soi, c’est-à-dire comme conséquence logique de l’absence de production psychopathologique caractérisée.

Dans les années 60 en France, un petit groupe de psychanalystes s’est penché sur l’investigation de patients atteints de maladies somatiques chroniques (Marty, de M’Uzan, Fain, Soulé) selon une approche bien différente des prédécesseurs allemands et américains. Après un long travail, ils sont arrivés à la conclusion que les patients les plus vulnérables aux maladies somatiques avaient la particularité d’être généralement très loin des affections mentales classiques (psychoses et névroses).

En étudiant les détails du fonctionnement psychique des patients, ils ont constaté que les maladies somatiques étaient déclenchées ou subissaient des poussées évolutives, dans des circonstances psychopathlogiques précises : face à une situation traumatique (deuil, agression affective, accident, examens scolaires...). Pourquoi ces patients face à des situations pareilles ne seraient-ils pas capables de produire des symptômes psychonévrotiques, mais à la place, seraient-ils victimes d’une maladie somatique ?

Le processus spécifique mis en oeuvre par ces patients est connu sous le nom de «processus de somatisation». En étudiant ces patients en dehors des périodes de crise de somatisation, ils ont constaté que ces sujets possédaient une activité onirique, fantasmatique et imaginaire particulièrement pauvre par rapport à ceux qui présentent une structure névrotique.

Ces sujets ont un mode de pensée très caractéristique auquel a été donné le nom de «pensée opératoire» à la place d’un mode de pensée de type imaginatif, organisé par le fonctionnement du préconscient. Ce mode de pensée opératoire est solidement attaché au concret, et incapable de se dessaisir d’un mode descriptif et réaliste, ce qui lui donne une forme très personnalisée.

L’hypothèse que les patients ayant une pensée opératoire et une fragilité somatique seraient à l’abri des maladies mentales classiques est maintenant critiquable toutefois sans pouvoir nier l’incapacité de fabriquer une névrose ou une psychose chez les patients ayant une pensée opératoire qui somatisent et qui, de ce fait, sont exemplaires de ce qu’il convient d’appeler normalité.

Ces sujets sont aussi souvent parfaitement adaptés, socialement et professionnellement, à tel point que cette normalité psychique impose parfois un solide bon sens ou un rationalisme exemplaire, ce qui rend ces sujets étrangement inaccessibles à ce qui occupe l’existence affective de la plupart des autres personnes. De ce fait, dérive une froideur extrême et une insensibilité qui dépassent de loin la moyenne et la mesure dans les rapports affectifs. Pour caractériser cet excès de normalité certains auteurs en sont venus parler de « normopathie ». Comme il n’y aurait toujours pas une place pour une psychonévrose organisée, normalité et normapathie sont encore considérées comme problématiques naturelles. C’est la question qui se pose ici ; tout terrain débarrassé des ces arbustes « psychonévrotiques » donne-t-il forcément un champ de blé ?