LE VIOL

Ce drame est aussi vieux que la civilisation elle-même ; il a eu lieu dans tous les milieux et s’est joué pour les femmes en toutes circonstances. Seuls les détails changent.

Le viol n’est qu’un aspect de scène de violence. « ‘Cette façon de considérer les femmes comme un objet sexuel qu’on prend et qu’on jette trouve son aboutissement le plus achevé dans les agressions’ » (Scherrer).

Plusieurs auteurs vont dans leurs livres considérer le viol comme une simple mise en acte d‘une pulsion banale ou à tout le moins comme déviante or d’après le témoignage de nos sujets, nous verrons au contraire qu’il s’agit de quelque chose de complexe. La simplicité apparente de la réalisation recouvre en fait des phénomènes psychiques qui impliquent une longue histoire de développement de l’individu.

Ces phénomènes, qu’on étudiera plus tard, « ‘sont porteurs d’une telle intensité et font courir au sujet un tel risque qu’il faut plus vite s’en défaire par la décharge et les annuler par le déni, ou la tête explose’ »86. Le viol et la violence sont trop souvent associés, voire «confondus». Le viol n’est-il que la forme sexuelle d’une violence intérieure ?

J. Picat87 adhère à l’avis de J. Selosse pour qui la violence humaine apparaît comme un « court-circuit » dans les échanges sociaux, et qui a valeur d’appel au secours. D’autre part, l’agressivité qui la sous-tend reste une pulsion partielle de la pulsion de mort.

Guéraud (1970)88 propose une meilleure formulation : « ‘comme toute violence, le viol accuse l’environnement mais il est aussi la réponse d’une personnalité psychopathique, repérable dès l’adolescence, à un problème de communication reconnu impossible, en particulier dans le rapport masculin-féminin...le besoin sexuel n’est pas la motivation du violeur, le violeur agresse ce avec quoi il ne peut établir une relation affective. C’est pour lui une façon de nier, de battre, de détruire, une sorte de profanation...»’

Comme l’interdit de l’inceste et son corollaire, l’organisation oedipienne est la pierre angulaire de la théorie psychanalytique, on ne s’étonnera pas de trouver une abondante littérature psychanalytique traitant l’inceste, et même le viol. De nombreux articles et études y font référence.

Cependant, traiter l’inceste ou le viol dans sa réalité, comme traumatisme vécu, c’est autre chose! Nombreuses sont les études qui concernent de tels traumatismes sur les victimes mais rares sont ceux qui abordent les parents incestueux et les agresseurs sexuels. Selon Balier, cet état n’est pas étonnant puisque ces derniers ne sont pas ceux qui iront trouver un thérapeute, sauf contraintes particulières. Par contre, beaucoup d’oeuvres américaines et canadiennes figurent dans notre bibliographie ; plusieurs recherches ont été faites sur le thème de notre étude, et ils ont pu mettre à jour à la fin d’un long travail, un profil de l’agresseur sexuel, et ont envisagé une thérapeutique pertinente89 au problème. Certains arguent que leur réussite n’est pas aussi réelle comme ils tiennent à le montrer, et avancent que des raisons financières90 sont derrière leur intention.

L’étude perspicace du Dr Amir sur Philadelphie a contribué à mieux comprendre le phénomène de toute agression sexuelle, notamment à tracer les différents profils de leurs auteurs, il a étudié statistiquement les modalités et les critères qui se cachent derrière ce phénomène aux niveaux ; psychologique, psychiatrique et sociale. Tous les autres auteurs se sont référés à ses résultats dans leurs études.

Lorsque la nation nord américaine fut sensibilisée au problème, les questions commencèrent à se poser : qu’est-ce qui produit cet acte horrible et gratuit ? Comment peut-on l’arrêter ? Amir a aidé à mieux comprendre le crime de viol à l’aide de faits statistiques bruts, par la suite il a démantelé les mythes concernant ce crime et qui ont toujours survécu dans la société. Le fait de réfuter ces mythes dépasse alors de loin l’intérêt que l’on peut avoir à s’en tenir à la véracité des faits : c’est un moyen de comprendre les causes du viol, et de réduire les effets.

La parution du livre du Dr Menachem Amir91 a contribué à démanteler, à l’aide de méthodes statistiques, une bonne douzaine de mythes concernant le viol, et à en faire un sujet d’étude respectable. Cette parution coïncidait avec la résurgence du mouvement des femmes et le viol devint l’un des thèmes majeurs des rencontres. A travers tout le pays (les Etats-Unis) on proclamait les droits des femmes et dénonçait les injustices sexistes. Les statistiques concernant le crime étaient en hausse à travers le pays et il devint clair que le traumatisme du viol atteignait cruellement les femmes de toutes classes et de tous milieux.

Dr Amir a effectué son étude à Philadelphie sur 646 cas de viols commis en 1958 et en 1960. Ces cas de viols concernaient 646 victimes, 1292 délinquants ; 370 viols étaient commis par un auteur, 105 par deux auteurs, et 171 par des bandes comportant un nombre variable d’individus, sans oublier le nombre considérable d’interviews qu’il a eues avec des centaines d’autres victimes sur la Côte Ouest du pays.

Notes
86.

- Claude BALIER, Psychanalyse des comportements sexuels violents, op. cit.

87.

- J. PICAT, Violences meurtrière et sexuelles, Puf, op. cit.

88.

-GUERAUD, Viol, violence et violeur, conc. Médical, 100e, 27, 1970, pp. 4489-4490.

89.

15- La méthode cognitivo-comportementale

90.

- C’est ce que pense Dr Pierre LAMOTHE (chef du service Médico-Psychologique Régional) en prison de Lyon, c’est donner des raisons pour assurer l’investissement de leurs projets de recherches par l’Etat.

91.

- AMIR, Patterns in Forcible Rape, University of Chicago, Press1971.