Auto critique de la conduite de l’entretien

Pour bien connaître un sujet, les psychiatres ou les psychologues passent des années toutes entières dans une analyse..... que peut-on faire, que peut-on connaître d’un seul entretien, d’une seule rencontre ?

Faire la recherche à partir du contenu des entretiens pose naturellement un certain nombre de problèmes et de questions sur le plan éthique ;

Nous devons répondre à toutes ces questions et bien d’autres avant de nous lancer dans les entretiens surtout que la prison (dans tout le sens que représente ce mot) est le cadre de notre échantillon choisi.

Comme j’ai déjà dit, l’accès en prison n’était pas facile à faire, tout au long des visites, je tâchais de garder toujours le sourire avec les personnes prises en charge à l’intérieur de la prison, car malgré mon permis légal, ceux derniers pouvaient gâcher mon travail ou au moins le rendre plus difficile.

Sous un autre angle et en ce qui concerne le consentement, la confiance et la coopération des sujets étudiés, plusieurs remarques s’imposent ;

  1. La scène de cet entretien se déroulait dans une prison, à elle seule revient tout titre d’inconfort! Privés de leurs libertés, de la liberté d’agir, les sujets examinés n’avaient pas l’initiative de cet entretien, on leur a imposé, ils étaient obligés d’accepter cette invitation tout en gardant, bien entendu, la liberté de parler ou non.

  2. Malgré l’effort d’avoir bien informé les sujets sur l’objectivité de la recherche et le fait que cet entretien n’a rien à faire avec la justice ou une expertise et que toutes les informations resteront dans la confidentialité, ce qui est le propre à une étude universitaire hors du pays, j’ai senti que certains incarcérés ont gardé l’état de doute et avaient peur de se lancer dans une conversation plus ou moins profonde.

  3. L’intimité totale n’était pas toujours respectée, il arrivait, parfois, que la porte mi-close, s’ouvre brusquement pour faire entrer, pour quelques minutes, un des gendarmes ou un autre prisonnier responsable des tâches directives administratives119, l’entretien était perturbé et le sujet entrait dans le silence et j’avais du mal à le remettre à nouveau dans l’ambiance et le calme précédents.

Il arrivait chez certains sujets, ayant vécu des traumatismes durs durant leurs enfances, que seul le souvenir évoqué de leurs vies leur cause une profonde douleur insoutenable, dont ils n’étaient pas prêts encore à en parler dont je n’insistais pas.

D’autre part, le nombre de prisonniers visés pour cette étude, m’a fait courir continuellement contre le temps ; je devais accomplir le plus grand nombre possible d’entretiens dans le temps le plus court afin de ne pas provoquer la gêne de quelqu’un120 et par suite me compliquer la tâche.

Pour ces raisons, j’étais dépourvue d’une autre opportunité, celle de revoir le cas étudié une seconde fois, de même, eux aussi (les sujets) n’avaient pas le privilège de demander à me voir en cas d’envie de parler. Notre relation, non seulement était très limitée mais si je peux le dire, dans un sens unique. Des intéressants événements de vie, très importants de certains sujets ayant besoin d’éclaircissement ultérieur sont malheureusement restés dans l’obscurité.

D’autre part et suite à un voyage accompli en France qui m’a donné l’opportunité de faire le point sur le travail de Balier et coll. concernant les agressions et les agresseurs sexuels, et en outre, d’avoir eu l’occasion de rencontrer le Dr Lamothe, qui m’a fait bénéficier du questionnaire utilisé pour cette étude, j’ai pris la décision de retourner de nouveau au champ de l’étude ; la prison de Roumieh, dans le but de combler certaines réalités qui étaient non connues encore et peuvent- être utiles pour mieux comprendre le développement psychique des cas étudiés et leurs vies sexuelles. Cet effort encore n’a pas abouti à ses fins pour les raisons déjà citées dans la méthodologie.

Tout cela a laissé des lacunes importantes plus ou moins considérables, dépendant de la personnalité de chaque cas, nul autre moyen n’a pu les combler, ce qui est a influé sur le bon déroulement de l’entretien et surtout sur la bonne interprétation de certains cas, tout en ignorant certains événements traumatiques accompagnant leurs vies et la réalité cachée derrière leurs actes délictuels.

Autre que l’interprétation socio-psychologique du contenu des entretiens, j’étais obligée d’accomplir une nouvelle tâche c’est celle d’une détective qui à mon avis n’est pas loin de la psychanalyse!

Je devrais détecter le juste du faux, les données réelles de celles factices. Comme les cas interviewés sont des incarcérés, alors tout le problème tournait dès le départ autour d’un conflit de confiance sans oublier bien entendu, le fait que les agresseurs s’en servaient comme moyen de défense.

La plupart essayaient d’embellir et d’adoucir les événements de leur vie en cachant parfois des réalités noires à leurs yeux comme s’ils avaient eu l’occasion de refaire leur vie mais cette fois-ci à leur manière.

Souvent, au cours de l’entretien, je sentais ce masque de la réalité sans pouvoir intervenir et cela pour plusieurs raisons :

Premièrement, je ne voulais pas faire tourner l’entretien à une séance d’enquête pareille à celle que tous les prisonniers ont pu la vivre et perdre le peu de confiance121 qui existait.

Deuxièmement, je voulais le moins possible interrompre l’interviewé pour profiter plus tard, dans l’interprétation, de la technique de l’association libre. Bien sûr, tout cela a rendu l’interprétation de l’entretien un peu plus difficile, car le plus souvent j’avais à faire des calculs et à identifier soit des dates, soit des événements suivant les dires de l’interviewé tout au long de l’entretien.

Notes
119.

- Le nombre des gendarmes administratifs n’est pas assez suffisant, on donne à certains prisonniers la responsabilité de certaines tâches administratives et qui sont en même temps délégués de leurs collègues.

120.

- Les personnes prises en charge ; les gendarmes.

121.

- Car malgré tout, les interviewés craignaient que leurs dires arrivent aux enquêteurs et leur causent des problèmes surtout les trois cas qui étaient en état de mise en examen.