PROBLEMES METHODOLOGIQUES

Les auteurs américains et canadiens ont pris le parti d’étudier le phénomène du viol sous l’angle restreint du comportement. Cet abord réductionniste a laissé la voie libre aux sociologues pour étudier ce problème comme un fait de société, dépendant des facteurs sociaux, comme rapports hommes-femmes, classes sociales, niveau économique, phénomènes raciaux etc. Ce qui est exact pour un certain genre de viol comme le viol en groupe par exemple et remarquablement insuffisant pour les autres genres d’abus sexuels.

La plupart des témoignages des auteurs d’agression sexuelle, selon les observations cliniques de Balier, montrent l’intensité d’une angoisse, d’un sentiment d’effondrement qui a besoin d’assouvir, un besoin douloureux, une douleur folle, une douleur qu’il faut calmer sinon la tête explose... alors ce n’est plus le fait d’un comportement comme les sociologues l’avancent.

L’abord sociologique ne peut pas, seul, expliquer ce phénomène, néanmoins une combinaison socio-psychanalyste peut permettre de mieux comprendre le fonctionnement psychologique de l’agresseur.

Désormais, on constate que limiter l’intérêt et l’étude à un facteur isolé n’apporte pas grand’chose pour comprendre le passage à l’acte. Les causes de la délinquance ou de la déviance ne sont plus désormais recherchées dans la personnalité de l’auteur, elles sont aussi bien recherchées dans son milieu social, son environnement ou condition de vie. L’abord de notre présente étude sera suivant une approche «plurifactorialiste».

Après avoir, de nouveau, bien formulé nos pistes d’intérêt et nos hypothèses, nous étions censée répondre à de nombreuses questions avant d’aborder notre recherche ; tout d’abord : où trouver la population envisagée ? Le domaine de la recherche est-il accessible? Y a-t-il suffisamment de sujets pour mener une recherche ? Seront-ils consentants pour participer à la recherche ?....etc.

Ces problèmes résolus, il nous restait, désormais, à choisir la façon d’aborder la recherche.

Nous étions face à deux façons complémentaires de travailler : l’une qui s’intéresse plus particulièrement au délit, l’autre centrée sur l’auteur, qui nous intéresse le plus dans notre recherche.

En ce qui concerne le délit, on peut s’intéresser, pour l’étudier, aux comptes rendus de procès, voire aux procès eux-mêmes : cette démarche ne pose pas de problème, elle est largement employée par les journalistes, lesquels ont souvent accompli dans ce domaine un énorme travail de compilation et de commentaires.

On peut également travailler sur des dossiers de justice qui contiennent, c’est évident, plus d’éléments qu’il n’en est retenu lors des procès (beaucoup de pièces versées au dossier pendant l’instruction sont passées sous silence le jour de l’audience). Cependant, ces dossiers volumineux sont difficiles à détailler, bien que restrictifs au regard de la réalité. Ces dossiers, nous ont aidés en premier lieu, à classifier les auteurs du délit sexuel selon la nomination que leur donne la loi libanaise, qui est principalement puisée sur la loi française.

Cependant, la rencontre et l’audition des auteurs de viols demeurent les démarches les plus aptes à faire progresser les recherches dans ce domaine.

Différentes possibilités peuvent alors être envisagées ; se présenter comme chercheur, et essayer de rencontrer les détenus en prison, nous a paru la meilleure façon de procéder, tout en sachant que le temps et le lieu de l’examen influenceront, de façon notoire, les réponses des détenus.

La démarche de l’obtention des papiers nécessaires (des multiples permis) pour accéder en prison n’était pas si facile. Accéder à la prison117 fut le pas le plus difficile. Enfin, et après beaucoup «d’aller et venues», nous avons pu acquérir un permis mensuel qui nous a donné accès en prison, deux fois pour semaine et qui a pu être renouvelé à la fin de chaque mois. On a mis trois mois à accomplir ces entretiens, surtout que chacun prenait entre 1h.15 mn et 2h.15 mn ; ce qui fait trois entretiens par jour ou quatre au maximum.

Nous avons essayé d’écouter les agresseurs (les sujets de l’étude) avec, comme on dit, une troisième oreille, c’est-à-dire au sens analytique du terme, qui cherche cette logique interne à laquelle ils ont obéi et qui les ont conduits au délit ou au passage à l’acte. J’avoue, qu’au début, ce n’était pas du tout facile à faire, d’autant plus que je suis une femme ; potentiel de crime de la plupart des agresseurs, et mère de trois enfants dont deux jeunes filles. Les premières rencontres étaient difficiles à maintenir puis, je me suis vite adaptée à la politique de « la troisième oreille ».

D’autre part, le retour en prison avec le questionnaire de Balier et coll. nous donnait peu de chances pour de nouvelles informations car, il visait des objets très intimes en relation avec la vie sexuelle personnelle des sujets comme la masturbation, les détails du passage à l’acte, etc., considérés très intrépides par rapport à notre société. Malgré ça, nous l’avons appliqué sur quelques sujets avant de l’abandonner, face à sa non faisabilité, et de nous contenter des informations auparavant recueillies, durant les entretiens.

L’enregistrement n’était pas autorisé en prison, alors la prise de notes semblait être la seule possible.

La prise de note s’est faite en présence des détenus sans les avertir de notre intérêt scientifique particulier pour le problème spécifique du délit sexuel et par contre leur disant que notre intérêt se centrait sur l’état général du prisonnier.

Une autre difficulté nous attendait encore ; l’entretien s’est déroulé, bien entendu, dans la langue maternelle : la langue arabe. Le travail de la traduction nous a posé un challenge assez important! Nous avons tâché de traduire, d’une manière méticuleuse, le contenu des entretiens en essayant de montrer l’état psychologique particulier de chaque sujet.

Après l’étude des comptes rendus des procès de chaque auteur, nous avons estimé nécessaire de suivre une certaine classification, en prenant en considération quelques variables, sans oublier bien entendu le genre de crime de chaque agression sexuelle. En effet, nous avons réalisé que les fiches, en prison, ne sont pas toutes archivées suivant les mêmes critères ; un dossier, par exemple, est placé sous le titre d’attentat à la pudeur tandis qu’il s’agissait d’une affaire de viol, un autre est placé sous titre d’homicide bien qu’il comporte un viol et que ce dernier délit, effectivement, avance et soit conséquence de l’homicide. Pour cela, nous avons pris l’initiative de regrouper les dossiers selon une nouvelle politique, propre à nous, selon la nature de l’agression. A noter que les affaires d’attentats à la pudeur sont ajoutées à ceux du viol, car après avoir lu tous les dossiers, on a réalisé que tout attentat à la pudeur aurait pu avoir la possibilité d’une consommation complète s’il n’avait pas été interrompu par un événement imprévu quelconque.

Alors, les agressions sexuelles de l’étude seront classées suivant trois catégories : le viol, la pédophilie et l’inceste ; elle porte sur 27 détenus.

D’autre part, certaines agressions étaient accompagnées d’autres délits comme vol, homicide ou kidnapping (enlèvement) que nous avons tous insérés sous une seule catégorie : agression plus autre délit.

Notes
117.

- L’étude est faite en 1999.