CONCLUSION

Comme on vient de signaler au cours du paragraphe précédent, une certaine difficulté réside dans la nécessité de définir d’une manière précise et définitive la normalité et la pathologie, voire d’esquisser un schéma clair de ces deux états séparés parfois par une simple ligne illusoire. Cependant, prudence oblige, dans le cas des épisodes morbides et avant d’étiqueter ou de qualifier hâtivement une certaine maladie, la couverture d’un dossier, il faut bien se renseigner, au moment de l’histoire du sujet qui ne peut être compris dans le sens structurel qu’en référence à tout un contexte personnel plus ancien et latent. Le symptôme ne permet jamais à lui seul de préjuger d’un diagnostic quant à l’organisation structurelle profonde de la personnalité.

Selon le point de vue freudien, et nulle personne ne peut concevoir une nosologie après lui comme avant lui, Freud dit que, si nous laissons tomber à terre un bloc minéral sous forme cristallisée, il se brise ; mais pas n’importe comment.

Il compare l’individu à ce corps cristallisé. Dans tout corps cristallisé, en effet, à l’état d’équilibre normal, des microcristallisations invisibles, réunies entre elles pour former le corps total selon des lignes de clivage dont les limites, les directions et les angulations se trouvent préétablies de façon précise, fixe et constante pour chaque corps particulier ; ce qui fait qu’il n’existe pour chaque corps qu’une seule façon de se cristalliser. A noter que ces lignes demeurent invisibles tant que le corps n’est pas brisé, tout au plus, à l’état d’équilibre, la forme générale de l’échantillon examiné montrera-t-elle quelques figures géométriques spécifiques sur son pourtour, ses limites extérieures au monde.

Si nous faisons tomber cet échantillon par terre, il se brise, comme l’explique Freud, selon les lignes de clivage préétablies à l’état d’équilibre, selon leurs limites, leurs directions, leurs angulations jusque-là, invisibles. De telles lignes de clivage, originales et immuables définissent la structure interne du minéral.

Freud pense qu’il en serait de même pour la structure mentale, que l’organisation de l’individu se trouverait constituée de façon durable, spécifique et invisible dans la situation normale, alors qu’il suffirait d’un accident ou d’un examen minutieux pour qu’on retrouve les lignes de clivage fondamentales entre les éléments primaires.

Comme nous venons de l’expliquer, la genèse de structure de base de la personnalité est de grande importance dans la nosologie. Comme Freud l’estimait, lorsque le psychisme individuel a atteint un degré d’organisation qui équivaudrait à une « cristallisation » définitive, selon des lignes de forces et de faiblesses intérieures complexes et originales, il n’y aurait plus de variation possible par la suite : en cas de rupture de l’équilibre antérieur. Un sujet de structure névrotique ne pourra développer qu’une névrose, et de la même façon un sujet de structure psychotique ne pourra développer qu’une psychose. Le premier sujet ne sera « guéri » que quand la structure névrotique sera à nouveau bien investie comme telle et le second sujet, de la même façon, ne pourra se retrouver en bonne santé qu’en tant que structure psychotique à nouveau bien investie.

En conclusion, arriver à une définition authentique de la notion de « normalité » est une affaire très délicate. Comme on l’a vu au cours de ce chapitre, qu’un individu «normal» possède la possibilité, à tout moment de devenir « anormal » et de décompenser dans son statut antérieur de « normalité », doit pour cela se trouver contesté : à condition toutefois qu’il ne s’agisse pas d’une organisation seulement anaclitique. De même en dehors de la lignée anaclitique tout « anormal » conserve la possibilité de redevenir « normal ».

Personnellement, j’adopte l’hypothèse reprise par R. Diaktine60 et J. Bergeret61 disant que toute notion de « normalité » doit se trouver indépendante de la notion de structure avec le correctif que Bergeret ajoute que les « aménagements » narcissiques des états intermédiaires ne semblent pas constituer une « structure » et, en cela, entrer dans les multiples arrangements fonctionnels de la « normalité », tant que leur Moi ne s’est pas plus solidement établi. Autrement dit, il faut reconnaître l’indépendance de la notion de «normalité » par rapport à la notion absolue de « structure ».

Notes
60.

- R DIATKINE, Du normal et du pathologique dans l’évolution pathologie mentale de l’enfant. Psychiatrie de l’enfant, 10, n°1,2-42.

61.

-J. BERGERET, La personnalité normale et pathologique, op. cit.