Essai de définition :

Le véritable « bien portant » n’est pas simplement quelqu’un qui se déclare comme tel, ni surtout un malade qui s’ignore, mais un sujet conservant en lui autant de fixations conflictuelles que bien des gens, et qui n’aurait pas rencontré sur sa route des difficultés internes ou externes supérieures à son équipement affectif héréditaire ou acquis, à ses facultés personnelles défensives ou adaptives, et qui se permettrait un jeu assez souple de ses besoins pulsionnels, de ses processus primaire et secondaire sur des plans tout aussi personnels que sociaux en tenant un juste compte de la réalité, et en se réservant le droit de se comporter de façon apparemment aberrante dans des circonstances exceptionnellement « anormales ».

Bergeret insiste sur l’indépendance de la notion de « normalité » par rapport à la notion de structure car l’observation quotidienne montre qu’une personnalité réputée «normale» peut entrer à tout moment de son existence dans la pathologie mentale, y compris la psychose, et qu’inversement un malade mental, même psychotique, bien précocement traité, conserve toutes ses chances de redevenir à une situation de «normalité».

Pour Bergeret et dans le but de distinguer entre « normalité » et pathologie, il va dans son livre57 conserver toujours l’ambition d’aller plus loin encore : c’est qu’il est possible de distinguer d’une part les structures authentiques solides, fixes et définitives (psychotiques ou névrotiques) et d’autre part les organisations intermédiaires (états limites) moins spécifiées de façon durable et pouvant donner naissance à des aménagements plus stables (maladies caractérielles ou perversions).

Il distingue entre deux genres de « normalité » ; en ce qui concerne le premier groupe, il considère qu’il existe plusieurs termes de passages entre « normalité » et psychose décompensée au milieu de la même lignée structurelle fixe psychotique qu’entre «normalité» et névrose décompensée au milieu de la même lignée structurelle fixe névrotique. Par contre, concernant le deuxième groupe défini comme intermédiaire, il considère que ce n’est pas aussi facile d‘envisager une réelle « normalité » à cause de la mise en jeu d’énormes contre-investissements énergétiques antidépressifs et permanents (en raison de la fragilité justement de l’adaptation aux réalités internes et externes) et de l’instabilité en fin du compte de telles organisations, non vraiment structurées au sens définitif du terme.

Il finit par considérer que la notion de « normalité » serait ainsi réservée à un état d’»adéquation» fonctionnelle heureuse au sein seulement d’une structure fixe, qu’elle soit névrotique ou psychotique, alors que la pathologie correspondrait à une rupture d’équilibre au sein d’une même lignée structurelle.

Notes
57.

- ibid. p.20.