Freud et « normalité »

Durant ses longues années d’observations et d’études, S. Freud a marqué dans ce domaine, comme bien d’autres domaines touchant à la psychologie « normale » que «pathologique », un tournant important dans la façon de penser des psychopathologues.

La lecture de ses oeuvres, en particulier ses Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905), sa Formulation de deux principes de fonctionnement mental (1911) et ses Cinq psychanalyses (1905-1918), nous laisse retenir trois postulats :

  1. Toute la psychologie de l’adulte tire ses sources de difficultés éprouvées au niveau du développement de la sexualité enfantile.

  2. Les refoulements des pulsions sexuelles et agressives créent les symptômes.

  3. La manière dont est vécue l’étape organisatrice de la personnalité (c’est-à-dire l’OEdipe) dépend essentiellement de l’environnement.

Il apporte, plus tard, dans d’autres textes, bien d’autres précisions dont rien n’infirme ces trois postulats ; il montre dans ses Psychophatic characters on the stage (1906) que dans le caractère non pathologique le refoulement doit être bien réussi et que ce résultat fait défaut dans le caractère pathologique ; mais « pathologique » se trouve limité ici au seul sens névrotique.

Dans son article La disparition du complexe d’oedipe 53 , S. Freud déclare que ce qui distingue normal ou pathologique se situe dans la disparition, ou non, du complexe d’OEdipe, autrement dit, il refuse le statut de « normalité » à toute structuration non névrotique et même, semble-t-il, à une structure névrotique dans laquelle le refoulement de l’OEdipe aurait seulement joué de façon partielle.

En 1931, dans ses Types libidinaux, il essaie de combler l’écart qui est supposé exister entre le normal et le pathologique et distingue entre trois types de base : l’érotique, le narcissique et l‘obsessionnel, qui se combinerait de manière plus habituelle en sous types: érotique-obsessionnel, érotique-narcissique et narcissique-obsessionnel ; le type érotique- théorique-obsessionnel-narcissique représenterait en fin du compte, dit : Freud, «l’absolue normalité, l’harmonie idéale ».

J. Bergeret lui reproche de s’être « ‘laissé prendre au piège de l’universalité des appellations ’névrotiques’, car si ses pertinentes descriptions de l’obsessionnel et du narcissique-obsessionnel correspondent bien à des économies névrotiques hystériques, il apparaît que Freud décrit plutôt des états limites que des névroses sous le couvert du type narcissique et enfin des prépsychotiques sous le couvert du type érotique-obsessionnel (l’accent se trouvant placé ici sur les défenses antipsychotiques davantage que sur les incertitudes du Moi)’ »54.

A la fin de sa vie, Freud écrit dans l’Abrégé de psychanalyse 55 qu’il était «‘impossible d’établir scientifiquement une ligne de démarcation entre états normaux et anormaux ’» ; cependant Freud a été conduit à penser, comme d’autres chercheurs de son époque que le fossé ne se situait plus entre normaux d’une part et malades (névrotiques ou psychotiques réuni) d’autre part, mais d’un côté entre névrotiques et normaux (correspondant aux même mécanismes conflictuels et défensifs) avec d’un autre côté le groupe des « normaux » renfermant tout le reste ; ce « reste » se trouvant soit de façon imprécise dénommé psychotiques et prépsychotiques divers, soit davantage variée en psychoses, caractériels, pervers, etc.

Notes
53.

- S. FREUD, La disparition du complexe d’oedipe (1923) in La vie sexuelle, PUF, Paris, 1969, pp. 117-122.

54.

-J. BERGERET, La personnalité normale et pathologique, 3e édition, Dunod, 1996, P. 19.

55.

-S. FREUD, Abrégé de psychanalyse, traduction française A. Berman, Puf, Paris.1951.