Il est né en 1978, en plein guerre libanaise, son quartier était très visé par les bombardements entre régions en outre, ces ruelles témoignaient de nombreux combats entre les membres des différentes milices considérées à cette époque comme alliées127. Depuis sa petite enfance, un sentiment d’angoisse l’accompagne tout le temps, il se sent toujours triste, ne comprend pas les autres «j’ai beaucoup souffert dans ma vie, c’est pour ça, je me suis tôt incarcéré, j’avais dix-sept ans, ils m’ont mis avec les adultes, j’ai vu des choses...» plus tard, il révèle le sentiment qu’on le touche toujours, cela nous laisse croire, en outre du tatouage des singes muets, aveugles et sourds à l’hypothèse qu’il a été, peut- être lui-même, victime d’un attouchement ou une agression sexuelle, mais il n’en dit rien dans l’entretien.
De nombreuses hallucinations visuelles se manifestent durant la période où il consommait beaucoup de drogue. Maintenant et selon ses dires, il a “bien compris”, il “pense mieux”, il sait “distinguer entre le faux et le juste”, il adopte une nouvelle politique pour son avenir, cependant, malgré son incarcération, B.D tend toujours à causer des bagarres avec les gardiens surtout pour soutenir les autres prisonniers.
Il débute l’entretien en parlant de la relation « très naturelle » de ses parents, comme il la voit : « La relation de mes parents est très naturelle, mon père gronde toujours, ma mère ne répond pas, elle connaît son tempérament, ma mère est soumise, mon père est nerveux. Un silence (et tes soeurs et frères ?), avec eux, c’est parfait, (il reparle de son père) mais mon père et moi, il y a un an et demi, il m’a pas visité (ça veut dire depuis son incarcération), je lui envoie toujours des correspondances, je veux le voir, il vient pas », (et avant ?) « Avant, c’était toujours nul entre nous, je veillais toujours, chaque nuit jusqu’au matin, même quand je travaillais, je sortais toujours, je pratiquais la drogue et l’alcool, je travaillais pour sortir, si je ne paye pas pour la maison, c’est le désastre, ça causait des problèmes ».
Un père sévère, exigeant, nerveux qui gronde toujours, une mère soumise, est pour B.D « très naturelle » malgré que ça pourrait être la source conflictuelle de son inadaptation et sa frustration. Le père ne sachant pas comment gérer les débuts des tendances antisociales de B.D, s’est lancé dans une politique de rejet, de manque d’affection.
L’unique communication entre les membres de la famille et surtout entre B.D et le père était la dispute et les cris. La mère, pour ne pas compliquer les choses, sans être tellement courageuse pour affronter l’intolérance du père, a choisi un moyen défensif, c’est celui du silence, n’osant pas s’opposer contre son pouvoir et son agressivité, elle s’est retirée volontiers de son rôle maternel, de son devoir, laissant s’envoler tous ses droits étant une femme, une mère, en obéissant. Un silence (et l’enfance ?), il pense un peu, « je me rappelle de tout, de quel âge ? Durant la guerre, on descendait aux abris, on entendait les obus, je ne sais pas quoi te dire ? » (Vécu et traumatisme de la guerre) un silence (pourquoi tu as quitté l’école ?) « J’étais très tourbillonnant, je causais beaucoup de bagarres avec les enfants, j’ai refait la CM1 et la CM2 trois fois consécutifs, tout le monde dans le quartier me nommait Bruce-Lee128, même jusqu’à maintenant, les vieilles personnes continuent à le faire, chaque fois que quelqu’un me nommait ainsi, je me sentais fort, je jouais devant les élèves de classe, j’ai beaucoup changé d’école ».
« Quand je me sens angoissé, je ne fais rien, je ne pense pas, je la prends pas en considération, par exemple, mon père m’a adressé des insultes extra ordinaires, on a volé ma moto, je continue ma soirée, je le compte pas un problème, ce que je veux que tu constates c’est qu’il y aucun problème pour moi, je m’en fiche, comme je t’ai raconté, même la mort ne me fait peur, devant un problème, je n’y pense pas, je sais qu’il va rester sans solution », devant un sentiment d’angoisse, d’anéantissement, il fonctionne sur le mode d’un certain clivage pour garder son équilibre, pour éviter la distorsion de sa personnalité), « ce n’est pas de ma faute, c’est celle du hasard, de la nature », avec un certain déni, ce n’est pas lui qui commis ses crimes, c’est la faute au hasard, à la nature «Naturellement, je suis timide, dehors, j’essaie d’éviter les gens, ici, je sens que tout le monde est pareil à moi, la même manière de penser, mes amis sont comme moi, même chez moi, ils me connaissent pas, ils ne me comprennent pas, toujours des problèmes, ils m’aiment mais ne me comprennent pas, il y a toujours des problèmes entre mon frère et moi », percevant que la cause de son malheur réside dans une faillite de l’environnement que forment sa famille, son milieu et son école, cela entraîne la distorsion de sa personnalité et le besoin de rechercher un remède dans les dispositions nouvelles que l’environnement peut lui offrir, il le cherchait dans la drogue et l’alcool, c’est pour réclamer le besoin de secours, c’est pour dire : regarder ce dont vous m’aviez privé !
« Je sens que j’ai un grand courage, rien ne peut triompher de moi, j’ai grandi dans les abris, je sortais la nuit de l’abris, les boutiques et les magasins cassés, je prenais des bonbons et chocolats, j’ai peur de rien, je suis petit mais ma puissance est grande, quand on m’appelait Bruce-Lee je me prenais pour quelqu’un de puissant, je senti que personne ne peut me vaincre...», il était petit, à l’âge de trois, quatre ans environ lorsqu’il a commencé l’affaire du vol, ça commence avec un bonbon et une tablette de chocolat. Un enfant de quatre ans quittant l’abri, en pleine obscurité, dans les rues cruelles et désertes, même les miliciens se mettaient à l’abri au cours du bombardement, lui, ne craignait rien, rentrait dans les boutiques cassées prendre un bonbon, personne ne remarquait son absence, même pas ses parents, c’est bizarre! D’ici, on peut se demander de quelle famille il s’agit, et nous pousse à l’interprétation suivante ; l’enfant ou B.D quand il était enfant, lorsqu’il volait un objet ou une marchandise, ne cherchait pas l’objet volé, mais cherchait la mère sur laquelle il a des droits. Lorsqu’il volait, il ne désirait pas les choses qu’il vole, il réclamait à sa mère et à son père des dommages et intérêts parce qu’il se sentait privé de leur amour. Au début de son enfance précoce, cette tendance antisociale (le vol), sans devenir encore une déviance- car plus tard, cette tendance se développe, alors B.D passe au vol des motos et rentre pour la première fois en prison à l’âge de dix-sept ans, a une relation avec la privation129.
Serait-elle en relation avec le sevrage affectif, qui veut dire un véritable sevrage, qu’il y a eu perte de quelque chose de bon, qui a été positif dans l’expérience de l’enfant jusqu’à une certaine date, que s’est il passé à cette date ? La guerre Israélienne battait son plein, les obus tombaient comme la pluie sur le côté Ouest de la capitale, le quartier de B.D était de même très visé, une expérience traumatique de victimisation ou l’arrivée d’un autre enfant en plus de la guerre serait la cause de ce sevrage affectif ? Malheureusement, le contenu de l’entretien nous fait défaut, cet événement si important nous échappe.
A une question sur les circonstances qui l’ont amené ici, il répond « comme je t’ai dit (il ne me l’a jamais mentionné auparavant), viol d’un garçon, j’ai pas su qu’est-ce que j’ai fait, le lendemain, je me suis réveillé à la gendarmerie, j’ai commencé à me rappeler, un jour, je ne sais pas quel jour, j’ai beaucoup avalé des pilules, un grand mélange, quand je me suis rappelé, c’était les troisièmes jours dans la maison d’arrêt, (que s’est il passé ?) Je ne sais pas (t’as pas envie de parler ?) Non, tout ce que je veux te dire que ce n’est pas ma responsabilité, je me suis endommagé, lui aussi (qui lui ?) une personne, chez nous dans le quartier, un enfant (quel âge a-t-il ?) Je ne sais pas exactement , je me suis endommagé plus que lui ». Il ne nie pas, encore une fois le clivage est une défense, ce n’est pas sa responsabilité, c’est celle de la drogue, c’est lui la vraie victime, victime de quoi ? D’un événement traumatique, d’une guerre intolérable et impitoyable, d’un sevrage affectif, d’une mère soumise, en retraite de ses devoirs devant un père sévère et exigeant ou encore une agression ?
Le tatou du coeur traduirait l’ambivalence du sentiment envers la mère, l’amour d’un côté, la haine et l’agressivité de l’autre, qui contribue à sa passivité devant le comportement du père et qu’il fait jouer à l’enfant sodomisé.
Les mouvements contradictoires d’identification primaire à la mère, tantôt passive, tantôt meneuse du jeu. Il s’ensuit, non pas un conflit, mais une opposition entre l’attirance pour la mère et la haine. En même temps B.D. ne peut considérer que son père est bon ; il se plaint de son comportement et tempérament agressifs qui font souffrir toute la famille, cependant plus loin dans l’entretien B.D semble dire qu’il ne pourrait vivre sans une imago paternelle forte, par déplacement il nous parle de son copain de cellule en répondant à la question concernant les sentiments contradictoires de haine et d’amour : « j’aime certains côté en lui et je déteste des autres, il y a une personne avec moi, j’aime pas le laisser, de rester seul sans lui, nos bagarres ensemble sont journalières, chacun veut contrôler l’autre, il faut avoir un coq et une poule » (fantasme puisé de la scène primitive ; une femelle soumise, un mâle puissant). D’autres fantasmes se manifestaient durant son enfance qui sont en relation avec la scène primitive, il entendait souvent, la nuit, dans l’obscurité, sur les marches de l’escalier menant à son appartement (parental), des ouïes, des voix, sans être capable de les comprendre ou de les discerner, des murmures, un simple bruit), tous les deux, nous sommes des coqs, celui-là, je l’aime, je n’aime pas rester sans lui, pourtant ces comportements ne me plaisent pas »
B.D. semble être dans la phase préoedipienne, les imagos parentales sont toujours confondues, il ne trouve que le mot mère en premier face au mot père, « c’est le premier mot venu à ma tête, elle est toujours dans ma tête, je l’aime tant, je sens que c’est l’être que j’aime le plus ». Plus loin, il ne trouve aucun mot pour combler le vide devant le mot «sein». Au mot « époux », il répond par liberté, s’agit-il de la liberté de son père, la liberté de mener et de tresser la vie de sa famille à sa guise ?
Le passage à l’acte délictuel serait la décharge insoutenable de la lutte contre le «c’est l’être que j’aime le plus ». Plus loin, il ne trouve aucun mot pour combler le vide devant le sentiment d’anéantissement et d’effondrement que B.D. a toujours refoulé.
- Ils se combattirent sur des privilèges du partage des intérêts ; devant une boulangerie, une station de benzène, vol d’une voiture...etc.
- Le héros connu du Karaté.
- Selon Winnicott.